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par Christiane Féral-Schuhl
avocat associé
Salans Hertzfeld & Heilbronn
Intégrant l'activité de
FG Associés |
Les projets
informatiques face aux procédures collectives
Un projet informatique peut être fortement
ébranlé par la précarité économique de l'un des partenaires.
Ces dix dernières années, de nombreuses entreprises du secteur
informatique, ainsi que leurs clients, ont fait l'objet de
procédures collectives. Dès lors, de multiples questions émergent.
D'autant plus que le législateur n'a accordé à ce secteur
d'activité (création d'une uvre multimédia, infogérance,
maintenance d'un parc informatique, distribution de logiciels
et de matériels, etc.) aucun dispositif particulier. Pour
traverser la tempête, il faut donc se montrer imaginatif et
utiliser les outils fournis par le droit commun !
1.
Un projet informatique confronté au bouleversement des règles
du jeu
L'équilibre financier, technique et relationnel du projet
informatique sera sensiblement atteint par la mise en redressement
judiciaire du fournisseur, du prestataire ou du client. Deux
illustrations suffisent pour s'en convaincre.
Quel est le sort des créances non recouvrées au jour du
jugement d'ouverture ?
A compter du jugement d'ouverture, les fournisseurs et
prestataires ne peuvent plus poursuivre en recouvrement leur
débiteur pour des sommes dues antérieurement à cette date.
Il faut donc déclarer la créance au passif de la procédure
entre les mains du représentant des créanciers dans un délai
de deux mois à compter de la publication du jugement d'ouverture.
Passé ce délai, la créance s'éteindra, sauf à demander au
juge-commissaire, sous un an à compter du jugement d'ouverture,
un relevé de forclusion en prouvant que la défaillance n'est
pas due à leur propre fait (article 53 de la loi du 25 janvier
1985).
Quels sont les droits de l'utilisateur
d'un logiciel bogué dont l'éditeur est en liquidation judiciaire
?
Une hypothèse fréquente est celle de l'utilisateur d'un
logiciel qui, confronté à une anomalie bloquante, ne peut
se retourner contre l'éditeur, ce dernier étant en liquidation
judiciaire. Il est donc utile que le contrat de licence stipule
que le licencié pourra avoir accès aux codes-source déposés
par l'éditeur auprès d'un séquestre. En l'absence d'une telle
stipulation, l'utilisateur est légalement autorisé à reproduire
et modifier le logiciel, notamment aux fins de correction
des erreurs (article L.122-6-1 du Code de la Propriété Intellectuelle).
Cependant, le contrat de licence peut réserver à l'éditeur
ce droit de correction, d'où la nécessité, dès la rédaction
du contrat, d'anticiper cette situation, même s'il sera souvent
difficile d'obtenir cette garantie !
2. Le sort des contrats en cours
lors de la mise en redressement ou liquidation judiciaire
d'un des partenaires du projet informatique
Le dépôt de bilan ne signifie pas toujours la disparition
de l'entreprise, même si en pratique 95% des procédures collectives
conduisent à une liquidation judiciaire
Le Tribunal ouvre
une période dite "d'observation " durant laquelle un administrateur
judiciaire est nommé.
Peut-on se désengager d'un contrat avec un partenaire soumis
à une procédure collective ?
Il est tentant pour les partenaires de l'entreprise en difficulté
de se désengager au plus vite. Cependant l'administrateur
a la possibilité d'exiger la poursuite des contrats en cours,
à savoir notamment des contrats de fourniture de biens ou
de services (par exemple, contrats de fourniture d'un système
informatique " clé en main ", contrat de maintenance, contrat
d'infogérance, etc.), de ceux de délégation de personnel (assistance
technique) ou encore de location.
Ainsi, le seul pouvoir d'un maître d'ouvrage confronté au
dépôt de bilan de son prestataire informatique est de mettre
en demeure l'administrateur d'avoir à se prononcer sur la
poursuite ou la cessation du contrat. En cas de silence de
l'administrateur pendant un délai d'un mois, le contrat en
cours d'exécution est résilié de plein droit (article 37 de
la loi de 1985). De même, si l'administrateur renonce expressément
ou ne répond pas à la demande du fournisseur d'un logiciel
relativement à la poursuite du contrat, le contrat de licence
d'utilisation est automatiquement résilié. En cas de poursuite
de l'utilisation du logiciel par le licencié, ce dernier pourrait
être poursuivi pour contrefaçon.
