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Quand la nouvelle économie
sortira de sa crise d'adolescence
Par Paul-Emile
Cadilhac
Directeur du pôle Conseil au sein de Business
Lab
et ancien directeur Internet du Printemps
- Mardi 20 février 2001 -
Nous
vivons une époque formidable ! A l'heure où les bio-technologies
annoncent des révolutions, alors que les nouvelles technologies
ouvrent des horizons dignes des meilleurs romans de science-fiction,
un sujet fait l'objet d'un débat passionné : Internet et le sort
de la "nouvelle économie". Le tourbillon financier qu'on pensait
terminé enfle de plus belle et propose maintenant sa version catastrophe.
Hier encenseurs, aujourd'hui fossoyeurs, certains analystes prophétisent
la fin de l'Internet, le signe avant-coureur de l'apocalypse étant,
bien entendu, le dépôt de bilan annoncé d'amazon.world.
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Arrêtons
ce jeu de massacre! La spéculation financière a brouillé les cartes
d'une sphère naissante de l'économie. Trop facilement, des business
models sans aucun sens ont été financés puis portés aux nues par
les médias. Certains modèles avaient oublié que ce n'est pas parce
que l'économie est nouvelle qu'elle ne répond plus aux contraintes
de l'ancienne. Et certains financiers avaient oublié pour l'occasion
les critères d'évaluation éprouvés. Le résultat? Bon nombre des
sociétés qui portaient tous les espoirs d'une génération est prêt
à s'écrouler.
Ce
phénomène n'est pas sans me rappeler la crise d'adolescence, dont
les symptômes sont l'enthousiasme, la certitude de détenir la vérité,
un sentiment de puissance malgré une fragilité cachée, un état d'esprit
contestataire. Comment ne pas se laisser griser par ce rôle de donneur
de leçon dont la nouvelle économie s'est sentie investie ? Mais
voilà, dans le cadre d'Internet aussi, la capitalisation de l'expérience
reste une des clés de succès. Les financiers, les entreprises et
les nouveaux entrepreneurs sont amenés à avoir dorénavant de l'Internet
une vision moins subjective et plus rationnelle.
Le
nouveau modèle proposé n'est pas automatiquement plus rentable. |
Prenons
un exemple. Les nouveaux marchands se sont rués sur le web sous
prétexte que le modèle était plus rentable puisqu'il ne demandait
pas la mise en place d'un réseau physique. Adieu magasins, personnel
de vente et stocks. Le commerce électronique ouvrait grandes les
portes de la planète. Le cyber-commerce était, par essence même,
international et nul ne pouvait trouver de financement s'il n'annonçait
pas, au pire, un développement européen. Mais si la notion de "zone
de chalandise" a en effet volé en éclats, si la dématérialisation
de l'offre facilite sa diffusion, cela ne signifie en aucun cas
que le nouveau modèle proposé soit automatiquement plus rentable.
Dans
la "vieille" économie, la notion de "pas-de-porte" est une des clés
du succès. Le pas-de-porte, intimement lié à la notion de zone de
chalandise, garantit, pour ainsi dire à vie, un trafic "qualifié"
dont le volume est déterminé par la qualité de l'emplacement. L'investissement
peut être élevé mais sa rentabilité est garantie pourvu que le taux
de transformation soit au rendez-vous. Dans le monde réel, la contrainte
géographique fait que les taux de transformation sont élevés. De
30 à 40% jusqu'à plus de 90% dans les hypermarchés. Sur Internet,
ils sont au moins de 100 à 10.000 fois inférieurs. A panier moyen
égal, le trafic d'un site Internet devra être de 100 à 10.000 fois
supérieur à celui d'un magasin! Quand on sait le coût actuel d'une
visite sur le web, comment imaginer que, face aux distributeurs
traditionnels, les pures players aient obligatoirement une chance
de survie? La problématique n'est pas nouvelle mais le monde en
prend conscience maintenant seulement.
Attention
à ne pas succomber aux sirènes du "je vous l'avais bien dit" |
Le
réveil est difficile, mais la bonne nouvelle est que le Web passe
actuellement le cap de l'adolescence. Internet a fait un faux départ.
Dont acte. Faut-il maintenant arrêter la course ou replacer les
coureurs dans les starting-blocks? Mon sentiment est que la course
continue de plus belle et que, par conséquent, ceux qui vont décider
de déclarer forfait en seront durablement exclus. Attention à ne
pas succomber aux sirènes du "je vous l'avais bien dit"! De nombreux
modèles, rentables, restent à inventer. Les règles de la cyber-distribution
ne sont pas écrites. Ceux qui les découvriront seront les grands
marchands de demain. La communication n'a pas encore de consistance.
L'éducation n'a pas encore su en tirer parti. Les places de marchés
ne sont pas encore productives. L'information reste à dompter. Le
marketing n'a pas encore permis d'améliorer offres et services.
La sécurité des biens et des personnes n'est pas encore assurée.
Il
est urgent de se donner les moyens de la réflexion et de dépassionner
le débat. Les acteurs décideront-ils enfin de se réunir pour lancer
une analyse et un plan d'action à hauteur de l'enjeu? Politiques,
pouvoirs publics, associations, entreprises et internautes doivent
tirer parti de la formidable potentialité de ce nouveau support.
Il est urgent de se reposer les bonnes questions, de renouer avec
le bon sens et le pragmatisme. L'enjeu dépasse le sort de quelques
dizaines d'entreprises. L'enjeu est économique, politique et social.
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