Il y a plus d'une semaine, Jean-Claude Carasco nous
confiait son opposition aux grèves dans un
article
publié le 25 novembre. Aujourd'hui,
le président de la Fieci prend les devants
sur les autres syndicats.
Il vient en effet de diffuser un communiqué
appelant les informaticiens à une grève
à partir du 31 décembre "partout
où les négociations n'auront pas abouti".
Une situation qui risque de perturber, au moment le
plus critique, le bon déroulement des opérations
de passage à l'an 2000...
Propos recueillis le 13 décembre 1999 par
François
Morel
JI:
Qu'est-ce
que la Fieci ?
Jean-Claude
Carasco : C'est la fédération, à
la CFE-CGC, qui regroupe le personnel d'encadrement
des SSII, sociétés d'études,
de conseil et d'ingéniérie. En totalité
nous sommes environ 1 800 personnes, bien que
la Fieci n'ait que 4 véritables adhérents
qui sont des syndicats.
Comment a été
prise la décision d'appeler à la grève
le 31 décembre ?
Le congrès de la fédération s'est
tenu le week-end dernier à Avignon. Il y avait
57 délégués présents,
chacun représentant 50 personnes. Concernant
cette décision, nous avons voté à
main levée. Personne ne s'est opposé
et seulement 3 d'entre nous se sont abstenus.
Dans
quel contexte s'inscrit cet appel ?
Nous avons fait le point lors du congrès, et nous
avons pu constater que la plupart des grandes SSII continuaient
de lambiner. Steria, par exemple, recommence à faire
des propositions maintenant, après la grève
de Toulouse. Au delà de ces dispositions, je m'engage
à ce que l'accord de branche soit appliqué
de façon exemplaire. Il est clair que beaucoup d'entreprises
pensent que la deuxième loi est plus intéressante
que l'accord. Mais dans le même temps, la base nous
pousse à être plus radical, et réclame
des mouvements dès maintenant.
Comment
vous situez-vous par rapport aux textes ?
Nous
soutenons l'accord Syntec et nous voulons qu'il soit
appliqué. En ce qui concerne la deuxième
loi, nous sommes tous un peu plus réservés.
L'accord comporte des avantages qui ne sont pas dans
la loi. Concernant son passage devant la commission,
le ministre de l'emploi prend ses responsabilités.
En cas de rejet, s'il y a des problèmes le
31 décembre, Mme Aubry saura pourquoi.
Quel
est le bilan des négociations ?
Les
grandes entreprises et le Syntec ont été pressés
par la signature d'un accord de branche. Nous l'avons entérinée
le 22 juin, et je pense que c'est un bon accord. Depuis,
soit les patrons font des propositions en dessous, soit
ils ne veulent pas négocier.
Pourquoi
avez-vous opté pour le 31 décembre ?
A
partir du moment où nous voulons la grève,
il faut la faire quand ça fait mal. Comme Air
France au moment du mondial, et la SNCF au moment
des départs. Depuis octobre, toutes sortes
de mouvements ont vu le jour. Mais je préfère
une action forte à des bribes d'actions en
permanence.
Quelle
est votre stratégie ?
Mettre
les entreprises devant leurs responsabilités. Soit
elles laissent le temps passer en continuant à croire
qu'il n'y aura pas de problème, soit elles prennent
les devants et nous ne nous mettrons pas en grève.
D'autre part, pour une fois nous prenons l'initiative, et
cette annonce sera sûrement suivie par les autres
syndicats.
Pouvez-vous
nous communiquer leur réaction ?
Je
n'ai pas encore eu le temps d'appeler les autres confédérations
syndicales. J'ai eu trois patrons qui ont réagi ce
matin au téléphone.
Que
disent-ils ?
Ce
sont des dirigeants de grandes SSII. Un DRH m'a appelé
longuement ce matin et m'a engueulé. Je lui ai simplement
expliqué ma position : "nous avions 6 mois
pour négocier, et vous en avez profité pour
vous aligner sur la CGT en disant que l'accord n'était
pas bon". Et maintenant, voilà le résultat
!
Pensez-vous
que vos menaces vont aboutir à une prise de conscience ?
J'espère
! Je souhaite qu'elles ne soient qu'un coup d'épée
dans l'eau. Je dis toujours ce que je vais faire avant.
La grève est je crois un acte ultime et grave.
Et là, je dois dire que c'est pratiquement
la première fois que j'appelle à la
grève. Je me sens humilié que le Syntec
n'ait pas négocié dans les entreprises.
N'est
il pas déjà trop tard pour certaines SSII
?
