Interviews

Kyle Shannon
Chief Creative Officer
Agency.com

Agency.com, l'un des fleurons de la "Silicon Alley" new-yorkaise, est souvent citée dans le peloton de tête des agences interactives, avec plus de 675 employés et 80 millions de dollars de CA prévisionnel pour 1999. Kyle Shannon, co-fondateur et Chief Creative Officer de Agency.com, constate l'émergence de l'Internet européen. Le "partenariat" annoncé fin juin avec l'agence Pictoris est en fait une acquisition qui devrait être finalisée dans le courant de l'été.

Propos recueillis par Rémi Carlioz en juillet 1999 .

JDNet: Agency.com est souvent décrite comme l'une des plus grandes agences interactives au monde. Quelles sont vos spécificités par rapport à vos concurrents, et quelle valeur ajoutée apportez-vous?
Kyle Shannon : Je crois que si l'on parle des agences interactives stricto sensu, l'une de nos principales caractéristiques, c'est notre très fort niveau díintégration. Lorsque vous travaillez avec Agency.com à Londres, ce sont avec les mêmes méthodes, la même philosophie, les mêmes systèmes, les mêmes moyens quíà New-York par exemple. Une entreprise, une marque, un objectif, c'est un élément majeur à mes yeux. De plus, nos équipes sont multidisciplinaires et nous ne séparons pas ñau sein díune même équipeñ les créatifs des techniciens. Tout le monde travaille dans la même direction, nous réunissons différentes cultures au sein díune même équipe.

Vous avez différents métiers. The Economist vous citait comme l'un des meilleurs prestataires de commerce électronique. n'est-ce pas éloigné de votre métier de base?
Non, ça ne l'est pas. Ou bien seulement en termes de perception extérieure, mais tel n'est pas le cas. Nous faisons beaucoup de e-commerce. British Airways est l'un de nos clients, nous travaillons pour eux sur la vente de tickets, sur les interfaces à mettre en oeuvre, etc. Nous ne sommes peut-être pas réputés pour cela, mais l'activité purement "technologique" de ce type représente 40% de notre chiffre díaffaires. Nous sommes très forts sur ce créneau. Simplement, notre nom fait plutôt croire au public que nous sommes uniquement une agence de publicité interactive. En fait, nous sommes agents en lieu et place des clients, nous les aidons à définir leur stratégie. Quel est alors votre axe de développement? Ce n'est pas uniquement la communication et le marketing, c'est aussi réellement du conseil stratégique. Nous partons toujours de la question suivante: quel est votre objectif? Quíessayez vous de faire, à qui vous adressez vous, quelles sont les attentes de vos clients? Nous n'arrivons pas en disant "vous avez besoin díune plate-forme de commerce électronique". Nous arrivons en disant "que voulez vous accomplir?", et l'une des réponses peut être le e-commerce, peut-être pas. Nous travaillons très en amont. Avec Pepsico par exemple, cela va jusquíà l'organisation du travail, jusquíà la définition de nouvelles méthodes, l'identification des compétences au sein de l'entreprise, etc.

Quels sont à vos yeux les trois grandes tendances de l'Internet pour les 18 mois à venir?
Arrêtons-nous aux 12 prochains mois, c'est déjà énorme dans notre métier. Le premier trend n'est pas tant une tendance qu'une constatation: l'Europe va considérablement monter en puissance en termes díadoption, non pas seulement de la technologie, mais surtout díinternet comme moyen de faire des affaires, de développer l'économie. En second lieu, je citerai bien sûr l'e-commerce, mais pas n'importe lequel. Aujourdíhui, l'e-commerce, c'est la tarte à la crème. Mais trop de sites se limitent à des transactions pures, et peu se positionnent en termes de stratégie globale de marque, en termes de "brand experience". Je pense aux "Nike Towns" ici, peut-être à Disneyland chez vous comme équivalent, où l'on vend des produits, mais avec une expérience de marque, de marketing et de produits dérivés très riche. Il n'y a pas encore de réel équivalent sur le net. Pour l'instant cela se limite à un système de vente, vous introduisez votre carte et vous recevez un produit. Cela reste très limité, très pauvre par rapport aux potentialités existantes. Je pense donc que le contenu de l'e-commerce va síenrichir rapidement. Pour citer encore British Airways, vous allez sur le site pour choisir une destination, mais aussi pour acheter des billets, pour programmer des loisirs, réserver des soirées ou des hôtels, pour vous distraire, etc. Puis, peut-être, achèterez-vous quelque chose.

Et la troisième tendance?
En troisième lieu, et là l'Europe a l'avantage, je pense aux différents canaux vecteurs de l'interactivité: Télévision interactive, PDAs (assistants personnels, NDLR), téléphones mobiles, etc. Les stratégies interactives ne vont plus se limiter au Web. Elles vont devenir globales, elles vont prendre en compte l'ensemble des canaux qui permettent díatteindre les consommateurs. Les règles du jeu vont être différentes pour chaque vecteur, et des entreprises comme la nôtre vont devoir síadapter à ces nouvelles règles. Le marché va gagner en complexité. c'est vrai pour le Web bien sûr, mais aussi, et surtout, pour l'ensemble des autres médias interactifs. Un des dangers majeurs, c'est que si nous tous ne parvenons pas à donner du sens à cette complexité croissante, le consommateur sera vite pénalisé, et, si tel est le cas, il pourrait arrêter díutiliser les technologies que nous développons autant quíil pourrait le faire. Si nous ne travaillons pas díarrache-pied à une simplification de cette folie, nous risquons de perdre de nombreux clients. Cet enjeu me tient vraiment éveillé la nuit. c'est pourquoi Agency.com investit beaucoup -en particulier à Londres et à Singapour-, dans la recherche sur la TV interactive et les PDAs.

