L'un des
PDG les mieux rémunérés des Etats-Unis reçoit à Santa Clara dans
des bureaux colorés, aussi joyeux que le nom de la société qu'il
dirige depuis 1995 et dont il a fait une réussite légendaire:
Yahoo. En dépit des remous boursiers actuels, Tim Koogle peut
garder le sourire: avec 63 millions de dollars de bénéfices, sa
société a obtenu des résultats supérieurs aux attentes des analystes,
ce dont bien peu de dotcom peuvent se vanter. Pour le Journal
du Net, "TK" -comme on l'appelle ici- évoque la stratégie et les
projets actuels de Yahoo, donne de précieux conseils aux entrepreneurs
de la nouvelle économie, et révèle les facteurs clés qui
ont fait le succès du site Internet le plus visité au monde.
Propos recueillis par Samuel Kissous
le 12 avril 2000
.
JDNet.
Pouvez-vous
présenter Yahoo en une phrase?
Tim Koogle. C'est un réseau mondial de services articulé
autour d'une marque, un réseau ouvert et exhaustif.
Quelles
sont vos sources de revenus?
On peut les comparer à celles de média comme
la radio ou la TV, car l'utilisation de notre média interactif
est gratuite. Nous dégageons des revenus de manière indirecte,
par la publicité et le commerce électronique.
Et
comment va Yahoo ?
Très bien ! Nous avons probablement la plus large
audience du web avec 145 millions d'utilisateurs uniques dans
le monde et un trafic moyen de 625 millions de pages vues en mars.
Nous venons d'annoncer un revenu de 228 millions de dollars pour
le premier trimestre 2000, avec un bénéfice de 63 millions de
dollars.
Malgré
ces résultats, n'êtes-vous pas inquiet par la performance médiocre
du cours de bourse ?
Ce n'est pas le premier reflux du marché boursier
que nous observons au cours des quatre dernières années. Ce n'est
pas spécifique a notre société. Nous nous concentrons sur les
fondamentaux pour construire un business solide. Et nous travaillons
avec Wall Street pour nous assurer que les investisseurs obtiennent
une information correcte.
Ou
en est la relation entre Yahoo et eBay? Pas de fusion en vue finalement?
Nous connaissons eBay. Nous ne faisons pas de commentaires sur
les rumeurs.
Yahoo
vient de lancer "B2B marketplace", et s'apprête à investir le
champs du "group buying". Appliquez-vous simplement les concepts
à la mode, ou y a-t-il une stratégie derrière cela ?
Nous ne nous demandons pas ce qui est à la mode. En revanche,
nous nous efforçons de proposer des fonctionnalités recherchées
par nos utilisateurs. Nous sommes très centrés sur les souhaits
du consommateur. Près de 50% des utilisateurs de Yahoo viennent
déjà du lieu de travail. C'est une audience large, qui recherche
des choses spécifiques. Notre stratégie B to B se développe à
deux niveaux : pour les PME, nous allons agréger encore plus de
services spécifiques. Pour le grandes entreprises, nous avons
créé depuis quelques mois un "corporate My Yahoo", c'est-à-dire
une interface Yahoo interne à l'entreprise, avec son propre contenu.
Quels
sont les grands projets actuels chez Yahoo? Nous
sommes près de 2.400 collaborateurs, dont plus de 500 en Europe.
C'est une composante de notre culture d'encourager chacun à proposer
de nouvelles idées. Au moins 50 de ces idées ont sans doute été
imaginées aujourd'hui! Sur le front du contenu, nous allons vers
un media de plus en plus riche, avec l'audio et la vidéo.
Nous sommes très actifs dans la mise en place de la voix dans
nos services -nous venons d'investir 150 millions de dollars dans
Netaphone. Nous allons continuer a étendre notre activité commerciale,
nous avons lancé notre service d'enchères dans 17 pays à l'heure
actuelle.
Considérez-vous
Yahoo comme un concurrent -ou un concurrent potentiel- d'Amazon
?
Pas vraiment. Certaines personnes pensent que Yahoo
! et Amazon entrent en concurrence d'une certaine manière. Fondamentalement,
je pense que nous avons des stratégies différentes. Amazon est
un distributeur qui agrège directement une offre commerciale.
Nous, nous agissons au nom de nos partenaires commerciaux, et
nous n'avons pas l'intention de devenir distributeurs nous-mêmes,
ce qui impliquerait la possession de stocks. Nous sommes une plate-forme
permettant aux autres marchands de toucher une audience.
Quelles
sont les trois plus grandes marques dans l'indutrie Internet à
part Yahoo, selon vous?
AOL, si on peut la considérer comme une marque Internet, eBay,
et Amazon.
Pouvez-vous
donner quelques conseils sur la construction d'une marque, à destination
des apprentis-entrepreneurs du Net ?
