Créé
en 1995, eBay,
pionnier des sites d'enchères en ligne, a su développer
un modèle économique particulièrement profitable
et souvent imité. Lorsqu'il vous reçoit, Steve Westly
vous propose sa carte de visite en quatre couleurs au choix :
rouge, bleu, jaune ou vert, les couleurs du logo eBay. Pour le
Journal du Net, Steve Westly explique pourquoi eBay s'intéresse
de près à l'Europe aujourd'hui et expose sa vision
du marché des enchères en ligne.
Propos recueillis par Samuel Kissous
le 10 avril 2000
.
JDNet.
Pouvez-vous présenter
eBay en une phrase ?
Steve Westly. C'est la plus large communauté de
vente au monde, à la fois online et offline depuis l'acquisition
de Butterfields and Butterfields.
Et quels résultats
obtient eBay ?
EBay vient de fêter son cinquième anniversaire avec
une croissance trimestrielle de 15 à 20%, et des bénéfices
pour le dix-huitième trimestre consécutif. Aucune
autre société Internet ne peut en dire autant.
Quelles sont
vos sources de revenu ?
D'une part, une très modique commission de 5% à
1,3% lorsqu'une vente est réalisée. D'autre part,
des frais de listing (au minimum 25 cents pour mettre un article
aux enchères) qui nous différencient des autres
société d'enchères en ligne.
Quelle est
la proportion du capital de la société détenue
par les employés d'eBay ?
Chaque employé d'eBay est actionnaire, et la différence
ne se fait pas entre employés et management mais entre
ceux qui sont arrivés avant l'IPO et ceux qui sont arrivés
après. Ma secrétaire détient plus d'actions
que certains vice-présidents !
La gamme des
activités d'eBay ne cesse de s'étendre. Vous venez
d'annoncer la création d'une place de marché business-to-business.
Quelle est votre stratégie ?
C'est vrai qu'on parle beaucoup du B to B. En réalité
nous sommes déjà l'un des plus larges marchés
B to B. Sun Microsystems vend de l'équipement technique
chaque jour sur notre site et cela a beaucoup de succès.
Nous sommes tout simplement une communauté mondiale d'échanges
et nous avons maintenant une page spécialement dédiée,
" Business Exchange ".
Où en
est votre relation avec Yahoo ?
Notre relation est bonne. Nous avons un partenariat pour le trafic,
mais nous n'attendons pas de changement majeur dans cette relation.
Vous avez signé
plus de 350 partenariats. Quels conseils donnez-vous aux Net-entrepreneurs
pour aboutir à des partenariats efficaces ?
Il faut d'abord s'assurer que votre société a un
Business Model solide. Aucun partenariat ne vous conduira au succès
si vous n'avez pas les bases. Ensuite, il faut suivre de près
tous les partenariats possibles. Ces accords sont au fond une
question d'arbitrage. Certaines sociétés finissent
par acheter un utilisateur à un prix supérieur à
la valeur qu'ils peuvent en retirer. Des firmes d'enchères
comme QXL dépensent beaucoup pour attirer des utilisateurs
mais le revenu potentiel lié à ces utilisateurs
ne couvre pas leur coût d'acquisition. Goldman Sachs peut
dire que QXL vaut 3 milliards, mais je sais que ces sociétés
ne pourront pas continuer longtemps comme ça.
Un exemple
de partenariat particulièrement intéressant vous
vient a l'esprit ?
Il y a un an et demi nous avions senti que le Furby (NDLR : un
animal en peluche qui parle) serait LE jouet à la mode,
et nous avions décidé qu'eBay serait la " centrale
mondiale du Furby " en passant des partenariats avec les
sites dédiés au Furby. Or le deuxième plus
grand site Furby au monde était celui d'un jeune canadien
de 15 ans. Nous avons passé un accord avec lui, de quoi
financer ses études supérieures ! Cela montre que
nous créons des partenariats avec AOL aussi bien qu'avec
des personnes privées.
De nombreux
acteurs se pressent actuellement sur le secteur des enchères
en ligne. Pensez-vous que cela donnera bientôt lieu à
une restructuration?
On compte environ 1.500 à 2.000 sites d'enchères.
Les sociétés fragiles vont commencer à disparaître,
nous en rachèterons certaines.
Quelles tendances
vous semblent particulièrement intéressantes dans
l'industrie Internet ?
