IA, psychométrie et éducation : l'individualisation des apprentissages

La psychométrie et l'éducation partagent une histoire commune. À l'ère de l'intelligence artificielle, cette synergie entre les deux disciplines pourrait être renforcée dans l'intérêt de tous.

Une réflexion sur la difficulté rencontrée par les familles.

Dans ce texte que nous avons voulu pour les parents, l'idée fondamentale est que la technologie peut améliorer à la fois leur vie quotidienne et leur rôle d’accompagnement de leurs enfants, en particulier ceux présentant des profils atypiques.

Être parent, c’est veiller avec abnégation à assurer la sécurité, au bien-être et à l’accès équitable aux ressources nécessaires à l’épanouissement de son enfant. C’est s’engager à lui permettre de devenir un citoyen épanoui, responsable et autonome. Cependant, une grande disparité existe entre les individus, résultant à la fois des différences de moyens économiques et sociaux, de l’encadrement éducatif et de l’accès aux ressources spécialisées. Nous pourrions penser que cela est d’autant plus vrai en présence de particularités neuro-atypiques ou de situations de handicap potentielles.

Le parcours pour garantir à son enfant un enseignement adapté se transforme souvent en périple profondément anxiogène, chronophage et onéreux. Existerait-il une voie plus juste et plus rapide ?

La psychométrie et le monde éducatif, une histoire pas si ancienne.

Le parcours commence souvent par un combat de plusieurs années. Vers quel professionnel se tourner ? Sachant que le coût reste tout ou partie à la charge des familles, surtout si l’on souhaite agir rapidement. En effet, le champ de la psychométrie est vaste, avec de nombreuses disciplines.

Cette science trouve une origine commune, pas si ancienne, avec le système éducatif actuel. Elle est née des guerres mondiales, avec un besoin de standardiser et de moderniser les systèmes d’éducation. Aujourd’hui, il existe pléthore de tests diversifiés, souvent coûteux et parfois redondants, délivrés par des experts dont les avis divergent. Malgré cela, il reste encore assez complexe d’obtenir une vision claire et holistique de son enfant avec le seul appui de la psychométrie.

Certes, plusieurs indices de tests sont fortement corrélés avec le succès académique et professionnel, comme le QI des échelles de Wechsler. Cependant, si beaucoup se ruent à la recherche d’un Quotient Intellectuel Total (Q.I.T.) comme outil de mesure, cela peut-il réellement refléter le fonctionnement cognitif d’un individu ? Prenons par exemple le Haut Quotient Intellectuel ( HQI), usuellement corrélé au plus connu Haut Potentiel Intellectuel dont il est parfois plus sage de taire le nom. Pour un même panel de résultats aux différents sub-tests, le QIT sera différent. Cependant selon le professionnel auquel vous avez affaire, un enfant peut être qualifié d’enfant à profil HPI avec ou sans HQI, selon les éléments associés, quid parfois des Troubles du Neuro-Développement divers associés.

Derrière des concepts standardisés, il existe finalement peu de certitudes. En plus du fonctionnement neuro-cognitif global, il faut prendre en compte le calcul du facteur G, le tempérament et le fonctionnement socio-cognitif, pour n’en citer que quelques-uns. Contrairement à l’image de Tolkien, il est naïf d’imaginer « un test pour les évaluer tous ». Ainsi, la validité du construit et la valeur métrologique des tests sont centrales. La standardisation de ces tests et échelles est risquée et doit impérativement être interprétée par un expert hautement qualifié. Cela est d’autant plus pertinent hors des valeurs de la norme, qui composent tout de même environ un quart de la cohorte de la population.

En effet, ces évaluations soulèvent une question déontologique majeure : quelles sont les répercussions de l’évaluation des différentes dimensions du fonctionnement d’un enfant sur son avenir et sur la perception qu’il aura de lui-même ? Mais alors, la psychométrie est-elle vouée à disparaître ou à évoluer ?

Le monde de l’éducation et la psychométrie : une approche inclusive

Les apports de la psychométrie dans l’éducation sont considérables. En effet, la psycho-éducation et l’accompagnement des familles ont montré d’énormes bénéfices sur la santé des enfants, leur scolarité et la santé des parents par la même occasion. L’intervention des parents a le double avantage de favoriser la transmission des techniques éducatives et pédagogiques, tout en améliorant la compréhension du profil, des forces et des faiblesses de leur enfant. En somme, un enfant bien accompagné contribue à une famille équilibrée, libérée du poids oppressant du jugement et de la remise en question permanente. 

