Chaque
semaine, gros plan sur la loi et l'Internet
Mauvaise
exécution
des contrats informatiques :
quels recours pour le client-utilisateur ?
-
Mardi 19 février 2002
-
En
cas d'inexécution ou de mauvaise exécution des prestations,
le client peut-il demander devant le Juge l'annulation rétroactive
du contrat et récupérer les sommes versées?
En
matière informatique, les contrats de prestation de services
s'étalent souvent dans le temps. Un prestataire peut travailler
plusieurs mois sur un même projet, et il est fréquent que
ses prestations fassent l'objet de recettes successives, par
lots par exemple. Les contrats d'intégration, de développement
de logiciel, de conception de site Web en sont une illustration.
En cas d'inexécution ou de mauvaise exécution des prestations
par le prestataire, le client pourra-t-il dès lors demander
devant le Juge l'annulation rétroactive du contrat et récupérer
les sommes versées ?
Rappelons
que traditionnellement, deux types de recours s'offrent au
client-utilisateur :
- la résiliation, qui annule le contrat mais uniquement
pour l'avenir. Les parties conservent alors le bénéfice respectivement
des prestations pour le client-utilisateur et des règlements
afférents pour le prestataire.
- la résolution, qui consiste en l'anéantissement rétroactif
du contrat et replace les parties dans l'état où elles étaient
avant d'avoir contracté. La mise en uvre pratique de cette
résolution peut être délicate, mais elle est surtout extrêmement
préjudiciable au prestataire.
Dans les
contrats informatiques, la difficulté de prononcer la résolution
tient à la présence de prestations à exécutions successives.
Le prestataire pourra souvent soutenir que de nombreuses prestations
ont déjà été effectuées et que certains développements sont
en ordre de marche.
Pour savoir
si le client-utilisateur peut demander la résolution du contrat
devant le Juge, il convient de rappeler à titre liminaire
que les contrats informatiques, lorsqu'ils ne se limitent
pas à de simples licences d'utilisation, obéissent aux règles
applicables aux contrats d'entreprise. Pour mémoire, les contrats
d'entreprises, que le Code civil appelle "contrats de louage
d'ouvrage" (article 1708) sont des contrats par lesquels une
personne s'engage moyennant rémunération à accomplir de manière
indépendante un travail au profit d'une autre. Dès lors, la
question est de savoir quels critères sont retenus par la
jurisprudence pour prononcer la résolution de ce type de contrat.
A l'examen,
il ressort que pour prononcer la résolution d'un contrat d'entreprise
le Juge se fonde notamment sur l'un des quatre critères suivants
:
1. la gravité des manquements constatés
Cette notion doit bien entendu être appréciée concrètement.
Toutefois, la Cour de cassation a depuis longtemps indiqué
que cette inexécution devait être suffisamment grave pour
que la résolution soit prononcée (Cass. civ. 11 avril 1918,
DP 1921, 1, 224). La Cour d'appel de Paris a notamment appliqué
ce principe à un contrat de fourniture de matériel et logiciel
informatique. Le client réclamait la résolution du contrat
car son cocontractant avait fourni l'ensemble informatique
en retard. La Cour a estimé que la faute contractuelle du
fournisseur était d'une gravité insuffisante pour entraîner
la résolution du contrat car le délai de livraison prévu au
contrat n'était pas impératif et ne revêtait pas de caractère
substantiel, et ce, d'autant plus, que le précédent système
informatique du client fonctionnait encore (Paris, 16 janvier
1990, D. 1990, IR p. 60).
2.
Le caractère déterminant de l'obligation non exécutée
Même en cas d'inexécution partielle, le Juge pourra prononcer
la résolution du contrat si l'inexécution porte sur une "obligation
déterminante" du contrat. La Cour de cassation en a notamment
décidé ainsi dans un arrêt de chambre commerciale du 20 juillet
1996 (Cass. com., 2 juillet 1996, pourvoi n° 93-14.130). Cette
solution n'est pas sans rappeler la jurisprudence bien connue
de la "cause impulsive et déterminante", en vertu de laquelle
- et la jurisprudence est constante sur ce point - si l'inexécution
d'un contrat porte sur un élément en l'absence duquel le client
ne se serait pas engagé, alors, la résolution du contrat est
justifiée.
3.
Le caractère divisible ou non du contrat
Afin de prononcer la résolution d'un contrat, le Juge a déjà
eu recours au critère de l'indivisibilité du contrat. Dans
le cas de la fourniture d'un système informatique "clés en
main", la jurisprudence a ainsi estimé que l'objet du contrat
d'entreprise était unique et qu'il était considéré par les
parties comme un tout indissociable. En conséquence, il a
été décidé que la résolution de ce contrat pouvait être prononcée
(Paris, 20 février 1998, RJDA 8-9/1998, n°945, p. 696). Sur
le fondement de ce critère, la jurisprudence a estimé que
la résolution pouvait être prononcée même en cas d'inexécution
partielle. Le Juge a en effet précisé que "la résolution pour
inexécution partielle atteint l'ensemble du contrat ou certaines
de ses tranches seulement, suivant que les parties ont voulu
faire une convention indivisible ou fractionnée en une série
de contrats" (Cass. civ. 1ère, 13 janvier 1987, Bull. civ.
n°11)
4.
La possibilité pratique de remettre les parties en l'état
où elles étaient avant d'avoir contracté
Rappelons que l'effet principal de la résolution est de remettre
les parties dans l'état où elles se trouvaient avant d'avoir
contracté. Ainsi, la restitution ou la destruction des prestations
accomplies et la restitution des sommes versées doivent être
effectuées, opération qui peut se révéler extrêmement délicate.
Pour tenir compte des effets pratiques de la résolution dans
le cadre d'un contrat d'entreprise, la Cour de cassation a
indiqué que "lorsque cette remise en état se révèle impossible
en raison de la nature des obligations résultant du contrat,
la partie qui a bénéficié d'une prestation qu'elle ne peut
restituer doit s'acquitter du prix correspondant à cette prestation"
(Cass. soc., 7 novembre 1995, JCP E 1996, II, 801).
A l'examen,
force est donc de constater que la jurisprudence a déjà eu
l'occasion de prononcer la résolution d'un contrat d'entreprise
malgré ses conséquences particulièrement graves pour le prestataire.
Pour se prémunir contre une telle décision le prestataire
pourra organiser dans le contrat des garde-fous, comme des
recettes intermédiaires, ou des lots pour assurer le paiement
définitif des prestations effectuées.
En tout
état de cause, il conviendra pour ledit prestataire de rédiger
et d'exécuter le contrat en gardant à l'esprit qu'un manquement
grave sur une partie déterminante d'un contrat indivisible
a de grandes chances d'entraîner la résolution de celui-ci
De son côté, le client-utilisateur souhaitera se réserver
dans le contrat, par le biais d'une clause dite résolutoire,
la faculté de demander la résolution du contrat en cas d'inexécution
de la part du prestataire. Le contrat pourra même stipuler
la résolution de "plein droit", c'est-à-dire sans avoir à
recourir à une décision judiciaire.
[jperlemuter@salans.com]
A
lire également :
Au
sommaire de l'actualité
|
|