On connaît la date d'éclatement de la bulle IA

On connaît la date d'éclatement de la bulle IA L'expiration en 2031 d'une mesure introduite en 2017 et prolongée par la Big Beautiful Bill pourrait précipiter l'éclatement de la bulle de l'intelligence artificielle... si bulle il y a.

Rappellez-vous la tornade DeepSeek, qui en début d'année a semé le doute sur le modèle d’affaires des géants américains de l’IA. Face au David chinois capable de concevoir un grand modèle de langage avec (relativement) peu de ressources, était-il bien raisonnable pour les Goliath américains de continuer à investir des sommes folles dans la construction de centres de données géants visant à leur conférer toujours plus de puissance de calcul ?

A voir la façon dont le reste de l’année s’est déroulé pour les géants en question, la réponse est incontestablement oui. Microsoft, Google, Meta et Amazon cumulent plus de 300 milliards de dollars de dépenses d’investissement en capital (capex) en 2025, la plupart consacrées aux infrastructures IA. xAI, de son côté, a entrepris la construction d’un centre de données géant gargantuesque rassemblant un million de processeurs graphiques, un chiffre tout simplement inédit, pour un coût estimé entre 150 et 200 milliards de dollars. 

Un programme de relance du secteur privé

Ces acteurs n’ont pas l’intention de s’arrêter en si bon chemin. "Il paraît raisonnable d’estimer que les entreprises américaines vont dépenser plus de mille milliards de dollars dans les infrastructures de l’IA sur les cinq prochaines années", estime Ian Graham, senior analyst chez Te Ahumairangi, un fonds d’investissement. L’IA est devenue un moteur essentiel de l’économie américaine : sur les six premiers mois de l’année, les dépenses d’investissement en capital dans l’IA ont davantage contribué à la croissance outre-Atlantique que la consommation !

Dans une note parue en juillet, l’investisseur Paul Kedrosky montrait que les dépenses en infrastructures dédiées à l’IA avaient déjà dépassé celles consacrées aux infrastructures télécom et internet lors de la bulle du dot.com et continuaient de croître. Il va jusqu’à affirmer que l’une des explications de la vigueur actuelle de l’économie américaine, malgré les droits de douane de Donald Trump, est que les dépenses en infrastructures IT sont si importantes qu’elles agiraient comme une sorte de programme de relance qui serait mis en œuvre par le secteur privé plutôt que par l’Etat. Les marchés ont pris bonne note : cet été, Microsoft est devenue la deuxième entreprise au monde, après Nvidia, à atteindre la valorisation stratosphérique de 4 000 milliards de dollars. 

L’origine des dépenses somptueuses des Big Tech

Les causes de ces investissements stratosphériques sont naturellement multiples. Il y a bien sûr le phénomène de course à l’armement qui pousse chaque ténor de l’IA à investir toujours plus en puissance de calcul de peur de voir ses modèles de pointe éclipsés par ceux de la concurrence, avec à la clef le risque de disparaître sur un marché technologique américain marqué par la règle du gagnant prend tout. 

Il y a le bull market qui entoure les géants de l’IA (les “Sept magnifiques” comptent actuellement pour 37% du S&P 500, une part inédite) et la confiance des investisseurs qui permet aux entreprises de dépenser sans compter (à 500 milliards de dollars, OpenAI est l’entreprise privée la mieux valorisée de l’histoire). 

Mais la frénésie dépensière des Big Tech tient aussi à une loi qui passe souvent sous les radars et joue pourtant un rôle déterminant. En 2017, peu après sa première prise de pouvoir, Donald Trump passe le Tax Cuts and Jobs Act (TCJA). Outre diverses baisses d’impôts sur les particuliers et les entreprises, celui-ci introduit une règle qui permet aux entreprises américaines de déduire immédiatement, dans l’année de l’achat, la totalité des dépenses d’investissement éligibles liées à leurs activités. 

Au lieu d’étaler la déduction fiscale sur plusieurs années via l’amortissement, elles obtiennent ainsi une réduction d’impôt immédiate équivalente à 100% de ces dépenses. Cette mesure favorise donc un flux de trésorerie plus important à court terme, encourageant ainsi les investissements massifs en infrastructures technologiques. En effet, si elle ne cible pas spécifiquement les investissements dans l’IA, les dépenses engagées dans la construction de centres de données étant particulièrement coûteuses, cette loi a joué un rôle d’accélérateur pour inciter les entreprises de la tech à s’équiper en centres de données et semi-conducteurs pour accroître leur puissance de calcul. 

Vers un éclatement de la bulle de l’IA en 2031 ?

Sensée expirer progressivement à partir de 2023, cette mesure a été étendue jusqu’à 2031 par la Big Beautiful Bill, la loi budgétaire passée par l’administration Trump plus tôt dans l’année. Jusqu’à cette date, le coût fiscal effectif des gros investissements est donc toujours abaissé pour les entreprises américaines, stimulant le développement rapide des infrastructures de l’IA. 

"La réforme fiscale via la loi One Big Beautiful Bill du président Trump a joué un rôle clef dans l’accélération des dépenses d’investissement en capital pour l’IA", estime Richard Clode, gestionnaire de portefeuille chez Janus Henderson, un investisseur. "Pour les grandes entreprises technologiques qui dépensent des dizaines de milliards en R&D et en infrastructures IA/cloud, il s’agit d’un avantage majeur du point de vue fiscal et de la trésorerie." 

Mais cela implique aussi que cet effet disparaîtra après expiration de la règle, ce qui pourrait freiner la dynamique du marché de l’IA… et conduire à l’éclatement de la fameuse bulle, ce que redoutent de nombreux observateurs et professionnels de l’IA

C’est notamment ce qu’affirme James Thorne, du fonds Wellington-Altus, dans un récent message publié sur son compte X. "L’impulsion de liquidité liée au capex reste structurellement soutenue jusqu’en 2030, sauf évolution du contexte légal ou macroéconomique. Si ces faits changent, l’analyse évolue ; mais tant que cela n’arrive pas, le scénario par défaut est une continuité, et non un arrêt brutal des marchés financiers."

Autrement dit, les géants de la tech ont une incitation à continuer de dépenser sans compter jusqu’au 1er janvier 2031, après quoi l’incitation disparaît, et nous entrerons dans une grande inconnue. Il est bien entendu possible que le futur président américain étende de nouveau la date butoir pour éviter le risque d’un retournement conjoncturel, mais les Etats-Unis font face à de grosses difficultés budgétaires, face auxquelles le successeur de Donald Trump pourrait être contraint de donner un tour de vis pour redresser le déficit, au risque de faire éclater la bulle de l’IA. 

Tout cela suppose, bien entendu, que nous soyons bel et bien face à la formation d’une bulle, ce que contestent certains experts. "La bulle internet des années 1990 dévoile ce qui arrive lorsque l’enthousiasme dépasse l’utilité réelle. En revanche, le déploiement du cloud dans les années 2010 montre comment les choses peuvent bien se passer avec un déploiement mesuré et des voies claires de monétisation, rappelle  Ian Graham, chez Te Ahumairangi. Le chemin que l’IA prendra dépend de deux facteurs : la rapidité d’émergence des cas d’usage concrets dans le monde réel d’une part, et l’efficacité avec laquelle les entreprises peuvent transformer cette utilisation en revenus durables, d’autre part."