Qui gagnera la bataille des processeurs pour l'internet des objets ?

Qui gagnera la bataille des processeurs pour l'internet des objets ? Face au déclin du PC, l'essor des objets connectés représente pour les fabricants de semi-conducteurs un relais de croissance inespéré. Le leader, Intel, s'y jette à corps perdu. Qualcomm, ARM et AMD avancent aussi leurs pions.

26 milliards d'objets connectés à l'horizon 2020 selon Gartner, près du double pour Cisco, l'internet des objets (IoT) est promis à un bel avenir. Ampoule domestique, capteur industriel, caméra de sécurité, voiture autonome… tout appareil est potentiellement connectable. Un formidable gisement d'opportunités pour les fabricants de semi-conducteurs.

L'internet des objets doit leur servir de relais de croissance pour compenser l'érosion continue du marché des PC. L'emballement pour les notebooks a un temps fait illusion au tournant des années 2010 mais c'est maintenant sur les serveurs et, surtout, les objets connectés qu'Intel, AMD, Qualcomm ou AMR misent tous leurs espoirs.

Déjà près de 5 % du chiffre d'affaires d'Intel

A commencer par le premier d'entre eux, Intel, qui règne sans partage sur le marché des puces depuis une quarantaine d'années. Le groupe de Santa Clara qui s'est déjà vu rafler le marché des smartphones par Qualcomm et ARM joue gros. Voyant ses revenus stagner, Intel supprimera 12 000 emplois dans le monde d'ici la fin de l'année, soit 11 % de ses salariés. Le fondeur va notamment se désengager de tous ses centres de R&D en France, y compris de ses sites de Toulouse et de Sophia Antipolis pourtant dédiés à l'IoT.

Intel enregistre un chiffre d'affaires de 2,6 milliards de dollars dans l'IoT

Le chiffre d'affaires généré par l'IoT est déjà conséquent. Lors de la publication de ses résultats annuels présentés mi-janvier, Intel a indiqué dégager un CA de 2,6 milliards de dollars de sa division dédiée à ce secteur, en croissance de 15 % par rapport à 2015. Soit près de 5 % de son chiffre d'affaires global. La firme américaine entend, avec ses gammes de processeurs (par ordre croissant de puissance : Curie, Edison, Atom, Core, Xeon), couvrir tous les besoins.

Intel propose une plateforme à destination des constructeurs automobiles basée sur l'Atom A3900. © Intel

Curie entre dans la composition des vêtements connectés, Edison dans les petits appareils domestiques ou les drones, etc. Sorti en octobre, le tout dernier Atom E3900 – une série initialement prévue pour accompagner le succès des notebooks - vise à équiper les ordinateurs de bord des voitures ou les caméras de vidéosurveillance.

Montre et voiture connectées

Intel met aussi en avant sa capacité à bâtir des solutions complètes avec son écosystème d'éditeurs, constructeurs et intégrateurs. Au dernier CES, le groupe a présenté sa plateforme Go à destination des constructeurs automobiles basée sur l'Atom A3900 (A pour auto). Avec l'appui d'Intel, BMW entend faire rouler 40 voitures autonomes d'ici fin 2017. Au même CES, New Balance dévoilait RunIQ sa montre pour coureurs embarquant un GPS et un capteur cardiofréquencemètre, développée avec Intel, Google et le réseau social Strava.

Enfin, Intel joue de son leadership sur le marché des serveurs pour se positionner sur l'ensemble de la chaîne du traitement de l'information. "Les objets génèrent un flux continu de données qu'il faut collecter et analyser, parfois en temps réel comme dans le domaine de la santé", observe Julien Laval, responsable marketing business et IoT pour l'Europe de l'Ouest chez Intel. "Ce traitement se fait dans le cloud ou via des passerelles intermédiaires, les gateways."

Intel se positionne également sur le traitement des données issues des objets connectés

Pour les activités critiques, l'analyse des données doit, selon Julien Laval, se faire au plus près de l'objet voire depuis la machine elle-même. "Un robot industriel est suffisamment gros pour embarquer du Core ou du Xeon afin de traiter en local des informations sur son état de santé puis envoyer une alerte à la maintenance", souligne l'expert. Pour apporter cette intelligence, Intel a notamment investi 740 millions de dollars dans Cloudera. Il a aussi racheté Saffron (dans le cognitive computing) en 2015 et Nervana (deep learning) en 2016.

