| Jean-Michel Billaut
Responsable recherche
et développement
L'Atelier (Paribas)
|
Chaque
semaine dans son désormais fameux Atelier,
il voit défiler tout le Net français. Jean-Michel
Billaut suit la révolution des technologies de l'information
depuis les premiers pas du minitel. L'Internet, "le plus extraordinaire
des médias", est pour lui le moteur d'une révolution économique.
Point sur le cas français, une semaine après la Fête de l'Internet,
qu'il co-organise.
Propos recueillis par Etienne de Fontainieu le 26
mars 1999 .
JDNet
: Quel bilan tirez-vous de la fête de l'Internet 1999?
Jean-Michel
Billault : Impressionnant. Nous ne nous attendions pas à une
telle réussite. On a répertorié près de 1 700 initiatives (700 en
1997) sur le
site de la fête et, selon nos projections par rapport aux chiffres
de l'année dernière, nous estimons à plus de 3 millions le nombre
de personnes ayant découvert l'Internet grâce à ces initiatives.
C'était le coup de pouce qu'il fallait à la France. D'autres pays
européens ont suivi d'ailleurs, notamment l'Italie et l'Espagne
mais aussi l'Afrique. Vinton Cerf, l'un des pères du réseau mondial
qui était en France à l'occasion de la fête, nous a assuré
que les Etats-Unis feront sans doute partie du lot l'année prochaine.
Pouvez-vous nous rappeler comment est
né l'Atelier que vous dirigez? Ce qu'il est devenu et ce qu'il va
devenir?
Ce
qu'il va devenir, c'est une autre histoire... qui ne dépend pas de
moi. L'historique est très simple. On a démarré cela il y a une
vingtaine d'années à un moment où l'on pensait que le minitel pouvait
nous être très utile. Il pouvait notamment nous servir à la saisie
électronique des dossiers de crédit des entreprises avec lesquelles
nous travaillions à l'époque. Personne ne voulait nous croire car
il n'y avait pas écrit IBM sur le minitel et parce que nous étions
des fonctionnaires.
L'Atelier faisait partie de la Compagnie
Bancaire à l'époque, racheté ensuite par Paribas...
Oui.
Les gens du marketing ont bien voulu nous croire mais ils étaient
circonspects quant à la capacité des petits entrepreneurs à pouvoir
se débrouiller avec ce système. Il faut se remettre vingt ans en
arrière dans la peau d'un vendeur de meubles de la France profonde
avec un écran et un clavier... Rien ne bougeait, nous sommes donc
allés voir André Lévy-Lang, le président de Paribas aujourd'hui,
afin de lui soumettre l'idée. Il a dit oui, nous avons acheté un
serveur vidéotex. Vous connaissez la suite... 95% des demandes de
crédit du Cetelem sont à présent transmises par minitel. Aujourd'hui
l'Atelier
est la cellule de veille technologique du groupe Paribas.
Vous dirigez aussi le club
de l'Arche qui publie des "cahiers de doléance". De quoi vous
plaignez-vous ?
Le
contenu des cahiers de doléances est consultable en
ligne. Nous adressons ces cahiers à l'administration française,
à l'image de ceux qui avaient été envoyés au roi en 1789. Ces doléances
n'avaient pas été écoutées alors. On sait ce qui s'est passé... L'objectif
est d'utiliser les possibilités du Net pour améliorer le fonctionnement
de l'administration.
Considérez-vous la "Netéconomie" comme
une discipline à part entière ?
Oui,
je crois que l'on peut même dire que c'est un système économique
en lui-même avec de nouvelles règles du jeu, l'apparition de nouveaux
intermédiaires et la disparition d'autres. L'Internet peut offrir
des services à beaucoup plus haute valeur ajoutée et permettre aux
entreprises de minimiser leurs stocks. On peut qualifier cette économie
de "more convenient" ou de "more efficient" comme disent les Américains.
C'est d'ailleurs pour cela qu'il y a plus de 30 millions de foyers
connectés aux Etats-Unis.
Va-t-elle générer de nouvelles théories
économiques?
C'est
un autre problème. Je pense que les économistes ignorent encore
ce qui est en train de se passer. Il est encore trop tôt pour une
formalisation. Il faut attendre encore un peu, mais elles apparaîtront
c'est sûr.
Quelles sont les chances des start-ups
françaises face à ce que vous appelez les "barbares" comme Amazon?
Aucune...
(rire). En fait, je pense qu'il y a un potentiel très important
en France. Les idées et le capital-risque ne font pas défaut. Le
vrai problème, c'est la lourdeur administrative française,
ce que j'appelle la loi de "l'emmerdement maximum".
