"Mes étudiants utilisent ChatGPT, voilà comment je réagis"

"Mes étudiants utilisent ChatGPT, voilà comment je réagis" Face à l'usage massif de ChatGPT par les étudiants, l'enjeu n'est plus la détection mais l'apprentissage d'une utilisation critique et créative des outils d'intelligence artificielle.

Dans l'enseignement, mais pas que, la triche a toujours existé. Mais avec l'intelligence artificielle générative, on change de dimension Depuis quelques mois, les conférences et séminaires pédagogiques s'enchaînent. L'IA générative s'invite dans tous les débats, dans toutes les salles, sur toutes les slides. Et très vite, une inquiétude surgit, toujours la même : comment détecter la triche des étudiants avec ChatGPT ? 

La réponse attendue : un logiciel miracle. Une ligne de défense algorithmique. Comme si le vrai enjeu, c'était de savoir si le devoir avait été écrit par un étudiant ou par une machine.

IA dans l'enseignement : fracture pédagogique ?

Les chiffres parlent. Ou plutôt crient. Plus de 90% des étudiants utilisent régulièrement des IA dans le cadre de leurs études. Côté enseignants, on est plutôt dans la fourchette des 10 à 20 % d'usages réels. Alain Goudey, directeur général adjoint à NEOMA, le souligne dans "L'IA au service du marketing" (Dunod) : "Bien que 100% des participants connaissent ChatGPT, seuls 10 % l'utilisent quotidiennement. " Une observation tirée de ses échanges avec de nombreux enseignants lors de ses conférences. 

La réalité, c'est que les étudiants maîtrisent mieux les outils que ceux qui les notent. Et il faut être lucide : un étudiant avec quelques bases de prompt peut produire une copie parfaitement indétectable, saupoudrée de quelques fautes volontaires. Ajoutez à cela les tutoriels en ligne pour contourner les détecteurs, les outils qui reformulent un texte généré pour le rendre "humain-compatible", et les algorithmes sont complètement dupés. Chercher à "détecter", c'est comme chercher une information fiable sur ChatGPT : c'est aléatoire, et l'illusion est (souvent) parfaite.

Les copies qui brillent (ou pas)

En tant qu'intervenant en école de commerce, j'ai corrigé des mémoires et je commence à distinguer deux grandes catégories de productions. Les copies brillantes, bien écrites, claires, structurées, avec des références solides. Un niveau parfois impressionnant. Meilleur que ce que j'aurais pu produire moi-même à leur âge. Est-ce aidé par l'IA ? Probablement. Est-ce un problème ? Non, tant que le contenu est pensé, piloté, nourri par un humain.

Et puis les autres. Les copies à la grammaire impeccable, mais au style artificiel. Les phrases à rallonge. Les adverbes omniprésents. Les expressions toutes faites. Les répétitions absurdes de "crucial" et "essentiel" (le record : 44 en 32 pages). Et surtout : des bibliographies... problématiques. Ou plutôt : des webliographies.

Des sources issues de blogs obscurs, des articles sans auteur, des pages qui ne citent aucune référence sérieuse, et parfois même... des liens shadow. Mais où sont les livres ? Pas besoin d'un logiciel pour comprendre : le texte n'est pas le fruit d'une réflexion de neurones humains, mais d'un CopyGPT.

Alors je fais quoi, en tant qu'évaluateur ? Sur la forme, la copie est propre. Sur le fond, elle est creuse, voire douteuse. Mais dois-je, pour chaque devoir, passer des heures à vérifier chaque source ? A analyser la cohérence de chaque argument ? A croiser chaque citation ? C'est irréaliste. Alors je fais quoi ?

Expérimenter autrement avec l'IA

Pour certains devoirs, j'ai testé une approche hybride : humain × IA. Je divise la classe en deux équipes : l'une rédige un réquisitoire contre l'usage de l'IA en communication et marketing, l'autre construit un plaidoyer en sa faveur. Le tout se conclut par un débat contradictoire, où chacun doit défendre sa position.