Puisque vous parlez de l'Europe, vous semblez assez optimiste, avec un discours en rupture avec certains de vos collègues américains qui nous considèrent comme ayant 18 mois ans de retard...
Oui, il y a un an c'est vrai, vous aviez 18 mois de retard. Mais aujourdíhui, ce n'est plus le cas... tant culturellement, quíen termes díinfrastructures voire de moyens financiers. Je suis optimiste, c'est exact. Aux Etats-Unis, nous commençons à plafonner, en tout cas la courbe de croissance se tasse, tandis quíelle est en plein boom en Europe. l'Europe va à terme nous rattraper, peut-être pas complètement car il y a effectivement des problèmes structurels, pour ce qui est des réseaux de télécommunications notamment. Mais il faut dire que dans certains cas, l'Europe a un avantage concurrentiel indéniable. Cela est clair pour ce qui concerne la télévision interactive pour laquelle vous êtes très en avance. Jíétais récemment à Cannes au Jury des "Advertising Lions", et jíai été très impressionné par votre avance sur certains points: je pense par exemple aux terminaux de cartes de crédits présents partout, alors quíaux Etats-Unis nous en sommes encore à signer les reçus de Visa. Votre seuil díacceptation en certains domaines est bien supérieur au nôtre.

c'est-à-dire ?
Et bien en France en particulier, le minitel existe depuis des années et le Web n'est jamais quíun canal supplémentaire. Donc, en France, l'adhésion à l'interactivité est déjà présente. Et culturellement, síil existe peut-être des réticences à l'égard de la culture américaine chez vous, cela me semble cependant de moins en moins vrai. Nous affrontons un phénomène global. Si les entreprises américaines considèrent que c'est un phénomène américain, et que cela leur suffit, le réveil sera dur lorsque les sociétés européennes viendront leur prendre leurs marchés chez eux! La notion de frontière est néfaste et illusoire en la matière. Ce n'est pas l'allemand, le brésilien ou l'américain qui, pour reparler de Cannes, gagne les prix. c'est le meilleur! Je crois que les entreprises qui accorderont trop díimportances aux frontières ou à leur nationalité seront pénalisées.

Vous voyez díautres différences entre
nos deux marchés?

Evidemment les montants en jeu chez vous ne sont pas mes mêmes, mais même cela va changer. Quand les entreprises commenceront à comprendre, et elles le font déjà, quíinternet est une des clés de leur succès, l'écart va se réduire, très vite.

Concernant la France, vous avez un bureau à Paris, et vous avez annoncé un partenariat avec Pictoris. De quel type de partenariat síagit-il?
c'est une acquisition, qui n'est pas encore finalisée, mais Pictoris va à terme devenir une entité díAgency.com. Paris sera pour nous une base importante, aux côtés de Londres bien sûr avec Online Magic, qui va dorénavant síappeler Agency.com.

Et Pictoris?
Ils vont aussi síappeler Agency.com, c'est l'une de nos règles de base: Agency est Agency, et donc les entités que nous acquérons sont intégrées à Agency. c'est ce que je vous disais tout à l'heure: nous avons une forte culture de l'intégration.

Quíen est-il díOmnicom, qui est entré dans votre capital à hauteur de 40%?
Ce sont des investisseurs minoritaires au sein de notre entreprise.

Mais allez-vous développer des partenariats avec díautres filiales díOmnicom, en France en particulier ?
Ce sont des partenaires. Il n'y a pas de passage obligé. Nous avons de très bonnes relations avec Omnicom, nous agissons au coup par coup, client par client, lorsque cela a du sens, pour nous comme pour eux. Il n'y a pas de nécessité síil n'y a pas de synergie ou díintérêt partagé. Nous faisons tout pour ne pas avoir díintérêts contradictoires. Parfois nous travaillons très étroitement, parfois ils ont une implantation très forte et se suffisent à eux-mêmes.

De nombreuses sociétés américaines ont fait leur introductions en Bourse. Et vous?
c'est une possibilité. Nous y pensons, mais cela doit aussi síaccorder à notre philosophie. Nous faisons toujours les choses dans un but bien précis. Nous voulons être sûrs díêtre prêts à le faire. c'est une grande responsabilité et cela change les règles du jeu. Pour revenir à ce que je vous disais, il faut pour ce faire que nous ayons terminé la consolidation de nos différentes entités. Mais il n'y a pas díurgence, nous n'avons pas crée Agency.com pour entrer en Bourse, nous l'avons créée par passion, par volonté de faire du mieux possible le travail qui nous est confié. c'est un outil, que nous utiliserons le moment venu, comme un outil et non comme une fin en soi.

A ce propos, que pensez-vous de ce que l'on appelle "l'IPO madness", la folie boursière?
c'est réellement de la folie. En même temps, si vous regardez le potentiel de cette industrie, il est possible que le marché ne soit pas si surévalué que cela. En fait, si ce potentiel disparaît ou chute, ce sera de la vraie folie. Mais si le rythme de croissance continue à cette vitesse, peut-être est-ce même sous évalué, qui sait? Il nous faut cinq ans pour dire si nous sommes en pleine folie, ou bien si les gens étaient juste de bons analystes. Personne n'a aujourdíhui la réponse. Ce que je sais, c'est que c'est excitant, et tout sauf ennuyeux

KYLE SHANNON, 34 ans, est co-fondateur (avec Chan Suh) et Chief Creative Officer de Agency.com. Diplômé de l'Université de Pennsylvanie, il fonde et dirige la puissante WWWAV (The World Wide Web Artists Consortium) en 1994. Il crée ensuite "Urban Desires", un webzine respecté à forte notoriété. En 1995, il crée avec Chan Suh Agency.com, dont il est depuis le Chief Creative Officer.






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