Chaque
semaine, gros plan sur la loi et l'Internet
Les
clauses sensibles des pactes d'actionnaires
- Mardi 25 septembre 2001 -
Les
pactes d'actionnaires sont souvent l'objet d'âpres négociations
entre fondateurs d'une entreprise et investisseurs. Ils sont
pourtant indispensables pour fixer tant les règles de la cohabitation
entre associés que celles de leur séparation.
Un
pacte d'actionnaires est une convention entre les seules parties
signataires et à ce titre, il n'est pas opposable à la société
elle-même. En revanche, conformément aux principes applicables
à toute convention, le pacte tient lieu de loi aux associés
qui y ont souscrit (code civil art. 1134). En pratique donc,
le non respect d'un pacte d'actionnaires par l'un de ses signataires
ne produira aucun effet à l'égard de la société cible, mais
pourra donner lieu à une indemnisation sous forme de dommages-intérêts
à la charge de la partie défaillante.
Les clauses
des pactes d'actionnaires peuvent être classées en deux catégories
: celles que l'on peut désormais qualifier de classiques,
car elles relèvent des prérogatives normales des actionnaires
minoritaires, et celles qui ont un caractère plus sensible,
car elles confèrent aux investisseurs des droits bien plus
importants que ceux que leur offre leur simple participation
minoritaire.
Certaines
clauses classiques sont devenues incontournables dans les
pactes d'actionnaires
On se contentera de rappeler ici quelques unes de ces clauses
sans les développer :
- Les clauses conférant un droit de préemption entre associés
en cas de cession de parts.
- Les clauses de sortie conjointe et proportionnelles permettant
aux minoritaires de vendre leur participation aux mêmes conditions
financières que les majoritaires ("take along clause").
- Les clauses de "trade sale" obligeant les minoritaires à
vendre leur participation si les majoritaires disposent d'une
offre d'acquisition sur l'ensemble des titres de la société.
- Les clauses de limitation de pouvoir consistant à soumettre
certaines décisions stratégiques (cession ou acquisition d'actifs,
fusion, augmentation du capital, emprunt etc..) à l'accord
préalable des minoritaires malgré le fait que leur niveau
de participation les prive d'une minorité de blocage.
- Les clauses organisant au profit des investisseurs un droit
d'information étendu.
- Les clauses de non concurrence et d'exclusivité frappant
les dirigeants fondateurs.
Ces clauses
sont devenues si habituelles qu'elles ne devraient pas entraîner
de difficultés dans le cadre des négociations entre fondateurs
et investisseurs.
Certaines
clauses confèrent aux investisseurs des droits très contraignants
pour les fondateurs
- Engagement de collaboration exclusive avec la société.
Ce type de clause a pour but d'obliger les fondateurs à exercer
durablement leur activité pour le compte de la société après
l'entrée au capital des investisseurs. En effet, la qualité
des dirigeants est un critère déterminant de la décision d'investir
et tout départ intempestif de ces derniers serait susceptible
de fragiliser l'investissement réalisé. Aussi les investisseurs
imposent-ils souvent aux fondateurs l'interdiction de céder
leurs parts pendant les premières années (souvent deux) suivant
leur entrée au capital.
Allant
plus loin, ils exigent parfois des fondateurs une promesse
de cession de leur participation à un prix fortement décoté
si, dans la période suivant leur investissement, ils venaient
à cesser leur activité pour le compte de l'entreprise. Sur
la base d'une valorisation de la participation des fondateurs
identique à celle fixée lors de l'entrée des investisseurs
au capital, cette décote peut être par exemple de 80% si le
fondateur cessait son activité au cours de la première année,
50% de cette valeur si cette cessation intervenait au cours
de la seconde, 20% si elle intervenait au cours de la troisième.
L'application d'une telle clause est ainsi très dissuasive
pour tout fondateur qui aurait des velléités de cesser de
s'impliquer dans le développement de la société immédiatement
après avoir levé des fonds auprès des investisseurs.
Le moyen
terme raisonnable dans le cadre d'une négociation consisterait
pour les fondateurs à n'accepter que l'engagement de conservation
des parts pendant une durée limitée et s'opposer à la décote
en cas de départ anticipé. Une telle position pourrait être
justifiée par le fait que l'obligation de conservation des
parts par les fondateurs est un gage suffisant auprès des
investisseurs de leur volonté de s'impliquer en vue de valoriser
leur actif professionnel.
Exigence
de mandat d'administrateur
En position de minoritaire, l'investisseur ne dispose pas
le plus souvent d'une participation suffisante pour accéder
au conseil d'administration. Cette situation est d'ailleurs
généralement jugée plus confortable par les fondateurs, qui
estiment ainsi avoir les coudées plus franches dans la gestion
de l'entreprise. L'exigence des investisseurs d'être présents
au conseil est pourtant courageuse car on sait que du fait
de ses responsabilités, un administrateur encourt plus de
risque qu'un simple actionnaire en cas de difficulté de l'entreprise.
Il faut alors considérer cette demande comme la marque d'assumer
un partenariat actif avec les fondateurs et de leur faire
bénéficier de compétences, relations, expérience, etc
au-delà
même d'un simple investissement. La défiance habituelle des
fondateurs, qui voient là en général une surveillance étroite
de leur gestion, devrait donc être nuancée.
