Fin de l'expérience utilisateur, place à l'expérience IA
Dans un futur proche les interfaces seront conçues pour des agents intelligents. Cette mutation de l'économie numérique impose une nouvelle discipline et de nouvelles règles.
Nous entrons dans une ère où les interfaces ne sont plus seulement faites pour les humains, mais pour leurs alter ego numériques : les agents intelligents. Jusqu’ici, la conception numérique s’est structurée autour de l’expérience utilisateur (UX). L’utilisateur humain était le point d’entrée et de sortie de chaque interaction digitale. L’objectif : faciliter la navigation, clarifier les parcours, engager les sens.
Mais dans un futur proche les agents IA autonomes seront les nouveaux utilisateurs. Qu’ils soient personnels (GPT dans votre smartphone, votre assistant vocal, un clone numérique formé sur vos données) ou professionnels (agents autonomes effectuant des tâches de gestion, de logistique ou de support), ces entités vont interagir avec les systèmes en notre nom, 24/7, sans pause-café.
La révolution du machine selling
Vous souvenez-vous de la sortie de la PlayStation 5, quand il était quasiment impossible de se procurer une console de jeu en ligne ? Des sociétés avaient créé des agents spécialisés pour acheter les consoles plus rapidement que les humains sur internet. Dans la première heure de la mise en vente de la console de Sony, 99,2% des achats ont été réalisés par des robots revendeurs. Un agent/bot a même fait 1 000 000 de tentatives d’achats en 6 heures sur les sites revendeurs de PlayStation 5, avec pour but de les revendre sur eBay ou Leboncoin à plus grande valeur. C’était en 2021, avant l'avènement de l’IA Generative et des Agents IA intelligents et autonomes.
D’ici 2030, 30 000 milliards de dollars de transactions pourraient être réalisées non plus par des humains, mais par des IA et des bots autonomes. C’est l’avènement du machine buying et du machine selling : les agents IA achètent, négocient, comparent, recommandent, assurent la qualité et effectuent des transactions – entre eux.
Du design centré “humain” au design centré “agent”
Ce n’est pas de la science-fiction, mais une mutation de l’économie numérique. Et cela impose une nouvelle discipline, l’AX – Agent Experience Design et de nouvelles règles.
Concevoir pour des agents IA, ce n’est pas juste rendre un site « compatible IA », c’est :
- Permettre l’identification claire des agents agissant pour un utilisateur donné.
- Définir précisément les droits, rôles et permissions de ces agents dans les systèmes.
- Fournir des chemins d’action balisés, explicites, documentés et audités.
- Garantir la transparence, la confiance, la vérifiabilité pour les actions des agents.
- Anticiper les cas de délégation, d’escalade, de supervision humaine.
Tous les secteurs d’activités sont concernés, e-commerçants, compagnies d’assurance, banques, plateformes de voyages, tous devront désormais designer non seulement pour l’humain, mais aussi pour son représentant numérique. L’agent doit comprendre, exécuter, mais aussi respecter les préférences, limites et valeurs de l’humain qu’il représente. Nous aurons par exemple des agents commandités pour nous prendre le premier vol disponible Paris-San Francisco en dessous de 500€ au mois de mai 2026, avec un siège coté couloir. Comment Air France va prévoir cette expérience agent pour autoriser, guider et accompagner les agents jusqu’à l’achat final tout en garantissant que l'utilisateur est consentant ? C’est ça l’AX.
Hyperpersonnalisation et nouvelle éthique
La conséquence logique c’est que les interfaces seront générées dynamiquement par l’IA, adaptées aux préférences, capacités cognitives, contextes et émotions de chaque utilisateur. Plus aucun utilisateur n’aura la même UI. Plus aucun designer n’aura à concevoir un écran fixe. Ainsi, le rôle du designer UX/UI mute : il devient concepteur d’expériences pour agents (AX), meta-designer d’environnements adaptatifs, entraîneur de modèles génératifs d’interface.
L’AX impose aussi de nouvelles responsabilités : encadrer ce que l’agent peut faire ou non. Respecter la vie privée, la loyauté, la révocabilité. Protéger l’utilisateur contre la sur-automatisation, les biais algorithmiques, les délégations dangereuses.
Les standards d’accessibilité, de sécurité et de consentement devront être repensés pour l’interaction machine-machine. Il nous faut des protocoles, des labels, des interfaces machine lisibles, mais aussi des interfaces de supervision humaine claires et auditables.
Les designers, les architectes d’information, les développeurs et stratèges produit doivent se préparer à cette transition. Il ne s’agit plus seulement de plaire aux humains, mais de guider les intelligences qui les assistent. Dans un monde où chaque individu aura ses propres agents IA, il ne s’agira plus de concevoir pour une masse indistincte, mais pour des intelligences intermédiaires, médiatrices, exécutantes.
Nous avons désigné pour les doigts, les yeux, les cerveaux. Nous devons désormais designer pour les agents.