Face à la révolution de l'IA générative dans la communication, les professionnels du secteur doivent rester vigilants : si ces outils promettent des gains de productivité impressionnants, ils risquent aussi de conduire à une standardisation des contenus qui menace la différenciation des marques.
Les 10 et 11 février prochains aura lieu, à Paris, le Sommet pour l'Action sur l'Intelligence Artificielle (IA). Le programme est ambitieux, puisqu'il s'agit de débattre et de proposer des actions concrètes pour " garantir que le développement et le déploiement de l'IA se fasse au bénéfice de nos sociétés, de nos économies et de l'environnement et ce, dans l'intérêt général et le respect du bien commun ". Parmi les thèmes qui seront abordés figure " l'avenir du travail ", l'IA représentant, pour les employeurs et les travailleurs qui parviendraient à en maîtriser les risques, " une opportunité d'accroître la productivité ". À condition toutefois, pour ce qui concerne les métiers de la communication, que les gains de productivité ne s'accompagnent pas d'une perte de valeur généralisée.
Ce n'est pas la première fois que le secteur de la communication est confronté à une révolution technologique. Au cours des quarante dernières années, la numérisation de la production audiovisuelle, la digitalisation des organisations ou encore l'irruption des réseaux sociaux dans le paysage médiatique ont changé drastiquement nos manières de travailler. Mais les transformations provoquées depuis cinq ans avec l'IA, et plus particulièrement depuis deux ans par l'IA générative (GenAI) sont d'une autre nature. Après que l'usage des big datas et des algorithmes a ouvert aux métiers du marketing des possibilités exceptionnelles en matière de connaissance des clients et de ciblage des messages et des offres (et donc, après qu'elle a augmenté considérablement la performance des stratégies média), la GenAI est en train de bouleverser l'ensemble de nos métiers. De la réflexion stratégique (veille, recherche d'insights, analyses de marchés, etc.) à la conception et à la création de contenus rédactionnels (récits de marque, conception de dossiers de presse, etc.) ; de la création et la production d'images, de scripts ou de films, à la gestion des coûts, à l'organisation ou à l'optimisation des processus de travail… il n'est pas un domaine de notre activité qui ne soit concerné – en agence de communication comme chez les annonceurs – par l'impact de cet extraordinaire outil.
Je suis conscient de l'enthousiasme et des attentes qu'engendre cette nouvelle révolution : je les observe chez mes clients, chez mes collaborateurs et en moi-même lorsque je " prompte " un " chabot " et que j'obtiens, après quelques échanges, une analyse sectorielle ou une note de synthèse d'une pertinence remarquable, en un temps record. Les capacités de ces robots qui nous rendent plus efficaces, plus savants et tout simplement plus performants sont absolument éblouissantes. Pour autant, cet éblouissement qui nous saisit tous aujourd'hui ne doit pas se transformer en aveuglement. Car, derrière ces prouesses qui donnent l'illusion d'un travail vite et bien fait pourrait se loger une destruction substantielle de la valeur des marques et des métiers de la communication.
Rappelons en effet que nos métiers visent à générer de la préférence de marque par des contenus créatifs et différenciants. Ce qui construit une marque et la rend mémorable, c'est un slogan percutant, un discours singulier, une identité remarquable, une expression marquante… Or, ce que produisent ChatGPT, Claude, Mistral, Midjourney, et demain Sora, Mochi ou Hailuo AI, ce sont des discours, des images et bientôt des vidéos extrêmement pertinents mais lisses, convenus, normalisés, si ce n'est mécaniques. Et comment pourrait-il en être autrement ? Leurs productions reposent exclusivement sur des recoupements et des " collages " statistiques, et non sur une création à proprement parler. Autrement dit, la GenAI n'invente rien : elle recompose ce qui existe déjà. Voilà pourquoi la lecture d'un texte ou l'observation d'une image conçus par une IA générative laisse souvent une impression un peu fade, un peu fake, un peu toc, un peu bof. L'impression d'un contenu déjà-vu, indifférencié, interchangeable et homogénéisé.
L'usage de l'IA générative comporte donc des risques qui doivent nous inciter, nous professionnels du secteur, à la plus grande vigilance. Il ne s'agit pas seulement, même si cela reste un impératif, de se soucier du coût environnemental de ces technologies, de scruter leurs biais, de traquer leurs erreurs ou leurs " hallucinations " ou encore, de veiller à l'indispensable respect des droits d'auteurs (et ce, que ce soit en matière d'image, de son ou de texte, toute forme de création étant aujourd'hui purement et simplement pillée par les IA génératives). Il s'agit, plus radicalement encore, de maintenir constamment une forme de scepticisme face à l'IA car, parmi les risques qu'elle comporte, le plus grave, le plus structurant et le plus déterminant est le piège de l'indifférenciation des marques. Adopter cette attitude s'annonce difficile, tant la fascination qu'exercent sur chacun de nous les possibilités infinies de ces technologies tend justement à pétrifier notre esprit critique. C'est donc contre nous-mêmes que nous devons lutter : contre notre propension à nous en remettre au calcul algorithmique et aux contenus générés par des chatbots, comme s'il s'agissait d'oracles.
Pour continuer à créer de la valeur pour les marques, nous ne devons jamais nous contenter de ce que l'IA nous propose. Car c'est précisément dans ce que nous corrigerons et dans ce que nous lui apporterons en plus – des idées plus justes, plus profondes, plus originales ou plus novatrices, des formulations plus précises, plus poétiques ou plus drôles, un cadre d'image plus étonnant, une lumière ou des couleurs plus émouvantes, etc. - que réside désormais une part essentielle de la valeur ajoutée de notre métier. Pour y parvenir, nous devons notamment former nos collaborateurs à l'utilisation raisonnée de ces outils, en les aidant à travailler mieux avec l'IA, à conserver leur autonomie et à construire leur nouveau rôle. Si nous faisons cela, si nous parvenons ensemble – car nous avons besoin de la bonne volonté de tous : agences de communication, prestataires, annonceurs – à éviter le piège de l'indifférenciation en maintenant le niveau de nos exigences, alors nous aurons les clés pour survivre à ce nouvel ouragan technologique qui nous arrive.
Puisse le Sommet pour l'Action sur l'Intelligence Artificielle être l'occasion d'user de notre intelligence humaine pour réfléchir de façon critique et raisonnée à ce que nous voulons vraiment faire avec l'IA.