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Jeudi 23 mai 2002 -
Les
organismes locaux gérant les quelque 250 extensions
qui existent dans le monde mènent une action très
opérationnelle et concrète. Revue de détails.
L'actualité
des noms de domaines est souvent résumée à celle de l'ICANN
et des grands débats qui traitent des péripéties politiques
de la Gouvernance de l'Internet. C'est méconnaître l'action
des différents organismes gérant les diverses extensions.
Des
approches variées en fonction de la nature de l'organisme gérant
l'extension
On peut distinguer
plusieurs approches selon la nature de chaque "NIC" (pour "Network
Information Center"). Certains dépendent en effet de leurs Etats
nationaux, via des universités (au Chili par exemple), ou se
sont organisés sous forme d'associations à but non lucratif
(AFNIC en France). D'autres au contraire sont des entités commerciales
recherchant avant tout le profit (Verisign pour les .com, .net,
.org). D'autres enfin, hybrides, sont bien des associations
à but non lucratif, mais dont les membres sont exclusivement
des bureaux d'enregistrements (Denic en Allemagne, Nominet en
Grande-Bretagne)
Cette
diversité de situations explique en grande partie la multiplicité
des règles de dépôts de chaque extension, règles qui reflètent
la vision que le NIC a de sa mission et de son rôle, le cas
échéant, au sein de sa communauté internet nationale. Pourtant,
de grandes tendances se dessinent au-delà des complexités
de détail.
Le
développement du dialogue
La plupart des NICs ont commencé modestement, construisant
leur activité de "registre" autour d'une fonction essentiellement
technique. C'est avec la spectaculaire montée en puissance
de l'internet que cette mission a peu à peu évolué pour prendre
en considération les différents aspects économiques, juridiques
et politiques qui sont indissociables de la vie d'une extension.
Parallèlement à cet accroissement de leur mission, les NICs
ont de plus en plus cherché à développer un dialogue avec
leurs communautés locales respectives et entre eux, dans le
cadre de l'ICANN mais pas exclusivement. Ainsi, la création
du CENTR, qui regroupe les NICs européens, date-t-elle de
1999. Et dans bon nombre d'entre eux, les réformes qui ont
marqué les années 2000 et 2001 ont été conduites en s'appuyant
sur des appels à consultation publics.
Cet effort
de communication avec la communauté locale des utilisateurs,
ainsi qu'une plus grande ouverture aux enjeux mondiaux, marquent
une mutation profonde de la mission des NICs qui peuvent souvent
prétendre à jouer un rôle fédérateur, ou de point de rencontre,
au sein de leurs communautés internet locales. Si la fonction
de "registre" reste donc souvent au cur de l'activité du
NIC, elle pourrait la résumer de moins en moins.
Le principal
souci d'un NIC, qu'il soit de nature associative ou commerciale,
est de savoir définir précisément quels sont les besoins auxquels
il doit pouvoir répondre. Une tâche complexe dans un univers
où l'information est difficile à synthétiser. Mais plusieurs
expériences récentes permettent d'apporter quelques éclairages
sur ces questions.
Les
nouvelles extensions : un test peu concluant mais instructif
La première expérience, de l'aveu même de l'ICANN, est
le lancement des sept nouvelles extensions génériques décidé
en novembre 2000. Cette initiative plus ou moins imposée par
les "marchands de noms" répondait théoriquement à un besoin
des utilisateurs frustrés par la saturation du .com. D'après
les promoteurs des nouvelles extensions, le développement
même de l'internet aurait été compromis par la raréfaction
de bonnes adresses disponibles.
Mais les
faits ont montré que l'analyse n'était pas pertinente. La
ruée qui s'est produite sur les .info et les .biz était essentiellement
dictée par le souci de protéger des marques, pas par la volonté
d'utiliser les nouveaux noms (en mars 2002, six mois après
la fin des deux "sunrise periods" tant sur le .biz que sur
le .info, 1% seulement des centaines de milliers de noms déposés
étaient vraiment utilisés).