Ainsi, une méthode d’évaluation complète, globale, peu coûteuse et précoce permettrait de dépister de manière synchrone les éventuelles difficultés de développement et de proposer un environnement adapté qui favorise l’interaction et l’apprentissage. À cet égard, de nombreux enseignants soulignent le manque de formation initiale et d’accompagnement optimal pour la détection, la compréhension et la mise en application des recommandations nécessaires aux élèves ayant des besoins éducatifs particuliers en classe, contrairement à une approche individuelle ou en petit groupe. Trois-quarts d’entre-eux formulent explicitement la demande d’un accompagnement renforcé.

Le corps enseignant a beaucoup à gagner en adaptant les contenus pédagogiques en fonction des profils des élèves, afin de stimuler au maximum leur intérêt et d’optimiser leur bien-être scolaire et leur réussite. C’est là l’engagement de l’Ecole de la République. Mais comment mettre cela en pratique alors que les tests et les méthodes de détection se multiplient ?

Par ailleurs, la société elle-même est-elle prête à considérer la psychométrie comme un outil de grande qualité pour sortir de la vision traditionnelle de la transmission des savoirs ? Par exemple, la Triple Nine Society, qui rassemble des personnes ayant un quotient intellectuel très élevé, compte nettement moins de membre en France vis-à-vis de ses voisins européens. Avons-nous moins de THQI en France ? Où est-ce simplement que l’approche méta-cognitive de notre propre fonctionnement n’a pas encore été adoptée, par crainte de « faire des vagues » ?

Dans la société française, la reconnaissance et l’utilisation des compétences exceptionnelles (MadSkills) semblent encore peu développées, et le conformisme prévaut sous l’étendard du politiquement correct. Ainsi, lorsqu’un enfant présente des caractéristiques différentes par rapport à la norme psychométrique, il est souvent orienté vers un Plan d’Accompagnement Personnalisé ou un Projet Personnalisé de Scolarisation, nécessitant une déclaration de handicap. Pourtant, la notion de handicap est relative à un environnement peu ou pas adapté. Dans le monde professionnel, de plus en plus de personnes atteintes de TSA, de dyslexie, de TDAH, ou encore (T)HQI ont su exploiter leur fonctionnement cognitif en dehors des parcours traditionnels. En fin de compte, l’enjeu fondamental réside dans l’adoption d’une approche ouverte et d’une éducation à la méta-cognition, afin de mieux comprendre notre propre fonctionnement. Mais comment guider enseignants, familles et surtout les enfants vers cette culture sans stigmatisation ni crainte ?

La psychométrie et les enfants « neuro-typiques » : une forêt qui cache l’arbre.

La grande majorité des enfants naissent et deviennent des adultes sans soulever l’intérêt des équipes pédagogiques ou des spécialistes. Seulement voila, environ 70% de la population se trouve autour de la moyenne de la population pour les scores d’IQ et de tests neuro-cognitifs. Est-ce à considérer que cette majorité de la population est sous le joug d’un fonctionnement intellectuel et cognitif normé et unique ?

Pour revenir sur la notion précédente, les apports de la psychométrie en éducation ouvrent bel et bien la voie d’une prise en compte du potentiel de chacun. Les considérations précédentes sur la notion des MadSkills ne sont qu'un exemple. Cette analyse méta-cognitive concerne finalement bien l’ensemble de la population qu’elle soit à profil neuro-atypique ou neuro-typique ( comprendre dans la moyenne psychométrique ). 

Les patients dits « typiques » peuvent ainsi présenter des forces et des faiblesses, qui sont difficiles à détecter sans évaluations standardisées. Autrement dit, les patients typiques peuvent aussi présenter des particularités intellectuelles et cognitives. Ainsi une mesure fine des éléments psychométriques, indépendamment d’un score diagnostic, ouvre la voie d’une analyse introspective indépendante de tout biais de perception. Il est ainsi plus aisé d’identifier les différents mécanismes neuro-cognitifs mis en place par l’individu, mais aussi les mécanismes de compensation qui ont parfois tendance à dissimuler des faiblesses perfectibles ou des TND. 