Quid des relations contractuelles en cas de cession de
l'entreprise à un tiers repreneur ?
Toute clause d'incessibilité du contrat est également
inopposable à la procédure collective dans le cas d'un plan
de cession de l'entreprise à un tiers repreneur. La loi de
1985 prévoit en effet un système de cession forcée des contrats
lorsqu'ils sont nécessaires au maintien de l'activité (article
86). Cette cession judiciaire s'applique notamment aux contrats
de crédit-bail, de location ou de fournitures de biens ou
de services.
Cette dernière catégorie est si vaste que l'on peut presque
tout y inclure. Ainsi, un contrat portant sur un logiciel
peut constituer un actif essentiel au fonctionnement de l'entreprise.
Cependant, si cette règle est applicable sans exception aux
contrats de licence de logiciels, elle doit être nuancée pour
certains contrats où l'intuitu personae peut être pris en
considération. Ce sera notamment le cas d'un contrat de réalisation
d'un logiciel, lorsque le maître de l'ouvrage aura sélectionné
son fournisseur à l'issue d'un appel d'offres, en considération
de critères tenant par exemple à la surface financière de
l'entreprise ou son expérience dans le domaine d'activité
considéré.
En pratique, il s'avère que, très souvent, le cessionnaire
de l'entreprise a acquis du matériel informatique sans que
lui-même, ni l'un des organes de la procédure, ni le jugement
emportant cession, n'ait envisagé la transmission des contrats
de licence des logiciels présents sur les disques durs.
En de tels cas, le repreneur qui n'est titulaire d'aucun droit
d'utilisation sur les logiciels, devra soit les effacer de
ses ordinateurs, soit régulariser sa situation auprès des
ayants-droit. A défaut, il commettrait une contrefaçon.
3. Le sort des droits de propriété
Comment gérer la titularité des droits d'auteur sur l'uvre
en cours de développement ?
En cas de cession des droits au maître de l'ouvrage, il
est important de prévoir que cette cession se réalisera au
fur et à mesure des développements. Ainsi, en cas de procédure
collective ouverte contre le prestataire informatique, le
client n'aura aucune difficulté à revendiquer la titularité
des droits sur l'uvre en cours de développement, par exemple
la dernière version des codes-source. L'enjeu d'une telle
clause est de taille puisqu'elle détermine la possibilité
pour le client, sans risquer le délit de contrefaçon, de confier
à un tiers l'achèvement de l'uvre multimédia ou logicielle.
Comment un fournisseur non payé peut-il revendiquer la
propriété des produits livrés à l'entreprise cliente mise
en redressement judiciaire ?
Si le fournisseur informatique d'une entreprise mise en redressement
judiciaire prouve son droit de propriété sur le matériel livré
(le loueur ou encore le crédit-bailleur), il pourra, aux termes
de l'article 115 de la loi de 1985, exercer une action en
revendication dans un délai de trois mois à compter de la
publication du jugement d'ouverture ou à compter de la date
de résiliation ou de terme du contrat (par exemple, un contrat
de location ou de dépôt). Il est à noter qu'en cas de contrats
publiés (tout particulièrement les contrats de crédit-bail
très fréquents en matière informatique), les propriétaires
des biens sont dispensés d'avoir à revendiquer pour obtenir
la restitution de leurs biens. Cependant, en matière de vente
à crédit, même si in fine le prix n'est pas intégralement
payé, la propriété des biens est automatiquement transférée
à l'acquéreur, dès accord sur le prix et sur la chose vendue.
Dès lors, le fournisseur ne pourra que déclarer sa créance
à la procédure. Cependant, le contrat peut déroger à ce transfert
automatique de propriété dès la signature du contrat en y
insérant une clause de réserve de propriété.
C. F-S. (septembre 2 000)
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