L'internationalisation. Historiquement, les sociétés
américaines ne sont pas si bonnes en ce domaine. Les équipes
d'eBay à l'étranger sont 100% internationales. Internet
va continuer de croître. Il y aura un ralentissement aux
Etats-Unis d'ici un ou deux ans mais l'Europe a deux bonnes années
devant elle et ensuite ce sera le tour de l'Asie.
Quelle est
votre vision du marché européen ?
Premièrement, c'est un marché qui évolue
très rapidement. Deuxièmement, le taux d'équipement
en PC croît très vite. Troisièmement, les
sociétés de télécommunications vont
adopter une politique de prix fixe. Quatrièmement, les
systèmes postaux vont continuer à devenir plus efficaces.
Ce dernier point est indispensable au développement du
commerce électronique.
Qu'est-ce qui
a motivé la nomination de Philippe Bourguignon, PDG du
Club Med, au Conseil d'administration d'eBay ?
Il était essentiel d'avoir un Européen de premier
plan au Conseil d'administration, un dirigeant de classe mondiale
ayant une forte compréhension du déploiement international
d'une marque.
Quels sont
précisément les plans d'eBay en Europe ?
Nous sommes déjà leaders en Allemagne, et nous réalisons
plus de ventes de marchandise au Royaume-Uni que QXL. Nous serons
présents en France avant quatre mois, puis ce sera l'Italie.
Que pensez-vous
de vos concurrents ? Savez-vous par exemple qu'iBazar détient
le nom de domaine eBay.fr ?
Nous observons de près nos concurrents. Ils ont tendance
à n'être forts que dans un seul pays, QXL en Angleterre,
iBazar et Aucland en France. Il y a des gens très intelligents
chez iBazar. Mais eBay sera dans tous les pays. Nous avons déjà
une large base d'utilisateurs en France. iBazar propose 100.000
articles sur son site, tandis que nous en avons plus de 3,5 millions
! Nous proposons la plus grande sélection au monde, et
des solutions de traduction simultanée existeront d'ici
deux ans. Aujourd'hui, nous avons des sites nationaux dans six
pays, mais nos utilisateurs viennent de 214 pays différents,
ce qui prouve la force de la marque eBay.
Vous avez occupé
des responsabilités politiques. Comment le gouvernement
peut-il favoriser le développement du commerce électronique
?
Financer les Universités est la meilleure chose qu'un gouvernement
puisse faire, cela encourage la recherche et l'innovation, comme
on peut le voir à Stanford ou UCLA. Il faut aussi une structure
fiscale qui pousse les gens à créer des entreprises
et prendre des risques plutôt que travailler pour les grandes
entreprises. Traditionnellement, les grandes entreprises ont donné
plus d'argent aux hommes politiques, mais aujourd'hui tout le
monde a conscience qu'il est bon de développer l'esprit
d'entreprise. A cet égard, l'Europe a un avantage par rapport
à des pays dominés par un petit nombre de grandes
entreprises.
Comment avez-vous
découvert Internet ?
Lorsque j'étais enseignant à la Business School
de Stanford, il y a six ans, je voyais mes étudiants gagner
plus d'argent que moi ! J'ai rejoint une première société,
puis une seconde, revendue à Lycos, et la troisième
fut eBay. A 43 ans, j'ai été la personne la plus
âgée dans chaque société Internet ou
je me suis trouvé, mais on n'est jamais trop âgé
pour tout recommencer.
Qu'est-ce que
vous n'aimez pas sur Internet ?
L'anonymat. Sur eBay vous savez toujours quelle est la réputation
de quelqu'un.
Et qu'est-ce
que vous aimez ?
Je vais vous dire ce que j'aime à propos d'eBay, l'entreprise
la plus spéciale au monde. Nous ne sommes pas impersonnels,
nous n'envoyons pas des produits depuis un entrepôt. 25.000
personnes travaillent à temps plein à travers eBay,
des gens qui ne trouvent pas forcément du travail ailleurs,
qui achètent des articles dans des marchés aux puces
et qui les revendent sur eBay. C'est quelque chose de très
puissant : finalement, ces gens ont la liberté de gagner
de l'argent en faisant ce qu'ils aiment faire, en vendant à
d'autres personnes dans le monde entier.
Steve Westly a rejoint eBay après
avoir été Vice-président de WhoWhere?, l'annuaire
Internet revendu à Lycos. Il cumule quinze ans d'expérience
à diverses positions d'encadrement dans la Silicon Valley
et fut professeur à la Business School de Stanford de 1991
à 1995. Il a également tenu des mandats politiques
au niveau local et fédéral. Il a obtenu un B.A.
et un M.B.A. de Stanford University.