Oracle s'est implanté en France depuis 13 ans. La
filiale française est la quatrième au monde
avec plus de 1200 partenaires. Aux Etats-Unis, Lawrence
Ellison, PDG de la firme, a annoncé la réduction
du prix de ses bases Oracle8i pour augmenter les ventes
de ces produits, et réduit les frais d'assistance technique
aux clients. Quel est le poids d'Oracle dans le commerce
électronique, pourquoi Oracle Expo n'a pas eu lieu
cette année, quelle importance le mastodonte des
bases de données accorde-t'il aux start-up d'Internet
et comment les plus de 1500 employés de la filiale
française vont-ils passer aux 35 heures ? Autant
de questions, auxquelles a répondu Jimmy Anidjar.
Propos recueillis le 17 décembre 1999 par Alain
Steinmann
JI:
Quelle est la place d'Oracle sur Internet aujourd'hui ?
N'avez
vous pas raté le coche de l'e-business au profit
de vos concurrents, SQL etc ?
Jimmy Anidjar: C'est bien simple : SQL n'existe pas
sur le Net. Prenez le top 10 des sites business to business,
ils sont tous équipés d'Oracle sauf un : IBM.
Prenez le top 10 des sites business to consumer, 10 sur
10 sont équipés par Oracle. Si vous voulez
aller plus loin, prenez le top 50 où nous avons 93%
de part de marché ou le top 100 où 77% des
sites utilisent des technologies Oracle quand ils ont des
bases de données.
Et
en France ?
Air
France, Degriftour, Conforama ou Ducasse Online (le prochain
Château-Online killer) ont choisi Oracle. La recette est
simple. Dès qu'une entreprise veut avoir du succès, elle
passe sous Unix pour sa robustesse. Broadvision, Vignette
et d'autres fonctionnent grâce à nos logiciels. Même sous
NT, nous l'emportons avec 46% de parts de marché, contre
25% à Microsoft. Les outils de développement du marché sont
créés pour Oracle, c'est tout.
Pourtant, peu de start-ups
choisissent vos technologies quand elles démarrent
C'est vrai, elles utilisent d'autres technologies. Il y
a trois ans, elles choisissaient les produits Microsft.
Aujourd'hui, plus de 50% d'entre elles utilisent Linux et
des systèmes gratuits. Mais regardez l'évolution : une "dot
com" qui a trois ans a refait 2 ou 3 fois son système d'information.
Et quand elle a décollé, elle retient quasiment tout le
temps Unix avec Oracle pour sa gestion de données.
Si
les start-ups ne démarrent pas avec vous, c'est parce que
vous êtes trop cher ?
Non,
c'est une contre-vérité. En fait c'est une barrière psychologique
qui vous fait penser "Linux est gratuit, Microsoft n'est
pas cher et peu robuste et Oracle est robuste mais hors
de prix." Rien de tout cela n'est vrai. Linux est loin d'être
100% gratuit et Microsoft n'est pas moins cher que nous,
nos prix sont alignés sur ceux de Redmond.
Quelle
est votre politique avec les start-up ? Allez vous vous
diriger dans la même direction que les Andersen et Price
en proposant vos services contre une part de capital ?
Il faut savoir distinguer les effets d'annonces
de la réalité. Aujourd'hui, pour faire monter le cours de
son action, il suffit de mettre un "dot com" derrière son
nom. Certaines annonces n'ont qu'un objectif, faire monter
le cours de l'action de la société dont elles émanent. Le
vrai don se traduit en cash ou en matière grise. Oracle,
Price ou Andersen ne vont pas se transformer en venture
capitalists, ce n'est pas notre job.
Quel
est l'objectif de 2BeCom (voir notre article du 23 novembre 1999)?
Ce que
nous allons faire avec 2BeCom, c'est équiper les entreprises
dès leur naissance avec des technologies puissantes et stables.
Car aujourd'hui, celles qui réussissent sur le marché sont
celles qui peuvent proposer de nouvelles applications très
rapidement. C'est le concept de "time to market." Concrètement,
cela permettra aux personnes de se logger sur 2BeCom et
d'y donner les grandes lignes de leur business plan. Ensuite,
en fonction d'une évaluation, nous les orienterons vers
telle ou telle technologie, telle ou telle structure.
Mais
les start-up ont-elles les moyens de s'équiper avec Oracle
avant la troisième année ?
Le problème du prix n'existe pas. En fonction
du business plan, on a toute la panoplie de produits possible.
J'ai déjà des clients qui me donnent 0 franc. Prenez l'exemple
de France Telecom hébergement. Au départ, nous leur avons
taillé des machines avec des paquets de softs. En fonction
de la hausse de leur activité, nous augmentons les possibilités
et donc le coût.
Vous
cherchez à devenir ASP (Application Service Provider) avec
votre offre d'hébergement d'application ?
Aujourd'hui,
le terme ASP recouvre tout ou presque : des infrastructures
ou financement d'applications en passant par le facilities
management. Ce que nous proposons, c'est l'hébergement d'application
avec mutualisation, donc partage des coûts. Oracle Business
Online, c'est donc une formule pré paramétrée avec du zéro
spécifique.
Des
exemples ?
Aux
Etats-Unis, nous avons 39 clients en ligne avec 4000 terminaux.
Ce sont des start-up, des PME ou des départements de grands
groupes. Par exemple, une solution de gestion de comptes
pour les TPE est accessible uniquement sur le Web à quelques
dizaines de dollars par mois, payable directement par carte
bleue.
Quel
est votre objectif ?
