Interview : Lionel Jospin
3. Internet et la politique
"La gauche a une vision plus globale des enjeux de l'internet"

1. Bilan
et projet
2. Internet
et l'économie
3. Internet
et la politique
"Je veux que l'Etat continue à donner l'exemple et à se mobiliser" "Il ne faut pas qu'un excès de pessimisme succède à un enthousiasme parfois déraisonnable" "La gauche a une vision plus globale des enjeux de l'internet"

JDNet. En 1999, à Hourtin, vous avez annoncé un projet de loi sur la société de l'Information. La LSI a été adoptée en Conseil des ministres puis déposée sur le bureau de l'Assemblée nationale en 2001. Compte tenu de la rapidité des changements inhérents aux NTIC, ce projet n'est-il pas aujourd'hui obsolète?
Lionel Jospin. Je voudrais rappeler d'abord que, comme je m'y étais engagé, nous avons procédé à de nombreuses adaptations de notre droit, comme, par exemple, par la reconnaissance de la signature électronique, pour faciliter l'usage de la cryptologie, pour reconnaître aux collectivités locales les compétences nécessaires à leur rôle d'aménageur numérique du territoire ou, s'agissant de la concurrence, pour le dégroupage de la boucle locale. En janvier de cette année, l'assemblée nationale a adopté en première lecture le projet de loi relatif à la protection des données à caractère personnel, enjeu essentiel pour nos concitoyens dans la société de l'information.

La préparation de la LSI a marqué un autre temps fort du débat sur ces enjeux juridiques. Le calendrier parlementaire n'a pas permis son examen. Les grandes questions traitées dans ce projet, comme la diffusion gratuite des données publiques, l'adaptation du dépôt légal ou de l'accès aux archives, le commerce électronique ou la sécurité des réseaux restent d'autant plus d'actualité que de nouveaux textes européens sont intervenus qu'il faudra transposer.

Il appartiendra au prochain gouvernement de trancher entre deux options : soit reprendre un texte unique, complété, soit, pourquoi pas, procéder à travers plusieurs lois thématiques.

Vous avez fait de l'administration numérique l'une de vos priorités. Comment jugez-vous la situation de la France aujourd'hui, alors que des études récentes montrent l'intérêt encore limité des internautes pour les sites des administrations ?
Je prendrai à dessein une référence extérieure : les résultats de l'étude réalisée pour le compte de la commission européenne et des Etats-membres sur les progrès de l'administration électronique en Europe placent régulièrement la France parmi les pays les plus avancés en ce domaine. Quelques exemples : la France est première ex æquo en matière de paiement des impôts et de déclarations en ligne de TVA, de cotisations sociales et de douane, ainsi que de recherche d'emploi en ligne et deuxième ex æquo pour la délivrance en ligne des cartes grises et des permis de construire.

Je vous rappelle que, loin de relâcher l'effort, mon gouvernement a lancé une nouvelle étape à l'automne, en fixant l'objectif de généraliser les téléservices d'ici 2005.

Les nouvelles technologies peuvent-elles permettre à l'administration, souvent jugée distante, de se réconcilier avec les Français? Et dans quelle mesure Internet modifie-t-il, selon vous, les rapports citoyens-pouvoirs publics?
Je ne crois pas que l'administration électronique concurrence la présence de proximité des services publics, au contraire, elle en est le prolongement. C'est même en développant les outils informatiques que l'on pérennise et renforce la présence locale des services publics et la qualité des services apportés à l'usager : grâce au portail internet de l'administration, les agents ont ainsi accès aux informations en temps réel.

Le développement de l'accueil et du renseignement téléphonique est également une voie privilégiée de développement de nouveaux services publics. Les technologies de l'information favorisent aussi le décloisonnement des administrations et l'échange d'informations entre elles, allégeant d'autant la charge de l'usager.

Pensez-vous qu'Internet est aujourd'hui un média d'influence politique?
Oui. En tant que média qui prend peu à peu sa place aux côtés de la presse, de la télévision et de la radio, l'influence d'internet est évidente. Les sites politiques sont d'ailleurs de plus en plus nombreux et on y trouve souvent des informations qu'il est difficile de trouver ailleurs.

Internet permet aussi des formes d'expression nouvelles par rapport aux médias traditionnels, sur les forums ou les pages personnelles par exemple : chacun peut s'exprimer et faire connaître ses opinions au monde entier d'une manière qui était impossible auparavant.

La manière dont les associations se sont appropriées l'internet est à mes yeux exemplaire des potentialités formidables de l'outil.

Cette campagne présidentielle est la première où l'Internet joue un rôle réel. Quel regard portez-vous sur les initiatives en la matière et quelle influence leur attribuez-vous?
Pour moi c'est en effet une nouveauté radicale, car jamais jusqu'ici l'internet n'avait été fortement présent en France dans une campagne nationale ; le seul précédent est celui des municipales de 2001, que j'avais d'ailleurs observé avec beaucoup d'intérêt.

Mon site Lioneljospin.net est devenu un outil quotidien pour tous ceux qui sont impliqués dans ma campagne, et un formidable outil de diffusion d'information. Des gens de tous horizons y posent des questions que je lis souvent : je suis frappé par la liberté de ton et la facilité avec laquelle les internautes m'interrogent dans ces e-mails. C'est une nouvelle forme de relation entre un homme politique et ses électeurs, et cela me semble prometteur.

Le Parti socialiste a déclaré son opposition à l'élection électronique par l'Internet pour les mandats de la République. Quelle est votre position?
Le vote en ligne, comme tout vote à distance, ne garantit pas que le vote est personnel et échappe à une influence extérieure directe. L'absence d'isoloir est, à mes yeux, rédhibitoire pour les élections politiques.