En premier lieu, si vous avez le moindre doute sur l'importance
d'une marque, n'y pensez même pas ! Un entrepreneur qui commencerait
maintenant et chercherait à établir une marque à partir de zéro... ça
me semble difficile. On peut dire qu'environ 240 millions de personnes
utilisent Internet de manière assez active. Si vous voulez établir
une image de marque à grande échelle et que vous dépensez 10 dollars
pour créer une notoriété auprès de la moitié d'entre eux, ça vous
revient déjà à 1,2 milliard de dollars ! Pour construire une forte
marque, il faut donc avoir un service qui joue sur l'effet "viral",
c'est une manière formidable de créer de la notoriété. Ensuite,
il faut se concentrer sur un segment particulier, et mettre en
oeuvre une stratégie promotionnelle rationnelle pour toucher ce
segment. Enfin, il faut établir de bons partenariats.
Quelle
est votre vision du développement d'Internet en Europe ?
Les
6 derniers mois ont été marqués par une hausse significative du
nombre de consommateurs, annonceurs, et marchands. Le retard par
rapport a l'Amérique est rapidement rattrapé. Au-delà des défauts
que l'on peut reprocher aux FAI gratuits, ils ont servi à ouvrir
le marché. La déreglementation des télécoms a permis
l'existence d'un plus grand nombre de sociétés et une baisse des
prix, ce qui a également aidé.
Quels
sont les plans de Yahoo en Europe?
Nous avons déjà une bonne présence en Europe, établie
depuis 1996. Après la France, l'Allemagne, et le Royaume-Uni,
nous nous sommes étendus à l'Europe du sud et à la Scandinavie.
Dans les pays où nous nous trouvons déjà, le mot-clé est l'"approfondissement"
en termes de commerce, contenu, et services.
Que
pensez-vous de vos concurrents européens?
Nous les prenons très au sérieux sur chaque marché, y
compris en Amérique du Nord où il y a des concurrents régionaux.
En Europe, ils sont en général liés aux sociétés de télécoms:
T-Online avec Deutsche Telekom en Allemagne, Wanadoo avec France
Télécom en France... Nous nous efforçons d'être numéro
un ou numéro deux sur chaque marché mais s'il le faut nous
pouvons être numéro trois. Notre avantage est d'offrir
un réseau mondial à une échelle plus large que n'importe quel
concurrent régional, ce qui nous permet également de nous développer
localement à un coût plus faible.
Qu'est-ce
qui vous a fait rejoindre Yahoo à l'origine?
Trois choses. La première, ça avait l'air sympa -même si je ne
me suis jamais ennuyé dans ma vie professionnelle. La seconde
: j'ai été impressionné par Jerry et David, les fondateurs. Ils
étaient très brillants, avaient beaucoup d'intuition et
étaient guidés par le désir de faire croitre l'entreprise, au
service des utilisateurs. Ils n'étaient pas dirigés par l'ego
ou l'appat du gain. Et je suis pareil. Ils savaient où il leur
manquait de l'expérience et ils avaient la volonté de confier
ces domaines à d'autres personnes. La troisième: quand
je suis arrivé en mai 1995, il n'y avait ni marketing ni revenus,
mais l'annuaire Yahoo existait et semblait grandir naturellement,
de manière organique. J'ai été frappé par cela, je me suis
dit qu'il devait y avoir un besoin et que cette plate-forme pourrait
être considérablement étendue.
Quels
ont été les facteurs clés qui ont permis à Yahoo de croître
avec succès?
Nous avons suivi la bonne stratégie. En juillet 1995, quand nous
nous demandions quelle devait être la stratégie, nous avions décidé
qu'il s'agissait d'un média, où le contenu, la marque, et la distribution
comptent. Les autres parlaient de technologie. Par "contenu",
j'entends "les choses que l'utilisateur reçoit", ce qui inclut
les moyens de communication et l'aspect transaction. Il nous fallait
donc établir une plate-forme, obtenir une audience, et nourrir
le "contenu". Dans notre stratégie figure aussi l'objectif de
rentabilité et de cash-flow. Vous savez, les choses ne changent
pas, au fond. Gérer le cash est la chose la plus importante. Je
me souviens d'un manager chez Motorola qui faisait écrire la phrase
suivante à ses collaborateurs: "Le cash est plus important que
ta mère".
Quelle
est votre propre usage du Net ?
Je passe beaucoup de temps à regarder ce que font
les concurrents, à lire des informations économiques et financières.
J'aime énormément la musique, je télécharge de la musique indépendante,
je vends des guitares...
La
chose la plus importante à retenir à propos du Net?
C'est une occasion fantastique, lancez-vous !
Tim Koogle
a rejoint Yahoo en 1995 en tant que Président et CEO. Il a été
élu parmi les " 25 meilleurs managers de l'année " en 1998 par
Business Week. Avant de prendre la direction de Yahoo, Tim Koogle
était président d'Intermec Corporation, fabriquant de produits
de transmission de données dont il augmenta les ventes de 50%
en trois ans. Koogle a également passé neuf ans chez Motorola,
où il a occupé diverses responsabilités en logistique et en capital-risque.
Koogle a obtenu un B.S., un M.S., et un doctorat d'ingénieur à
l'Université de Stanford.