Le monde de l'Internet se concentre au
même titre que la banque, comment voyez-vous l'organisation du marché
de demain?
En
fait, l'Internet ne fait que poser les problèmes. Il est vrai que
l'on tend vers un marché monopolistique où les services vont aller
en s'agrégeant. Big Brother n'est peut-être plus très loin...
Les dirigeants des grandes entreprises
françaises mesurent-ils bien les enjeux de l'Internet?
Pas
encore. Je fais beaucoup de conférences afin de sensibiliser les
esprits, mais les mentalités et surtout les habitudes avancent lentement.
Quel livre leur conseilleriez-vous d'acheter
en ligne?
Cette
question est difficile car il en existe pour plusieurs niveaux de
connaissance. Celui que je suis en train de lire est bien : c'est
"Net Worth", littéralement "Valeur du Net" de John Hagel.
Comment voyez-vous le marché des produits
"culturels" dans les années à venir?
Dématérialisé,
probablement. C'est déjà le cas dans la musique, je pense que ce
le sera bientôt pour les livres avec les écrans plats, les e-books
existent déjà.
Celui de la presse en ligne?
Les
Echos ont bien réussi. Cependant, le "business model" de la presse
n'est pas encore très clair. Une chose est sûre en revanche
: pour être dans la course à l'audience, le meilleur moyen est de
rendre l'information gratuite. Pour le moment, un seul a réussi
à faire payer l'information, c'est le Wall Street Journal.
Je suis abonné à un certain nombre de mailing lists américaines
qui mélangent les métiers. Par exemple d'éditeur et d'organisateur
de congrès. J'ai un exemple précis sur la téléphonie IP, c'est celui
de Jeff Pulver, un des gourous en la matière aux Etats-Unis. Son
site, pulver.com,
a 300 000 abonnés qui reçoivent régulièrement et gratuitement son
compte-rendu sur l'actualité du marché de la téléphonie. Il gagne
sa vie en organisant des congrès sur le thème et en invitant à moindres
frais ses abonnés. Il en a fait déjà plusieurs aux Etats-Unis et
un à Oslo en juin dernier. Cet exemple montre bien qu'il n'y a pas
qu'un seul "business model" et que les manières de se
rémunérer sont multiples. L'important, c'est la base de contacts.
Quand le Journal de la Netéconomie,
que vous éditez, sera-t-il disponible seulement en ligne?
Pas
tout de suite. Dans une dizaine d'années environ.
C'est
beaucoup...
On
est en France, ne l'oubliez pas. La partie communication va
peut-être changer, mais on attend que ces messieurs (d'en haut)
règlent leurs problèmes...
Combien
d'abonnés à ce journal?
Environ
2000.
Que
pensez-vous de l'affaire Altern?
Malheureuse
affaire. Cependant, Estelle Hallyday a fait ce qu'elle avait à faire.
D'après
vous, on s'est trompé de coupables?
Probablement.
Achetez-vous régulièrement sur le Net?
Oui,
des bouquins qui parlent de l'Internet, surtout chez Amazon.com
ou du téléchargement de MP3.
Qu'aimez-vous sur le Net?
J'aime
partir à l'aventure et trouver de nouvelles sources d'information
l'espace d'un clic.
Ce que vous détestez?
Je
n'en sais rien. L'Internet ne va pas changer la nature humaine,
des dérangés, vous en trouverez toujours. Je trouve que c'est
le média le plus extraordinaire qui puisse exister...
Le mercredi 31 mars, à 21 heures, Jean-Michel Billaut
sera l'invité d'un chat sur Interneto
pour faire le point sur la deuxième édition de la Fête de
l'Internet, les projets de développement de l'Atelier, etc.
Jean-Michel
Billaut
Jean-Michel
Billaut est né le 29 avril 1945. Diplômé d'Etudes supérieures
en sciences économiques, il est entré en 1971 comme
économiste à la Chambre de commerce de Paris. Depuis
1973, il travaille dans le groupe Compagnie Bancaire (filiale
de Paribas) comme économiste, responsable du service d'information
interne du groupe puis responsable de la recherche et du développement.
Il a créé l'Atelier, cellule de veille technologique
et marketing du groupe, en 1980.
Il est par ailleurs vice-président de l'Association française
de télématique (AFTEL) depuis 1990 et de l'Association française
pour le commerce et les échanges électroniques (AFCEE)
depuis 1996 .
L'Atelier
en chiffres:
Abonnés
au journal |
2000 |
Membres de
l'Atelier |
1300 |
|