Est-ce la fin du moteur de recherche ?

Pendant deux décennies, Google Search a été la boussole du web. Une interface d'intermédiation, aussi puissante que discrète. Mais ce modèle est en train de disparaître…

Depuis 2024, avec le lancement de AI Overviews, et l’introduction d’AI Mode en 2025, Google ne se contente plus de classer les contenus du web. Il les digère, les synthétise et restitue des réponses internes. L’utilisateur ne clique plus, il consomme une réponse générée par l’IA. Le moteur de recherche devient un environnement fermé, un espace de consultation conversationnel, fondé sur des réponses immédiates et des recommandations personnalisées. Google ne montre plus le chemin vers le web : il devient le web.

Un changement de paradigme radical

AI Overviews, déployé dans plus de 140 pays, comptait déjà 1,5 milliard d’utilisateurs mensuels en avril 2025. La logique du lien bleu s’efface. La position #1 sur Google, si précieuse hier, perd en moyenne 34,5 % de ses clics quand une AI Overview est présente. L’enjeu n’est plus d’être premier dans la SERP, mais d’être cité dans la synthèse.

Avec AI Mode, fondé sur Gemini 2.5, la recherche se transforme en dialogue. L’interface décompose les intentions, propose des enrichissements visuels, guide vers des modules Google ou vers des partenaires sélectionnés. Le parcours utilisateur devient un tunnel algorithmique, optimisé pour capter l’attention et retenir l’interaction dans l’univers Google.

La fin du clic, l’avènement de la présence

Pour les marques comme pour les éditeurs, cette mutation bouleverse tout. Le trafic organique chute : -56 % de taux de clic pour le Daily Mail sur desktop, -15 à -30 % de pages vues pour d’autres éditeurs majeurs. Les outils SEO classiques deviennent obsolètes. Il ne s’agit plus de se positionner dans un classement, mais d’être utile dans une réponse IA. Le contenu doit être structuré non plus pour le web, mais pour l’extraction par LLM : titres clairs, paragraphes synthétiques, réponses précises aux intentions cachées.

Le web de l’IA valorise les sources fiables, la clarté, la concision, la réputation. Pour être cité, il faut exister dans des corpus de référence : Wikipédia, forums d’autorité, YouTube, Reddit, sites .gov ou .edu. La marque devient un signal algorithmique.

Publicité et données : l’IA comme point de vente

AI Mode s’appuie sur l’écosystème Google (Search, Chrome, Gmail, Drive, Maps…) pour personnaliser chaque réponse. Gemini analyse vos mails, vos documents, votre historique de navigation pour anticiper vos attentes. Résultat : des réponses taillées sur mesure et hautement monétisables.

Les campagnes publicitaires ne s’achètent plus simplement sur des mots-clés : elles doivent répondre à des intentions détectées dans un contexte conversationnel. Les assets publicitaires sont générés dynamiquement. Le ciblage repose sur des signaux faibles, interprétés à la volée par l’IA. Le contenu ne précède plus la campagne : il en devient le produit dérivé.

Cela avantage les acteurs capables de nourrir ce système : ceux qui disposent de bases de contenus riches, de produits multiples, d’une architecture omnicanale solide. À l’inverse, ceux dont le modèle repose sur une page bien positionnée ou un contenu ponctuel voient leur visibilité s’effondrer.

Un web centralisé, une dépendance accrue

Derrière cette révolution se dessine un enjeu systémique. Le web s’organise de plus en plus autour d’un seul acteur, capable de contrôler la formulation de la question, la sélection de la réponse, la source de la recommandation… et la destination finale de la transaction.

Le moteur de recherche est mort. Ce qui émerge, c’est une IA de réponse, de recommandation, de conversion. Le clic sortant devient l’exception, la consultation interne la norme. Le web cesse d’être un espace ouvert d’exploration. Il devient un réseau de corridors gérés par une entité unique, guidée par ses objectifs commerciaux et ses propres règles.

Et maintenant ?

Pour les éditeurs, les marques, les professionnels du marketing, cette transition impose un repositionnement complet. Il ne suffit plus d’être visible. Il faut être intégré, digeste, recommandé. Il faut devenir un maillon utile dans la chaîne algorithmique de l’IA. La stratégie digitale ne se pense plus en termes de destination, mais de présence dans le flux.

Ce n’est pas la fin du web, mais celle d’un web ouvert, fondé sur le lien. Le moteur de recherche, en tant que promesse d’accès neutre à l’information, appartient désormais au passé. Reste à savoir si nous souhaitons que le futur du web tienne tout entier dans une seule boîte noire.