Premièrement,
nous voulions servir d'effet de levier pour nos partenaires.
Ensuite, notre objectif était de revoir notre positionnement.
Historiquement, nous sommes sur le haut de gamme et nous
visions le très haut de gamme. Aujourd'hui nous cherchons
aussi à descendre le plus bas possible. Par exemple, le
CD-Rom Euroconverter que vous trouvez chez tous les distributeurs
de produits multimédia, repose sur des technologies Oracle.
Comment
va évoluer votre modèle de vente avec Internet ?
Nous réalisons 50% de nos ventes en mode
direct et 50% en mode indirect ou influencé. Les ventes
directes concernent essentiellement les grands choix d'infrastructure
ou les achats effectués au fil de l'eau via notre call
center. Le basculement de notre call center sur le Web
est en cours, c'est Oracle Store. Les commandes sont déjà
possibles sur le marché US, elles le seront bientôt en
Europe. L'utilisateur pourra toujours dialoguer avec nous
à l'aide d'un "call me button" qui basculera vers une
forme évoluée de call-center que nous appelons "interaction
center." Nous avons pour objectif de réaliser 80% de nos
ventes en volume sur le web, contre 35% actuellement via
notre call-center. Notre modèle de vente a évolué en fonction
de la demande de nos clients.
Comment
anticipez vous les conséquences du choix de DB2 par SAP
?
SAP a choisi successivement Informix, SQL,
Adabase et aujourd'hui DB2. Oracle est présent dans l'ensemble
de l'entreprise et pas seulement dans le système de gestion
comptable. Quand SAP occupe le marché de la gestion de
compte de l'entreprise X, 50 autres applications utilisent
Oracle. DB2 sur MVS, c'est moins de 2% des ventes de SAP,
sur AS/400, c'est moins de 1%. Aujourd'hui, 75% des clients
de SAP sont sur Oracle et notamment 70% des clients utilisent
des machines Unix/HP et l'annonce ne concerne pas ce secteur.
Cette annonce, c'est bel et bien un non événement. Les
clients de SAP ne vont pas déployer 10 postes en DB2 lorsque
les 100 précédents tournent sur Oracle. Ils ne vont pas
non plus faire migrer leurs applications Oracle vers autre
chose.
A
propos de SAP, des critiques virulentes se sont élevées
contre mySAP.com. Qu'en pensez-vous ?
C'est
un fourre-tout qui regroupe plein de choses. Ca ressemble
à un outil collaboratif, à un "marketplace" et à un
système de gestion des achats internes. C'est devenu
un slogan sans qu'il y ait un véritable produit substantiel
derrière.
Pourquoi
ne pas avoir organisé d'Oracle Expo cette année ?
Notre public avait mieux à faire à cette
époque de l'année je pense [Oracle Expo avait traditionnellement
lieu la deuxième semaine de décembre, ndlr]. C'est uniquement
pour cela car chaque édition était plus belle que la précédente.
L'année dernière nous avions 140 partenaires et nous avons
accueilli 11000 visiteurs. Nous allons peut-être revisiter
la formule. Quand on veut arrêter quelque chose, il vaut
mieux l'arrêter en plein succès qu'en plein échec. Plusieurs
questions se posent : migrer sur le Web ou organiser un
salon plus classique, relancer la manifestation en septembre
ou en décembre, etc.
Vous
avez recruté plus de 500 personnes l'année dernière. Quel
est votre prochain plan de recutement ?
Nous
recherchons pour nos besoins internes de 200 à 500 personnes
et 500 personnes pour quelques 60 partenaires qui nous ont
confié leur recrutement.
Vous
n'avez pas de difficultés à trouver des salariés ?
Au risque
de paraître arrogant, non. La difficulté dont vous parlez
est réelle pour les entreprises qui n'ont rien d'autre à
offrir qu'un job. Le mot Oracle figure statistiquement dans
2 petites annonces de recrutement sur 3 et dans 100% des
annonces d'organismes de formation externes. Les salariés
qui sont passés chez nous ont un fort taux d'employabilité
et ça se comprend. C'est aussi pour cela que nous ne nous
livrons pas à une course aux salaires. Les salaires mirobolants,
c'est pour les start-up qui n'ont que ça à donner à leurs
employés.
Vous
faites partie du Syntec. Comment se passe la mise en place
des 35 heures chez Oracle ?
Nous
n'avons rien signé avec la représentation du personnel.
En ce moment, nous sommes dans un no man's land législatif.
La première loi est défavorable aux salariés puisque l'appliquer
consisterait à réduire les salaires de 11,4%. Je pense que
la profession est calée sur une logique d'application au
1er janvier et attend un accord de branche qui sera appliqué
dans toutes les entreprises. Le partage des coûts des 35
heures semble brûlant avec les dernières déclarations du
Cigref qui ne veut pas d'une hausse des tarifs
Chez nous,
ça se fera à coûts constants. Quoi qu'il en soit, il va
falloir que la communauté partage le "fardeau." Les fournisseurs
devront augmenter leur productivité pour en juguler une
partie, les salariés devront admettre une modération salariale
et le reste supporté par les clients, que le Cigref soit
d'accord ou pas.
Pour
terminer, Lawrence Ellison (pdg d'Oracle US) a récemment
proposé de scinder Microsoft en 4. Qu'en pensez-vous ?
Larry
a fait une boutade sur le sujet. La vraie décision c'est
comment se passera le découpage puisque la position de monopole
semble acquise. Si on découpe par produit, on aura toujours
des monopoles