L'IA générative, une bulle prête à éclater ?

Thibault Monteiro décrypte les enjeux de l'IA générative, en analysant ses défis techniques et économiques, et explore comment cette technologie pourrait évoluer face à des attentes parfois exagérées.

Thibault Monteiro met en lumière la position de l'IA générative au sommet des attentes exagérées dans le Hype Cycle 2023 de Gartner, une phase charnière pour l'avenir. © Thibault Monteiro

Depuis quelques années, l'intelligence artificielle est sur toutes les lèvres, portée par des avancées marquantes et des outils comme ChatGPT. Cependant, au-delà de cet engouement, il est crucial de comprendre ce qui relève de l'innovation réelle et ce qui n'est que bruit. Aujourd'hui, l'IA générative est particulièrement sous les feux des projecteurs, mais avec cette attention accrue vient aussi une surenchère qui pourrait masquer certains défis.

Cette chronique se penche sur cette dynamique, décodant les raisons pour lesquelles cette technologie pourrait être sur le déclin et analysant ce que l'avenir pourrait réserver à ce secteur en pleine effervescence.

L'IA générative et ses promesses : mythe ou réalité ?

L’essor fulgurant de ChatGPT a marqué une nouvelle étape dans l’adoption généralisée de l’intelligence artificielle. Utilisé dans des secteurs variés allant de l’assistance client à la création de contenu, cet outil a rapidement capté l’attention des entreprises et du grand public. Toutefois, cet engouement croissant a également engendré une vague de surmédiatisation, où les promesses d'une révolution technologique cachent parfois des réalités plus complexes.

Si ChatGPT et d'autres IA génératives ont permis des avancées indéniables en matière de productivité, d'automatisation, et d'innovation, il est essentiel de garder à l’esprit les défis sous-jacents. Derrière les prouesses impressionnantes se cachent des limitations techniques, notamment en termes de compréhension contextuelle et de biais algorithmiques. Le risque est de confondre la popularité de la technologie avec sa véritable maturité. L’IA générative, bien qu’utile, reste encore loin d’atteindre une forme d’intelligence générale ou d’un véritable raisonnement humain.

Dans cette optique, il est crucial de distinguer ce qui relève d’une innovation réelle, créant une valeur durable, de ce qui participe à la bulle médiatique autour de l'IA, alimentée par l'enthousiasme et parfois l'exagération.

Les différentes visions sur l'avenir de l'IA générative

L’avenir des modèles de langage (LLMs) divise les experts en intelligence artificielle en trois grandes écoles de pensée.

  1. D’un côté, les sceptiques, comme Noam Chomsky, considèrent ces modèles comme des outils statistiques très avancés qui, malgré leur efficacité, ne représentent pas une forme d’intelligence véritable. Selon eux, ces IA se limitent à calculer la probabilité des mots et des phrases sans comprendre réellement le sens de ce qu’elles produisent.
  2. À l’opposé, certains spécialistes, dont Ilya Sutskever, co-créateur de ChatGPT, estiment que ces modèles développent une compréhension du monde humain en imitant les schémas et structures du langage. Ils considèrent que, via leur entraînement massif sur des données issues de la société, ces IA génèrent une sorte de « modèle interne » du monde, ce qui les rapprocherait d’une forme d’intelligence.
  3. Enfin, une troisième voie, représentée par Yann LeCun, adopte une perspective plus pragmatique. Selon lui, bien que les LLMs soient impressionnants, ils ne constituent pas une avancée suffisante pour atteindre une intelligence comparable à celle de l’humain. LeCun souligne que ces modèles doivent être perçus comme des outils d'augmentation de nos capacités plutôt que comme une imitation parfaite de l’intelligence humaine. Il plaide pour le développement de technologies radicalement nouvelles, renforçant la capacité des machines à raisonner de manière plus complexe, en s’appuyant sur des principes différents de ceux des LLMs actuels.
LeCun plaide contre les LLM. © Thibault Monteiro

Ces trois visions montrent bien que, même si les approches divergent, les LLMs restent des outils précieux dans des domaines spécifiques, comme la productivité et l'optimisation des processus. Cependant, l’avenir de l’IA générative est encore incertain et dépendra des orientations choisies par les chercheurs et les entreprises dans les prochaines années.

L'IA générative : d'une bulle d'enthousiasme à une intégration durable ?

L'IA générative, avec des outils comme ChatGPT, a indéniablement transformé plusieurs secteurs. Cependant, derrière cet engouement se cache une réalité plus nuancée. La surmédiatisation de cette technologie a parfois éclipsé des défis techniques essentiels, notamment ceux liés à la compréhension contextuelle et aux biais des modèles. Les attentes actuelles, placées au sommet du "Hype Cycle" de Gartner, risquent de retomber, comme cela a été le cas pour d'autres innovations par le passé.

