Le
très respecté BusinessWeek fête son
70ème anniversaire. Dans ce numéro spécial,
on trouve un dossier sur "l'ère de l'Internet" (the
Internet age) avec des éléments factuels confirmant
une tendance lourde : la sous-traitance industrielle généralisée
grâce à Internet.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes. En 1998, seulement
15 % de la production industrielle américaine
est passée par des sous-traitants (locaux ou off-shore).
La proportion devrait atteindre 40 % dès l'an
2000.
Les marques célèbres comme IBM, HP ou SGI
(ex Silicon Graphics) sont perçues comme étant
d'abord des forces industrielles. Mais en réalité,
les vendeurs participent de plus en plus à la conception
des produits qu'ils commercialisent. IBM, HP et SGI font
en effet appel à des sous-traitants comme Solectron,
Flextronics et Celestica à qui ils ont vendu certaines
de leurs usines pour fabriquer une part croissante de leur
gamme de produit.
C'est Cisco qui incarne le mieux et profite le plus de cette
nouvelle organisation du travail rendue possible par l'Internet.
Cisco est souvent cité en exemple dans les études
sur le commerce électronique, près de 80%
de ses 8 milliards de dollars de ventes transitant par son
site Web. Cette constatation spectaculaire ne montre pas
le plus intéressant : Cisco fonctionne d'ores
et déjà selon le schéma de l'entreprise
élargie.
Sur les 30 usines qui fabriquent pour Cisco, seulement deux
(2 !) appartiennent en propre au "Microsoft du réseau".
Toutes les autres sont aux mains de sous-traitants dévoués
et profondément intégrés. Mais Cisco
pratique la délégation de fabrication en gardant
un il attentif sur les opérations, grâce à
une utilisation intensive (et quasi inédite) de l'Internet.
Carl Redfield, vice-président de Cisco pour les opérations
industrielles, déclare "nous savons ce que fait pour
nous chaque fournisseur à tout moment !".
Ainsi, ce schéma futuriste permet à près
de 40 % des produits vendus d'être livrés
directement aux clients sans transiter aucunement par Cisco
Le numéro un des réseaux est donc parmi les
premiers à avoir réussi le pari du tout-Internet :
prise de commande sur le Web, transmission aux sous-traitants
via Internet, suivi de processus en ligne, tracing/tracking
des livraisons sur le site du logisticien (UPS, FedEx ou
autres), et support technique (assistance au démarrage
et problèmes fréquents) via un Web dédié
très riche et fréquenté.
Si Cisco a pu le faire, d'autres vont forcément suivre,
dans tous les domaines, tous les secteurs économiques.
Prenons le cas de l'automobile, secteur emblématique
du monde de l'industrie lourde, où l'inertie est
patente, et pour lequel on peut penser que l'impact de l'Internet
va se limiter au marketing. En fait, l'impact marketing
a déjà eu lieu avec "auto-by-tel", qui permet
de commander sa future voiture grâce au Web en obtenant
des conditions pré-négociées. L'influence
de l'Internet sur les constructeurs automobiles va aller
bien au-delà de sites faisant office de "show rooms
virtuels". L'utilisation intensive du Net est indispensable
afin d'atteindre la "construction à la commande"
en cinq jours
Cet objectif n'est pas un fantasme délirant, et devient
une nécessité pour suivre le mouvement impulsé
par certains constructeurs japonais et quelques spécialistes
du haut de gamme. Comme dans d'autres domaines, le mot d'ordre
marketing du jour pour l'industrie automobile est la "personnalisation".
Porsche incite depuis toujours ses clients à commander
leur voiture avec de nombreuses options (ça fait
grimper la facture !), et la taille réduite du célèbre
fabriquant de modèles sportifs favorise une construction
presque sur-mesure. Plus significatif, Mercedes indique
que seulement 10% de sa production de voitures particulières
rentrent dans un cadre "standard". Tout le reste est [déjà]
personnalisé avec plus ou moins de profondeur
La construction à la commande (le fameux "build to
order" cher à Dell) est devenue un argument de vente,
et c'est dans ce sens qu'il faut comprendre l'accord récent
entre Ford et Microsoft autour du site CarPoint. General
Motors veut aussi aller dans cette direction avec e-GM.
Or, fabriquer à la demande réclame un tout
nouveau modèle d'organisation de la production afin
que cette dernière soit rentable.
En effet, les chaînes d'assemblage d'aujourd'hui sont
optimisées pour une production de masse et donc,
forcément standard, d'où la fameuse boutade
d'Henri Ford : "vous pouvez choisir la couleur de votre
voiture : noir !". Avec les chaînes actuelles, il
faut des semaines pour assembler une voiture personnalisée :
trop long donc trop cher ! Toyota est le premier à
avoir défini l'objectif de cinq jours à atteindre
en matière de délai.
Mais, comme l'explique un cadre de GM, "si vous essayez
de coordonner les opérations nécessaires à
la construction d'une voiture personnalisée en cinq
jours avec seulement des liasses de papier et des coups
de téléphones, vous n'y arriverez jamais !".
D'où le recours inévitable à une informatisation
en profondeur du suivi de fabrication.
Les constructeurs ont déjà tenté par
le passé de relier entre eux tous les intervenants
de la chaîne de montage via l'EDI (échange
de données informatisé). Mais personne n'a
réussi à dépasser le taux de 20 %
des échanges via les systèmes traditionnels
d'EDI lourds, coûteux et propriétaires. Avec
le recours à l'Internet, l'objectif d'atteindre 90 %
des échanges ne paraît plus hors de portée.
Le mouvement est en plein boom et les mises en uvres se
multiplient : Ford, Volvo, Toyota et d'autres sont en train
de mettre en place des chaînes logistiques intégrées.
Depuis la prise de commande sur le Web jusqu'au suivi de
livraison au concessionnaire en passant par la coordination
des sous-traitants, tout passe par l'Internet.
Tous ces constructeurs ne déploient pas des efforts
de cette envergure simplement pour faire plaisir aux consommateurs.
Il s'agit aussi d'atteindre les objectifs de rentabilité
déjà affichés par des pionniers comme
Dell ou Cisco. Car tous ces stocks de voitures produites
en masse, qui attendent des semaines sur les parkings des
vendeurs, représentent des immobilisations énormes.
Le passage d'une production de masse/standardisée,
qui doit être vendue par la suite à une production
personnalisée/à la demande et qui est pré-vendue,
pourrait représenter une économie d'au moins
30% des coûts d'exploitation.
Voilà pourquoi même l'industrie lourde va devoir
bouger désormais à la vitesse de l'Internet.
Si des secteurs aussi conservateurs sont à ce point
concernés, avez-vous réfléchi aux conséquences
sur votre business ?
[Alain
Lefebvre, vice-président du groupe SQLI]