Des pistes sont cependant ouvertes à l'utilisation du vote électronique : les élections pour lesquelles le vote à distance existe déjà (élections professionnelles, de parents d 'élèves…) ou l'utilisation de machines à voter dans les bureaux de vote qui permettra un décompte instantané et automatique des votes. Il y a d'ailleurs eu un débat intense sur le forum de discussion ouvert sur mon site de campagne à ce sujet. L'idée qui s'en dégage est que le véritable apport de l'internet à la démocratie se situe en amont du vote.

La sécurité des réseaux est une préoccupation largement partagée. Quels sont à vos yeux les vrais et les faux dangers ?
La confiance dans les réseaux est un facteur essentiel au développement du commerce électronique. Je sais que beaucoup de Français craignent encore d'utiliser leur carte bancaire en ligne. Voilà pourquoi je souhaite que nous parvenions enfin à nous donner collectivement les moyens de rassurer nos concitoyens sur ce thème. S'il apparaît nécessaire que le gouvernement stimule la concertation entre les banques, le secteur du commerce et les autres acteurs concernés pour faire avancer cette question, je l'y inciterai.

Autre danger : le racisme, l'antisémitisme, la pédophilie, la pornographie enfantine qui se diffusent aussi sur l'internet. C'est la part d'ombre du web contre laquelle il faut lutter avec détermination en renforçant la coopération internationale sur ce sujet.

Enfin, les grandes infrastructures de télécommunication qui irriguent notre économie et nos services publics ont désormais une importance vitale : leur interruption même momentanée pourrait avoir de graves conséquences pour notre pays. Leur protection est un enjeu essentiel de sécurité. C'est d'ailleurs pourquoi, parmi les chantiers du PAGSI, j'ai voulu que les moyens de l'Etat soient adaptés en conséquence, par exemple pour faire face aux nouvelles menaces que constituent les intrusions et les virus informatiques.

Pour certains, le caractère transfrontière d'Internet en fait une zone de non-droit. Partagez-vous cette analyse?
Il ne faut pas confondre les causes et les conséquences. L'internet n'est pas une zone de non-droit et n'appelle d'ailleurs souvent pas un droit spécifique. Le véritable enjeu est l'adaptation des moyens de lutte et d'investigation. On touche du doigt une difficulté bien réelle liée à la souveraineté des Etats et aux limites de la compétence territoriale des forces de police et de justice : comment faire cesser une infraction commise à partir d'un territoire étranger, dans la mesure où le droit d'ingérence est impossible à exercer ?

Doit-on et peut-on contrôler et réguler l'internet et les flux d'informations qui y circulent ? Et si oui, qui doit en être chargé ?
Il y a naturellement la régulation publique, à travers le droit et son application qui garantissent l'intérêt général. La détermination de règles par les acteurs eux-mêmes, à travers ce que l'on a baptisé l'auto-régulation, constitue un complément utile et souvent nécessaire. J'ai souvent eu l'occasion de le rappeler. Mais ce qui importe surtout à mes yeux c'est que les outils de cette régulation ne soient pas accaparés par des intérêts privés, par exemple à travers des solutions techniques, et restent déterminés par des choix collectifs dans un cadre démocratique.

Lorsque l'on regarde les propositions de la plupart des candidats en matière de NTIC, les thèmes sont à peu près les mêmes et les propositions paraissent assez proches. Y a-t-il cependant selon vous une vision de droite et une vision de gauche de l'Internet?
Oui, je le crois. La gauche a une vision plus globale des enjeux de l'internet, là où la droite y voit surtout un espace de marché. Le développement des entreprises de technologie est essentiel, mais la révolution des technologies de l'information va, dans ses conséquences, bien au-delà. Sur l'internet non marchand, sur le logiciel libre, sur la réduction du fossé numérique pour que l'internet soit accessible à tous, notre approche me semble à la fois plus complète et plus juste que celle de la droite.

Cela se traduit également dans les actes : la gauche est plus disposée à assumer pleinement les missions de l'Etat et à intervenir lorsque c'est nécessaire.

A titre personnel, utilisez-vous Internet ou le mail?
J'ai découvert le web grâce à Sylviane et aux enfants, mais ce qui m'a sans doute le plus frappé depuis cinq ans, c'est de voir comment, à travers les outils que nous avons du mettre en place en arrivant à Matignon, le mail a transformé la manière de travailler des cabinets ministériels.

Quels sont vos sites préférés ?
Je pourrai citer des sites pratiques comme Allociné.fr ou Fnac.com, mais, aujourd'hui, alors que je vais retrouver les internautes pour un grand chat européen ce soir sur mon site, vous ne m'en voudrez pas de vous citer comme mon site préféré Lioneljospin.net.

Avez-vous consulté les sites qui vous étaient consacrés (pro et anti)?
J'en entends beaucoup parler … mais je trouve surtout intéressants ces sites dont l'ambition est de comparer en toute objectivité les programmes des différents candidats, et peut-être aussi leurs réalisations!

Qu'aimez-vous sur Internet?
Le courrier électronique et les pages personnelles : il y en a plus de deux millions dans notre pays ; pour moi, c'est un signe de la vitalité et de la créativité de notre société.

Et que détestez-vous ?
L'injustice profonde qu'il y aurait à laisser durablement les trois-quarts de la population mondiale à l'écart de la révolution des technologies de l'information.

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Interview réalisée par e-mail par la rédaction du Journal du Net le 21 mars 2002.

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