Engagement
de non dilution
Le niveau de participation des investisseurs est en général
insuffisant pour leur conférer une minorité de blocage. Dès
lors, ils sont exposés au risque d'être dilués à l'occasion
d'une augmentation de capital si les fondateurs majoritaires
décidaient de supprimer le droit préférentiel de souscription
au bénéfice d'un nouvel investisseur. Pour parer à cette éventualité,
les premiers investisseurs demandent habituellement aux associés
majoritaires de prendre l'engagement, dans le cadre du pacte,
de leur garantir à l'occasion de toute nouvelle augmentation
de capital le droit de souscrire à cette augmentation afin
de maintenir leur participation à un niveau identique à ce
qu'il était lors de leur entrée au capital.
Une telle
exigence de la part des investisseurs n'est aucunement préjudiciable
à l'entreprise puisque en cas de mise en uvre, les premiers
investisseurs devront réinvestir aux mêmes conditions que
les nouveaux. Elle présente en revanche l'inconvénient d'induire
la dilution partielle des fondateurs pour ménager une place
dans le capital aux nouveaux entrants.
Engagement
d'émission de Bons de souscription Autonomes (BSA)
Lorsque plusieurs investisseurs sont candidats à une prise
de participation, il ne leur est pas souvent aisé de négocier
la valorisation de la société au risque de se voir préférer
d'autres investisseurs. Aussi exigent-ils souvent de la part
des fondateurs de disposer de BSA pour pouvoir, à leur gré,
souscrire à de nouvelles augmentations de capital à court
ou moyen terme, sur la base d'une valorisation d'ores et déjà
fixée. Ainsi, quelle que soit l'évolution à la hausse de la
valeur de la société dans le futur, ces BSA leur permettront
d'augmenter le niveau de leur participation sur la base de
la valorisation négociée dès leur entrée au capital. Bien
évidemment, ces BSA ne seraient pas exercés si cette valorisation
s'avérait être inférieure à celle retenue lors de leur entrée
au capital.
Ce type
d'exigence de la part des investisseurs nécessite une attention
particulière des fondateurs sur la valorisation à déterminer
pour l'exercice des BSA. Souvent focalisés sur la valeur d'entrée
des investisseurs, ils ont du mal à se projeter dans l'avenir
pour fixer avec la même rigueur les conditions de détermination
de la valorisation future de la société.
Engagement
de liquidité
L'objectif poursuivi par la plupart des investisseurs est
de réaliser, en général à moyen terme, une plus-value. Pour
avoir l'assurance qu'ils disposeront d'acheteurs pour leur
participation, les investisseurs exigeront des fondateurs
qu'ils s'engagent à introduire les titres de la société sur
un marché côté ou, à défaut, à mettre en vente la totalité
des titres de la société.
Cette
exigence, légitime dans la logique d'un investisseur, est
souvent mal ressentie par les fondateurs qui, faute de disposer
de ressources propres pour racheter la part des minoritaires,
doivent accepter l'idée de perdre leur indépendance à moyen
terme après avoir vendu la société. La parade à une telle
exigence consistera à conjuger cette clause de "liquidité"
à la faculté de pouvoir se substituer dans le cadre de l'exercice
de leur droit d'agrément et/ou de préemption un tiers de leur
choix, en général un acteur significatif du même secteur d'activité.
"Rachet
clause"
Cette clause a pour objet de permettre à l'investisseur de
renégocier à la hausse son niveau de participation initial
si une nouvelle levée de fonds intervenue postérieurement
à leur entrée au capital était réalisée sur la base d'une
valorisation inférieure. Ce type de clause protége ainsi l'investisseur
contre une valorisation excessive de la société lors de son
investissement initial. On l'a vu fleurir après que les investisseurs
aient tiré les enseignements de l'effondrement des marchés
des NTIC et que les levées de fonds successives étaient réalisées
sur la base de valorisations très inférieures aux levées initiales.
En pratique,
cet engagement prend la forme de l'émission de bons de souscriptions
autonomes (BSA) au bénéfice des investisseurs leur permettant
de souscrire à de nouvelles actions à un prix tel que le coût
total de leur investissement (participation initiale plus
nouvelle souscription) leur confère un niveau de participation
calculé sur la dernière valorisation de la société et non
pas sur celle retenue lors de leur entrée au capital. C'est
en quelque sorte une "clause de relution".
Recommandations
Les pactes d'actionnaires sont le reflet du rapport des forces
entre fondateurs et investisseurs. Si certaines clauses de
ces pactes sont désormais incontournables, d'autres que nous
avons qualifiées ici de "sensibles" sont toujours largement
négociables ou aménageables dans le temps et leurs modalités
d'application C'est pourquoi il est déterminant pour les fondateurs,
qui se considèrent souvent comme la partie faible du pacte
d'actionnaires, de consacrer tout autant d'attention aux conditions
d'entrée au capital des investisseurs (valorisation, répartition
du capital, etc
) qu'à ces différentes clauses qui peuvent
permettre aux investisseurs de renégocier le niveau de leur
participation ou leur sortie anticipée, bouleversant ainsi
des équilibres difficilement construits et fragilisant la
valeur patrimoniale de la participation des fondateurs dans
l'entreprise qu'ils ont créée.
La négociation
doit toujours être guidée par le souci d'aboutir à des obligations
réciproques raisonnables. L'expérience montre en effet que
seuls les contrats équilibrés ont une chance de pérennité.
Inversement, tout contrat créant des prérogatives exorbitantes
d'une des parties envers les autres est voué à terme, à être
mis en échec.
[legal@paulhan-avocat.com]
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