Grâce à l'IA, je sais faire plein de choses inutiles
Il fut un temps où seul l'artiste pouvait vivre de l'inutile. Tous les autres étaient condamnés à l'utile. L'arrivée de l'IA répare cette injustice.
Le savoir – faire ne suffit pas. Il faut un savoir – faire utile. Fabriquer un parapluie sans toile ne sert à rien, une chaise sans assise non plus. Seul l’artiste peut prétendre à un savoir faire inutile, produire des œuvres sans but ni pourquoi. Le couteau sans manche et sans lame de Lichtenberg par exemple. Mais pour les autres, une telle posture les condamne à l’inconsistance. L’homo Faber serait alors accusé d’incompatibilité avec le monde qui fonctionne. Il aurait beau savoir – faire, son savoir – faire serait devenu inutile. Nous y voilà. Il se trouve que les savoir – faire inutiles devraient connaitre une croissance exponentielle pour les années à venir. C’est inévitable lorsque des révolutions technologiques surviennent dit – on.
Aucun problème ajoute t’on. On invite alors ce savoir – faire devenu inutile à se recycler, vers de plus nobles aptitudes susceptibles de transcender son art. Ce n’est pas tant que son geste soit devenu obsolète car il pourrait servir encore. C’est juste qu’il est devenu tautologique au sens où il est reproduit par un automate à moindre effort et moindre coût. En d’autres termes l’Homme fait pareil que l’automate, mais en pire. Toutefois, l’accusé a le choix de sa peine. Soit il se recycle, soit il choisit de végéter dans un état de stase pour une durée indéterminée. Il a cette liberté.
Sauf que l’IA n’est pas une révolution comme les autres. Il ne s’agit pas de recycler quelques aptitudes, mais de reformater tout le système. Par définition une révolution rebat les cartes. Mais l’IA menace de tout emporter sur son passage, de tirer la nappe comme on dit. Evidemment, puisque le pire est possible, le meilleur l’est aussi. Ainsi parmi les plus grands économistes, tous les scénarios sont envisageables comme le résume ce récent article de spécialistes de la question. De la croissance exponentielle au chômage forcé pour tous. L’incertitude est devenue maximale, l’horizon des possibles infini.
Quand même. Il semble assez extraordinaire que nous ayons confié les clefs de notre avenir professionnel dans les mains d’une révolution dont nous sommes à ce point incapables de pondérer les effets bénéfiques en rapport à ceux préjudiciables. Nous n’avons pas eu le choix probablement. Le progrès ne se décrète pas, il s’invite. La suite dépend de ce qu’il nous impose. Soit nous sommes des convives invités à partager sa table, soit nous sommes ses sujets reclus à l’arrière garde de la boutique.
Et il ne suffit pas de regarder la hausse frénétique du marché d’actions américain pour se convaincre que l’IA nous promet un avenir meilleur. La bourse américaine a toujours une inclinaison à croire aux mythes plutôt qu’à la triste condition du réel. L’envolée spectaculaire de celles qu’on appelle les 7 magnifiques (Alphabet, Amazon, Apple, Meta, Microsoft, Nvidia, Tesla) est certes justifiée par les profits réalisés par ces entreprises jusqu’à présent. Mais ce sont ces profits justement qui interrogent. Combien de temps pourront – ils encore tenir ce rythme sans que des signes de hausse tangible de la productivité du travail soient visibles dans l’économie ?
Alors puisque les cartes ne sont plus entre nos mains. Puisqu’il semble presque entendu que cette révolution sera plus révolutionnaire que les précédentes. Peut – être est – il encore temps de nous préparer à savoir – faire des choses inutiles. L’artiste le fait bien et n’a pas l’air de s’en plaindre. Le politique aussi semble plutôt avoir pris goût à la chose. Alors pourquoi pas, peut – être nous aussi aurons – nous la chance bientôt d’apprécier l’obscure sensation de produire du vide, de se rendre invisible aux yeux du monde. La mélancolie n’est – elle pas le bonheur d’être triste, comme le disait Victor Hugo ?
Evidemment restera le douloureux problème du frigidaire, qu’il faut bien remplir. Du crédit aussi, qu’il faut bien honorer. Mais j’ai bon espoir, j’ai demandé à Chat GPT et il m’a déjà proposé tout un tas de solutions.