Qualcomm capitalise sur les brevets et le rachat de NXP

En face, la riposte s'organise pour ne pas laisser Intel seul s'emparer du gâteau. Numéro trois des fabricants de semi-conducteurs après Intel et Samsung, Qualcomm semble le candidat le plus sérieux sur le terrain des objets connectés. Selon un récent rapport du cabinet LexInnova, la société américaine détient de très loin le plus large portefeuille de brevets consacrés à l'IoT avec 157 dépôts, près de quatre fois plus qu'Intel (40).

Un activisme qui lui a déjà servi par le passé. Qualcomm tire, en effet, une part substantielle de ses revenus des royalties de ses brevets dans le monde de la téléphonie mobile (avec la technologie CDMA, entre autres). Ce qui d'ailleurs suscite des tensions sur le marché. Apple vient de déposer une plainte contre la société américaine pour position dominante quelques jours après une autre plainte de la Federal Trade Commission (FTC) ciblant le groupe pour pratiques anticoncurrentielles.

Nombre de brevets déposés par les principaux acteurs technologiques positionnés dans l'IoT. © LexInnova,

Qualcomm peut capitaliser sur son expérience dans la fabrication de puces pour smartphones, activité représentant 60 % de son chiffre d'affaires. Le cahier des charges d'un processeur dessiné pour l'IoT reprend en effet un grand nombre des caractéristiques de ces dernières : il doit être à la fois petit par la taille et frugal en termes de consommation d'énergie (en vue d'optimiser l'autonomie de l'objet) toute en étant suffisamment puissant pour gérer des flux de données en continu.

Le Snapdragon Wear 2100 de Qualcomm est un SoC qui se destine aux montres connectées. © Qualcomm

Qualcomm a fait aussi une entrée en force dans le monde de l'embarqué avec le rachat, en octobre dernier, de son rival NXP pour 47 milliards de dollars. La plus grosse transaction jamais réalisée dans le secteur des semi-conducteurs. Dix mois plus tôt, NXP s'était emparé de Freescale pour 11,8 milliards de dollars. Ex Philips Semiconductors, NXP s'est spécialisé dans la fourniture de puces pour les voitures connectées notamment pour la partie "in-car infotainment" (multimédia). Ce qui n'empêche pas Qualcomm de sortir ses propres composants IoT. En février 2016, il présentait Snapdragon Wear 2100, un SoC (System on a chip, ou circuit intégré sur une seule puce) qui remplace le vieillissant Snapdragon 400. Il se destine particulièrement aux montres connectées.

Fin de la guerre entre architecture RISC et x86

Le même mois, c'était au tour du Britannique ARM de dévoiler le Cortex-A32, son processeur destiné aux objets connectés. Basé sur l'architecture ARMv8-A, il affiche une consommation d'énergie de 25 % inférieure à celle du Cortex-A7 - basé également sur une architecture ARM 32-bits. Dans ce domaine, la société de Cambridge peut capitaliser sur son savoir-faire dans la conception de processeurs basse consommation. Son architecture RISC s'opposant à l'architecture CISC (x86) d'Intel.

ARM commercialise, aussi, une gamme de processeurs pour l'IoT

La paix des braves a toutefois été déclarée. Devenue filiale de l'opérateur japonais SoftBank, ARM a conclu, l'été dernier, un accord avec Intel pour le développement de dispositifs associant son SoC avec le processus de gravure en 10 nm du fondeur américain. Ce qui devrait offrir au marché un plus large choix en termes de fournisseurs. LG a été le premier à profiter de cette alliance pour fabriquer une nouvelle génération de processeurs pour ses smartphones.

AMD avait fait, lui, le choix de s'ouvrir à l'architecture des puces d'ARM deux ans plus tôt. Un pari risqué mais nécessaire, le fabricant de semi-conducteurs subissant plus encore qu'Intel le contrecoup de la chute de l'activité des PC. Longtemps dans le rouge, AMD a redressé la barre sans faire nécessairement de l'IoT une priorité. Présenté en mars prochain, lors du Mobile World Congress de Barcelone, sa future gamme de processeurs, baptisée Rizen, se positionne comme concurrente au Core d'Intel, donc sur le segment PC et serveurs. AMD a néanmoins développé des SoC dédiés à l'embarqué (avec ses séries R et G) pour des besoins bien spécifiques comme l'imagerie médicale ou le contrôle industriel.