C’est donc un outil ouvrant la voie à une éducation individualisée, reposant sur les profils intellectuels et cognitifs permettant de proposer des parcours d’apprentissage précis et adaptés à chacun. Car la psychométrie ne se focalise pas uniquement la détection des retards cognitifs et/ou de la précocité intellectuelle. Derrière les tests, et surtout leur analyse fine et suivie dans le temps, il émerge des éléments non-diagnostiques qui rendent pourtant compte des disparités du fonctionnement cognitif d’un individu : autrement dit, de ses forces et de ses perfectionnements possibles. Dans un monde gouverné par les étiquettes mortifères dont il est complexe de se détacher, tant elles restent cristallisées dans le temps et  sont exploitées comme outil identificatoire, une telle approche revient à considérer l’unicité de chacun. Si la proposition est que tout le monde possède sa propre carte de lecture, hautement dynamique et extrêmement précise, alors le corollaire en est la revalorisation du système méritocratique basé sur le perfectionnement individuel.

L’intérêt desdites mesures standardisées est donc bien rendre évaluable le niveau des acquis des élèves à différents moments de leur scolarité et surtout de leur évolution dans le temps, afin d’aider au mieux chacun selon un parcours d’accompagnement personnalisé pour garantir la réussite de tous. C’est un gage de développement personnel et professionnel.

Ainsi la psychométrie apporte à la fois une dimension scientifique de validation à la perception empirique, mais également un critère de reproductibilité et de transmission aux familles, aux enseignants et aux confrères, parfois dans des disciplines connexes. Les questions qui persistent sont de savoir comment améliorer lesdits tests et déceler des (micro-)éléments pertinents dans le cadre d’une analyse unifiée ?

Vers une approche unifiée et solidaire qui soit centrée sur l’humain ?

Avec l’avènement du nouveau tournant technologique majeur représenté par l’IA, certaines entreprises françaises et surtout outre-Atlantique se sont lancées dans une conquête collective au service des apprenants et de la société de demain, dépourvue de biais et proactive. L’action coordonnée des experts en neuropsychologie et en pédagogie coordonnée par l’IA dans le quotidien éducatif (à domicile et à l’école) semble ouvrir des perspectives de bouleversement majeur. Le postulat est qu’une telle coordination synergique autour d’évaluations psycho-éducatives co-construites, peu onéreuses et facilement accessibles, favoriserait massivement la pré-détection, et à défaut l’accompagnement de chacun. Le corollaire serait la réduction des coûts de dépistage pour les familles et notre système de santé, ainsi que la mise en application massive des principes de l’éducation inclusive. De manière asynchrone, les enseignants et les familles seraient les premiers à bénéficier d’un retour sur l’évolution des compétences de leur enfant, leur permettant de s’ajuster en conséquence sans délai.

Le courant de pensée « Human-Centered AI », promu par les spécialistes de l’IA, encourage une utilisation de l’IA basée sur la pensée humaine, afin de garantir une utilisation augmentée des compétences humaines plutôt que de la remplacer. C’est précisément ce type d’approche hybride, à la fois probante, méritocratique et solidaire, que nous devons soutenir pour renforcer notre système éducatif. Mais alors, sachant que notre pays compte déjà des champions de l’IA, de la psychométrie et de l’éducation nécessaires à la mise en place de telles solutions, pourquoi l’émergence de ces solutions est-elle si complexe ?

Oui, il existe des personnes d’exception, « compréhensive(s) » de toutes disciplines sur lesquelles s’appuyer d’ores et déjà. Ils défendent l’école et la société inclusive, chères à la République. Des enseignants, armés de pragmatisme, préparent le terrain pour l’avenir malgré des ressources limitées et nourrissent l’espoir d’outils plus efficaces à l’avenir. Des experts de la psychométrie s’investissent, dont un d’entre eux participe humblement à cette tribune, font le choix de se battre pour faire progresser nos outils et sont prêts à ouvrir la voie d’une collaboration utile.

Sur un air de Goldman, ces perles rares à l’aide de « temps, de talent et du cœur » changent effectivement la vie des familles qui croisent leur chemin, tout en insufflant un profond respect pour la République et les disciplines qu’ils incarnent.

Tribune co-rédigée avec un neuro-psychologue partenaire, expert IEA.