Attention, une télévision numérique peut
en cacher une autre
Par Jacques Rosselin,
PDG de CanalWeb
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mercredi 27 février 2002 -
Peut-on,
comme on l'a fait pendant deux jours au Sénat il ya quelques jours,
parler sans rire de "nouvelle télévision" quant on parle de TNT
? Certes, deux-tiers des français, population troglodyte ne recevant
que cinq chaînes analogiques, vont bientôt accéder au nirvana
de la TNT, soit une quinzaine de chaînes en clair et en numérique.
Et cela, sans changer d'antenne et de téléviseur, grâce à un simple
décodeur que certains constructeurs envisagent déjà de vendre
en hyper-marchés pour moins de 100 euros.
Au
programme de cette "nouvelle" télévision ? Nos cinq bonnes vieilles
chaînes auxquelles s'ajoutent plusieurs chaînes créées par Francetélévisions,
RTL9, MCM (ou peut être MatchTV), une chaîne "semi-généraliste"
(?) créée par Bolloré, et last but not least, la chaîne du Sénat
et de l'Assemblée. Bref, si l'on veut du nouveau, il faudra plutôt
compter sur les télés locales, à qui le legislateur a réservé
quelques canaux et quelques encouragements financiers indispensables.
Ou bien chercher du côté d'une autre télévision numérique : la
télé haut débit.
Aujourd'hui
accessible à partir d'un PC (700 000 prises haut débit installées
à ce jour, excusez du peu), demain à partir de toutes sortes d'écrans,
cette nouvelle télévision marque dans l'histoire de la télévision
un tournant au moins aussi radical que celui de l'ouverture de
la bande FM pour la radio au début des années 80 : elle ouvre
enfin ce média à ceux qui s'adressent à de petites audiences.
A la différence de la TNT, conçue pour la diffusion de chaînes
grand public, cette autre télévision numérique permettra d'ici
la fin de la décennie à des centaines de chaînes de télévision
ciblées, thématiques, décalées, alternatives, éducatives, professionnelles
ou locales de voir le jour. C'est cela qui en fait une télévision
réellement nouvelle : des contenus nouveaux, différents et complémentaires
de ceux que diffusent les chaînes aujourd'hui.
Jusqu'à
présent, les tentatives de création d'un bouquet haut débit ont
fait long feu. CanalWeb, pionnier en Europe, est en redressement
judiciaire et a du abandonner l'ensemble de ses activités de production.
Des sociétés créées plus tard comme Nouvo.com ou ClicVision
ont cessé leur activité [NLDR : voir à ce sujet
les précisions
de Clicvision]. Wanadoo, après l'annonce de la création de
WanadooTV, a du faire machine arrière et se contente de diffuser
quelques programmes sur son portail haut-débit, tout comme Noos,
son concurrent du câble. Les chaînes de télévision thématiques,
qui pourraient trouver sur ce nouveau canal de diffusion une source
de revenus complémentaires, sont peu nombreuses à proposer leur
programmes à la demande, faute de l'existence d'un bouquet attrayant
et d'un système satifaisant de rémunération.
TF1
ou Deutsche Telekom s'affairent sur les bouquets haut débit
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Mais
depuis quelques mois, la situation s'est significativement modifiée
: le nombre de modems haut débit en France a dépassé les 700 000
et Wanadoo a annoncé fin 2001 la mise en place de services payants.
Des systèmes de paiement seront progressivement mis en place sur
l'accès haut débit dans les neuf mois qui viennent. Dans le même
temps, de grands groupes comme TF1 ou Deutsche Telekom ont pris
le relais et réfléchissent activement à des bouquets haut débit.
Très avancée, TF1 prépare deux bouquets ADSL, l'un pour les PC,
l'autre pour les TV et doit proposer LCI en mode payant sur Internet
dès avril. Deutsche Telekom et Club Internet souhaitent différencier
leur pack ADSL en proposant un bouquet de programmes, projet auquel
est associé Eric Clin, fondateur de Nouvo.com. Noos de son côté
vient de lancer un service de films à la demande.
L'année 2002
est une année charnière pour la télévision haut débit. Mais pour
qu'elle poursuive son développement, plusieurs conditions sont
nécessaires : l'offre devra se structurer en un ou deux bouquets,
à la manière de la télévision numérique classique. Le télespectateur
pourra ainsi plus facilement choisir son programme et distinguer
ceux qui sont payants des programmes "en clair". Ensuite les distributeurs
haut débit, et en premier lieu l'opérateur dominant qu'est (et
restera) France Télécom, devront développer un système de facturation
simple et attractif, à la fois pour les télespectateurs et pour
les éditeurs de chaînes.
Une
nécessaire baisse des tarifs d'accès haut
débit
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Cette démarche
passe par une baisse du tarif de l'accès basique au haut débit,
et une facturation supplémentaire pour les contenus, à la manière
de ce qui se passe, par exemple, sur le bouquet de télévision
numérique de Noos. L'opérateur devra veiller à ce que son prélévement,
couvrant ses frais de distribution, soit le plus juste possible.
Enfin, le déploiement du haut débit dans les foyers devra se poursuivre
à un rythme soutenu. France Télécom prévoit de dépasser le million
de prises ADSL cette année et les deux candidats à la présidence
semblent acquis à l'idée d'un déploiement rapide du haut débit.
La télévision
haut débit c'est donc parti et bien parti. Cette nouvelle télévision,
complémentaire de la TNT, prend de l'avance et accélère le développement
de technologies utiles à l'ensemble du secteur de la télévision
numérique. Mais sa modernité n'est pas que technologique. Alors
que la TNT se prépare à convertir au numérique la télévision classique,
la télévision haut débit a déjà commencé d'ouvrir la voie à ce
qui fait une télévision véritablement nouvelle : de nouveaux contenus,
de nouveaux producteurs, de nouveaux créateurs.
Jacques
Rosselin
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