Côté extensions
fermées, réservées à certaines catégories spécifiques d'utilisateurs,
comme le .aero (compagnies aériennes etc), le .name (noms
de personnes physiques), le .coop (coopératives) ou le .museum
(musées) le bilan n'est pas non plus très euphorique. Ces
extensions sont encore largement en phase d'introduction mais
il faudra certainement beaucoup de temps avant de voir les
internautes s'en servir aussi communément que les .com ou
les extensions locales existantes (.fr, .de etc).
Les
extensions locales déclinées en extensions génériques
Autre expérience qui connut son apogée en l'an 2000, lorsque
la folie internet jetait ses derniers feux : le fait de commercialiser
une extension locale particulièrement signifiante comme si
elle avait une vocation générique, mondiale. Le plus bel exemple
de ce genre de pratique fut le .TV, extension des îles Tuvalus
dans le Pacifique, commercialisée comme le "point television".
Autres exemples moins connus, le .LA (Laos) qui aurait dû
faire fureur à Los Angeles, le .MU (île Maurice) pour "music",
et jusqu'au .SR (Surinam) actuellement commercialisé à l'intention
des seniors
Mais
dans la plupart des cas, les explications échevelées des argumentaires
commerciaux n'ont pas convaincu les internautes. Et le .TV
lui-même, au bord de la faillite, a été racheté par Verisign
fin 2001.
Les
tendances lourdes des chartes : dépôts rapides et gestion
des litiges
En parallèle de cette quête de la définition des besoins de
l'internaute, qui reste encore à peine ébauchée, se sont développées
des politiques de réformes importantes au sein de chaque NIC.
Ces réformes étaient rendues nécessaires par l'afflux considérable
de demandes d'enregistrement auquel la plupart des grands
NICs ont dû faire face à partir de 1998, et par l'aspect pénalisant
de certaines règles trop strictes.
Courant
2000 et 2001, de nombreux NICs ont donc fait évoluer leurs
règles d'enregistrement pour assouplir les conditions de dépôts
des noms sous leurs extensions. Les principales modifications
portaient sur le nombre de noms maximum autorisé, sur la similitude
entre les noms déposés et le nom de leur titulaire, sur les
justificatifs à fournir, sur la simplification des procédures
d'enregistrement, et parfois même sur le critère-clef de la
présence locale.
Avec des
variantes importantes, bon nombre de NICs tendent aujourd'hui
vers le modèle anglo-saxon organisé autour des .com, .net
et .org, qui permet des dépôts très rapides, automatisés et
donc peu coûteux, combiné à des procédures relativement efficaces
de gestion des litiges.
Des
dispositifs juridiques en voie de durcissement
Reste à savoir si cette évolution répond vraiment aux
besoins des utilisateurs sur le long terme. Car l'intérêt
de ce système rapide est immédiat pour le marchand, qui peut
grâce à lui espérer pouvoir jouer la carte de la quantité,
et donc réaliser de substancielles économies d'échelle.
Mais pour
l'internaute, devoir naviguer sur des sites internet dont
rien ne lui garantit qu'ils sont bien les sites officiels
des sociétés qu'il recherche est un fait plutôt pénalisant,
surtout à l'heure d'une volonté renforcée de sécuriser l'internet.
Si certains NICs, comme l'AFNIC, ont depuis longtemps répondu
à cette question en pratiquant des contrôles en amont, au
moment des dépôts, les pays anglo-saxons doivent gérer le
problème autrement. Et les solutions actuellement mises en
place consistent à commercialiser des certificats d'identité,
ce qui continue de faire l'affaire des marchands au détriment
des utilisateurs, ou à voter des lois très dures quant au
cybersquatting. Une loi adoptée ce mois-ci par le Congrès
américain porte ainsi à cinq ans de réclusion la peine encourue
par une personne ayant donné de fausses informations au moment
du dépôt d'un nom de domaine.
Un
système encore évolutif
Cette
combinaison de souplesse au moment de l'enregistrement, qui
ouvre la porte à tous les abus, et de législations liberticides,
risque bien d'être un coktail assez détonant pour l'avenir
de l'internet et de ses utilisateurs. Cependant l'ouverture
croissante des NICs et le développement du dialogue avec les
internautes est un ferment d'espoir important pour une évolution
du DNS dans le sens des désirs réels de ceux qui l'utilisent
tous les jours - pourvu que ceux-ci y participent.
[Loïc
Damilaville]
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