Avant de commencer, je leur fournis un texte généré par ChatGPT, produit en quelques minutes à partir de mon prompt. Une copie moyenne-haute, quelque part entre application sérieuse et paresse stylée. Et je leur lance : "Voilà ce que l'IA peut faire. A vous de faire mieux, avec l'aide de l'IA." Leur mission ? Identifier les failles. Proposer mieux. Ajouter de la valeur. Apporter leur vision, leur esprit critique. Je n'ai pas besoin de connaître l'avis moyennasse de ChatGPT, je le connais déjà. Faites-moi réfléchir, même si je ne suis pas d'accord avec vous. Là, ce sera réussi.

Résultat : une vraie dynamique intellectuelle avec les IA. Certains étudiants se révèlent. D'autres comprennent : "Notre rôle ne se résume pas à corriger ChatGPT ", explique Emeline Vaquero, étudiante en Mastère manager de la communication. Et d'ajouter : "C'est un exercice que nous avons, tous, particulièrement apprécié puisque cela nous demandait de nous exprimer sur un sujet qui nous concerne d'autant plus par nos métiers de communicants. Ce débat nous a offert un moment de réflexion sur les avantages et les problématiques de l'IA tout en faisant preuve d'ouverture d'esprit pour accueillir l'opinion adverse. "

Patrick C., responsable pédagogique de SUP'DE COM Nantes et membre de jury m'explique : "La proposition générée par ChatGPT était d'un niveau tout à fait correct. Mais ce qui m'a vraiment surpris, c'est que les étudiants n'ont pas cherché à l'améliorer. Ils ont plutôt pris un autre chemin, exploré d'autres voies d'argumentation. Leurs discours étaient différents, incarnés. Et les débats qui ont suivi… passionnés, et passionnants à écouter. "

Et surtout, le message passe : pourquoi une entreprise vous embaucherait pour faire ce que l'IA peut déjà faire seule ?

Former des centaures : repenser, pas détecter

Le vrai enjeu, ce n'est pas de savoir si les étudiants trichent avec les IA, mais de les accompagner dans un usage intelligent, efficace et, osons le prompter, éthique. Les entreprises attendent des professionnels capables de structurer une pensée, de faire preuve d'esprit critique et de choisir les bons outils avec discernement. Ce qu'il faut, ce sont des centaures : des étudiants mi-humains, mi-outillés, capables d'allier raisonnement, créativité et productivité. Pas des exécutants de prompts. Pas des faussaires du savoir.

L'IA générative est un révélateur. Elle nous oblige à reconsidérer la validité de nos formats pédagogiques, nos méthodes d'évaluation et notre conception même des compétences. Si un étudiant peut rendre un devoir sans rien comprendre à son contenu, c'est que notre système a un problème. Et si notre seule réponse, c'est un logiciel de détection, alors nous avons déjà perdu.

Ce constat vaut tout autant pour l'entreprise. Là aussi, l'IA produit des contenus, automatise des tâches. Mais la vraie question n'est pas : "Qui utilise l'IA ?" Elle est : "Qui sait en faire un levier de valeur ajoutée ?" Un bon professionnel saura, selon les contextes, déléguer à la machine et garder pour lui ce qui exige du jugement, de l'analyse et de la nuance.

Alors à quoi bon courir après les tricheurs made in IA ? Formons les étudiants à faire mieux que l'IA. C'est possible, à condition de leur en donner les moyens, de leur en fixer l'exigence et de leur apprendre à penser avec l'IA, sans s'y soumettre.

La vraie question n'est pas : "Comment empêcher les étudiants de tricher avec l'IA ?" mais : "Comment les amener à faire mieux que l'IA et avec l'IA ?" Et à celle-ci, aucun logiciel ne répondra pour nous.