C'est
leur problème. Si vous avez un train à prendre
à 15h45 et que vous êtes toujours au bureau
à 15h40, vous serez forcément en retard. La
loi Aubry existe depuis un bon bout de temps. Tout cela
ne date pas d'hier. Bien sûr, si des entreprises font
des propositions intelligentes le 30 ou le 31 décembre,
nous les étudierons. En fait, je ressens leur attitude
comme du mépris. Je ne mendie pas. Je demande seulement
que l'on applique ce qui est prévu. Point. Il y a
quand même un contrat à respecter entre nous...
Que
ferez-vous si l'entrée en application de la
loi est décalée au 1er février ?
Cela ne va rien changer. Il n'y a
plus de report possible, les entreprises ont eu tout le
temps pour négocier. Si on commence comme ça,
on peut aussi reporter la grève au 15 août.
Nous savons très bien que les clients s'interrogent
et que nous allons déranger les gens. Mais à
18 heures le 31 décembre, nous rangerons
nos crayons et nous rentrerons chez nous. De plus, ce n'est
pas seulement le 31 que nous appelons les informaticiens
à faire grève, mais "à partir
du 31".
N'avez-vous pas peur d'être
qualifié d'irresponsable ?
A l'époque
du mouvement dans les transports routiers, tous les grévistes
ont été qualifiés d'irresponsables.
Je pense au contraire avoir été très
responsable. Attendre 6 mois qu'un accord soit signé,
il fallait le faire ! Ce sont plutôt les dirigeants
des SSII qui sont irresponsables.
N'avez-vous
pas le sentiment de perturber une partie de l'économie ?
Certaines SSII ont vendu des
logiciels sans être sûres qu'ils passent
l'an 2000. C'est un peu abusif. Il faut être
sérieux, tout de même. Bon, c'est vrai
qu'il y a eu des problèmes et que certaines
essaient de rattrapper le coup, mais nous ne sommes
ni un service public, ni des médecins. D'ailleurs,
même ces derniers se mettent en grève.
En fait, dès que l'on touche à l'argent
de grandes sociétés, cela crée
des problèmes. Mais il y a des règles,
des lois... Je crois surtout aux rapports équilibrés.
Combien
cela va-t'il coûter aux SSII ?
A Toulouse, Steria a perdu plusieurs
dizaines de millions de francs. A mon sens, c'était
un peu radical. S'il n'y avait eu que moi, cette grève
n'aurait pas eu lieu. Mais c'est comme les impôts
: si vous ne payez pas à temps, vous déboursez
10 % en plus.
Comment
la base réagit-elle ?
Le
personnel de toutes les SSII est très remonté
car le débat n'avance pas. Les salariés
se demandent : "qu'est-ce que ça cache ?".
Beaucoup de gens se posent des questions. Du coup, on
risque de voir apparaître des coordinations d'informaticiens,
comme avec les infirmières, c'est à dire
des groupes de personnes qui se constituent pour discuter
entre eux sans les syndicats. Cela peut arriver, et là
on ne contrôle plus rien du tout.
Ne craignez-vous pas que d'autres
syndicats vous emboitent le pas avec leurs propres revendications ?
Ceux qui ne veulent pas de l'accord
Syntec auront la loi, avec des conditions de rémunération
moins avantageuses. Bien sûr, quand on allume une
mèche, il faut s'attendre à ce que cela
prenne feu. En fait, je joue peut-être l'apprenti
sorcier. Mais comme on ne sait pas ce qui va se passer
à partir du 31 décembre, c'est ça
qui fait peur. Chacun est libre de son choix.
A
votre avis, beaucoup de SSII seront-elles prêtes au
31 décembre ?
J'espère.
Beaucoup de chefs d'entreprises que je connais sont de très
bons techniciens, mais n'y connaissent rien en droit social.
Ce sont les DRH qui devraient savoir que, outre le fait
d'embaucher, gérer l'intendance qui est derrière
est aussi important. Je crois que maintenant, c'est aussi
le rôle de la presse économique que d'arriver
à faire prendre conscience.
Diplômé
en droit, Jean-Claude Carasco intègre
en 1967 la société d'assurance La
Compagnie du Soleil, qui devient le GAN un an plus
tard. C'est aussi à cette date qu'il démarre
sa carrière syndicale à la CGC en
tant que délégué suppléant,
puis élu du comité d'entreprise. Par
la suite, il occupe plusieurs postes dont, dans
les années 1980, celui de DRH de la société
de conseil North Western au niveau européen.
Par ailleurs administrateur d'une caisse de retraite,
il fonde le FAFIEC, le fond d'assurance formation
de la branche. Depuis 1993, Jean-Claude Carasco
est président de la Fieci. A 56 ans,
il travaille aujourd'hui dans une société
de conseil.
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