Un bon exemple de cette dynamique se trouve dans l’histoire des vitesses des processeurs au début des années 2000, où la croissance s'est brutalement arrêtée, après des années d'augmentation exponentielle.

Vitesse des processeurs au fil du temps © Thibault Monteiro Source

De manière similaire, les records de vitesse des avions se sont stabilisés dans les années 1970, malgré les innovations technologiques constantes. Cela démontre qu’aucune tendance exponentielle ne peut se maintenir indéfiniment.

Records de vitesse des avions (le SR-71 détient encore le record aujourd'hui) © Thibault Monteiro Source

En parallèle, de nombreuses entreprises spécialisées dans l'IA souffrent de surévaluations en raison de cette frénésie. L'absence de modèles économiques stables et de revenus prévisibles pourrait précipiter l’éclatement de cette bulle. Si certaines entreprises ne parviennent pas à transformer cet enthousiasme en résultats concrets, elles risquent de disparaître, à l'image de la bulle Internet des années 2000.

Plusieurs facteurs pourraient contribuer à l’éclatement de la bulle de l’IA :

  1. Des valorisations insoutenables : De nombreuses entreprises d'IA sont surévaluées par rapport à leur potentiel de croissance, un écart qui pourrait provoquer un effondrement des valorisations.
  2. Absence de revenus stables : Malgré les investissements massifs, beaucoup d'entreprises n'ont pas réussi à transformer leurs innovations en revenus profitables, rendant la situation précaire.
  3. Défis réglementaires : Avec une réglementation croissante sur la sécurité, l’éthique et la confidentialité des données, certaines entreprises peinent à s’adapter, ce qui ralentit leur développement.
  4. Impact sur la productivité : Une étude menée par Forbes révèle que 77 % des employés estiment que l'introduction de l'IA a en réalité augmenté leur charge de travail, au lieu de la réduire comme initialement prévu.

Ce paradoxe montre que, dans certains cas, l'IA ne produit pas les gains de productivité escomptés, créant même de nouvelles sources de complexité.

Dans ce contexte, les entreprises devront non seulement s'assurer que leurs investissements dans des technologies coûteuses, telles que les LLMs, soient rentables, mais aussi évaluer attentivement l'impact de l'utilisation des données synthétiques. L'ère des promesses spectaculaires est probablement sur le point de laisser place à une phase plus critique, où la rentabilité et l’efficacité des technologies devront être mesurées en fonction des résultats tangibles.

Coûts croissants et données synthétiques

Les modèles de langage (LLMs) soulèvent également la question des coûts croissants liés à leur développement et leur déploiement. Outre les ressources matérielles considérables, telles que la puissance de calcul nécessaire pour former ces modèles, les entreprises investissent massivement en termes de talents humains et de gestion des données. Par exemple, des entreprises comme OpenAI ou Google allouent des budgets colossaux pour entraîner des IA comme ChatGPT ou Bard, sans être assurées d'un retour sur investissement rapide.

L'utilisation de données synthétiques, bien que prometteuse pour étendre la base d'entraînement des LLMs, apporte également son lot de défis. Ces données, générées artificiellement, peuvent introduire des biais supplémentaires et un manque de diversité, compromettant ainsi la qualité et l'équité des résultats produits par ces IA. De plus, la production et l'intégration de ces données représentent un coût supplémentaire, tant sur le plan technique que financier.

Il devient donc crucial pour les entreprises de s'interroger sur la rentabilité réelle de ces technologies. Le retour sur investissement doit être évalué non seulement en fonction des promesses technologiques, mais aussi en fonction des bénéfices concrets qu'elles apportent à court et moyen terme.

Vers une IA augmentée et maîtrisée

L'avenir de l'IA ne réside pas dans la quête d'une intelligence artificielle générale (AGI), encore lointaine et incertaine. Plutôt que de viser une imitation de l’intelligence humaine, l’IA doit être perçue comme un outil stratégique d'augmentation de nos capacités. En s'intégrant de manière pragmatique dans nos processus décisionnels et productifs, elle peut véritablement améliorer notre efficacité, tout en nous laissant le contrôle. Ce réalignement, déjà amorcé dans certains secteurs, permettra à l'IA de jouer un rôle central sans pour autant susciter des attentes irréalistes ou provoquer de nouveaux déséquilibres. Au final, l'IA augmentée représente non seulement une voie plus accessible, mais également plus durable, garantissant que ces technologies restent au service de l'utilisateur.