Les développeurs seront remplacés par l'IA… sauf s'ils écoutent Werner Vogels
C'est l'une des keynotes les plus attendues de cette édition 2025 de re:Invent, celle qui éclaire traditionnellement les mois à venir par une vision technologique claire. A Las Vegas, où le JDN est présent, le très apprécié CTO d'Amazon Werner Vogels s'est livré à un véritable exercice de transmission : offrir aux développeurs ses derniers conseils pour évoluer, et prospérer, à l'ère de l'IA, alors qu'il s'apprête à faire ses adieux au panel de re:Invent.
L'IA va-t-elle remplacer les développeurs ?
La fin d'une ère, le début d'une autre. Pour sa dernière keynote, Werner Vogels a choisi de répondre clairement à la question qui traverse toute la profession à l'heure des assistants de code et des IDE augmentés : "L'IA va-t-elle prendre mon travail ?". Sa réponse est immédiate : "Absolument pas. Si vous évoluez." Le ton est donné.
Werner Vogels rappelle que les développeurs ont toujours dû adapter leurs compétences. Dans les années 2000, on déployait on-premise. Avec le cloud, tout a changé : il a fallu apprendre de nouveaux modèles d'architecture, de nouveaux outils, de nouvelles responsabilités. Aujourd'hui, l'arrivée d'environnements comme Cursor ou Kiro pousse encore à réinventer la manière de coder. "Dans dix ans, tout aura encore changé", dit-il.
Pour le CTO d'Amazon, la transition est très concrète : avec l'IA on passe moins de temps à écrire du code, et plus à le comprendre, le vérifier et le structurer. Les méthodes évoluent, on ne se contente plus de "vibe coder", on apprend à écrire des specs, à revoir le code généré et à garder la responsabilité de ce qui part en production. Sa thèse est simple : le métier ne disparaît pas, il change. On entre dans une "Renaissance" du développement où l'IA sert d'accélérateur. Mais le point clé reste : ces outils ne remplacent pas le travail du développeur. Ils changent la carrière, pas la mission. "Il n'a jamais été aussi intéressant d'être développeur", assure encore le CTO.
Apprendre en continu et communiquer
Apprendre en continu devient, selon Vogels, la compétence fondatrice du développeur moderne : "La curiosité n'est pas un trait de personnalité, c'est une discipline professionnelle. Lisez, expérimentez, échouez, recommencez. Les développeurs qui progresseront seront ceux qui acceptent de s'exposer au changement et de tester de nouveaux outils avant qu'ils ne deviennent la norme."
Communiquer est également l'autre pilier. Werner Vogels rappelle que les systèmes sont devenus trop complexes pour être compris individuellement : un ingénieur doit savoir décrire clairement ce qu'il veut, aussi bien à une machine qu'à un collègue. Les spécifications réduisent l'ambiguïté, améliorent les designs et limitent les erreurs. De même, les revues de code, souvent perçues comme une contrainte, redeviennent critiques. Elles réintroduisent le jugement humain dans la boucle. Pour le CTO, savoir expliquer une architecture, poser les bonnes questions à un client, ou clarifier ce qu'un agent IA doit produire, devient aussi stratégique que savoir coder.
Penser en système, assumer ses productions
Penser en système devient maintenant un impératif. Pour Vogels, avec l'IA, un développeur ne peut plus raisonner "fonction par fonction." Chaque changement, même minime, modifie le comportement global d'une architecture. Ajouter un cache, ajuster une politique, déplacer une responsabilité d'équipe : tout crée de nouveaux flux. Le CTO le martèle, la vraie compétence aujourd'hui, c'est de comprendre l'écosystème dans lequel son code s'insère. Savoir anticiper les effets de bord, lire les signaux faibles et raisonner en boucles de rétroaction.
De même, assumer ses productions est l'autre point non négociable pour résister face à l'IA. L'IA peut accélérer le développement, mais elle ne retire ni la responsabilité, ni l'exigence. "You build it, you own it", insiste-t-il. Le développeur reste comptable de ce qui entre en production, y compris lorsque le code est généré à 90% par un assistant. Le CTO met en garde contre deux pièges : la dette de vérification, créée par un volume de code plus rapide à produire qu'à comprendre, et les hallucinations. La réponse, dit-il, tient dans des mécanismes concrets : revues humaines systématiques et tests renforcés.
Devenir polymathe, une obligation
A ce stade, le message ne laisse plus aucun doute : l'IA ne remplace pas les développeurs, elle élève le niveau d'exigence. Mais Vogels ne s'arrête pas là. Il insiste sur ce qu'il considère comme les fondations de la profession à l'ère des modèles génératifs : accepter l'expérimentation comme méthode, et surtout élargir radicalement son champ de compétences.
Mais le point le plus stratégique est encore ailleurs. Pour Vogels, la compétence décisive des années à venir ne sera ni un langage, ni un outil d'IA, mais la capacité à penser au-delà du code. Le développeur de demain doit devenir polymathe. Comprendre les systèmes, la psychologie des utilisateurs, les mécanismes économiques, les sciences connexes. Dans un monde saturé de modèles génératifs, la "pensée transversale" va devenir l'avantage compétitif ultime sur le marché.
Enfin, pour clore cette ultime masterclass, le légendaire CTO soigne sa sortie. Un dernier regard vers la foule, un lapidaire "Werner out", et il laisse tomber sa télécommande sur scène. Un mic drop à l'américaine qui restera dans les annales de re:Invent.