Manifeste pour une exploitation intensive et responsable des données et de l'IA

Dans son ouvrage "Sortez vos données du frigo - Une entreprise performante avec la data et l'IA", Mick Levy plaide pour une exploitation intensive et responsable des données et de l'IA. Selon lui, les organisations ne dégagent pas assez de valeur des données.

Je pars d’un constat simple. Toutes les organisations génèrent, collectent et stockent des données… mais elles n’en exploitent en moyenne que 32% (étude IDC/Seagate Technology, Rethink Data, 2020). Et dans un contexte de crise permanente où tout semble avoir été tenté pour augmenter la compétitivité des entreprises, on se rend compte qu’un véritable gisement de valeur a été oublié !

Il faut donc que les dirigeants et managers opèrent une prise de conscience. Les données sont un actif à part entière et doivent être traitées en tant que tel. Quel autre actif de l’entreprise est conservé autant inerte ? Il semble que les données soient l’un des actifs les moins exploités de toute l’organisation alors même qu’elles peuvent dégager une valeur énorme, en particulier avec l’IA.

En fait, les données sont jusque-là principalement utilisées pour le pilotage de l’entreprise avec l’élaboration d’indicateurs et de tableaux de bord. C’est bien, et cet usage va nécessairement perdurer, mais l’IA offre des possibilités de valorisation bien plus importantes, en projetant vers l’action et pas simplement en offrant des constats. C’est le message-clé de mon livre, et c’est pourquoi je milite pour que les entreprises entrent de plain-pied dans l’ère de l’IA et exploitent leurs données de façon intensive.

Comment s’y prendre ?  

Les usages sont le sujet central de la stratégie data de l’entreprise. Il faut les débusquer partout dans l’organisation pour identifier ceux qui vont dégager le plus de valeur. Mais les directions métiers ont souvent du mal à se projeter et à les imaginer. C’est pourquoi il est nécessaire de partager des repères : pour la data et l’IA, quatre grandes familles d’usages sont à considérer.

La première est celle de l’efficacité opérationnelle. Elle vise à améliorer les processus, baisser les coûts de fonctionnement et automatiser les opérations de l’organisation. Par exemple, une entreprise industrielle a mis en place un algorithme pour aider les conseillers des fonctions support à identifier rapidement les solutions à un problème remonté par un client. L’algorithme, qui s’appuie sur le traitement du langage naturel (NLP pour natural language processing), fournit la bonne solution dans 90% des cas, ce qui améliore grandement l’efficacité de tout le service et permet de réduire les coûts de résolution des problèmes.

La seconde famille est celle de l’intimité clients. Celle-ci permet d’enchanter l’expérience clients, notamment avec la personnalisation des parcours et des opérations marketing. C’est par cette approche qu’une entreprise de distribution a augmenté de 35% les ventes en rebond de ses campagnes marketing.

La troisième famille regroupe les cas d’usage concernant l’écosystème dans lequel évolue l’organisation. Elle vise à réduire les risques, se mettre en conformité aux réglementations et lutter contre la fraude. Ce dernier sujet permet d’ailleurs de dégager un fort retour sur investissement. Je cite notamment l’exemple d’un Etat européen dont les projets d’IA ont permis de récupérer des milliards d’euros.

La dernière famille est celle de l’innovation et de la réinvention. Facturation à l’usage, coachs numériques ou encore monétisation sont autant d’usages possibles. L’objectif est de créer de nouveaux produits, services ou nouveaux business-models basés sur les données et l’IA. Dans ce domaine, seule l’imagination de l’entreprise et la nature des données disponibles fixent les limites des usages. Une entreprise industrielle a ainsi transformé son modèle de vente et développé fortement son business en développant une tarification personnalisée et en proposant un mode de facturation à l’usage.

Ces quatre familles et les nombreux exemples associés peuvent inspirer les métiers et servir de guide pour la construction des feuilles de route des programmes data des entreprises.

Le défi de l’éthique : pourquoi ce sujet est-il central ?

Des affaires telles que celles de la NSA ou de Facebook - Cambridge Analytica sonnent comme des coups de semonce et révèlent les risques que posent une exploitation débridée des données et de l’IA. Dans ces cas, ce sont notre souveraineté, nos démocraties, nos valeurs de justice et nos modes de vie qui sont attaqués. Dans le sillage de ces scandales planétaires, de nombreux problèmes d’équité et de transparence des algorithmes ont d’ores et déjà été révélés.

Or, l’IA est en passe de s’imposer partout. Dans les services publics, les banques ou encore dans les départements RH de nos employeurs. Et nous allons aux devants de grands problèmes si les algorithmes mis en service se révèlent biaisés, inéquitables et opaques. L’IA a déjà prouvé sa capacité à amplifier les inégalités ou à polariser les opinions, il ne faudrait pas généraliser ces problèmes à tous les pans de la société et de nos vies quotidiennes.

Ce sujet qu’on peut aborder sous le terme général d’éthique de l’IA présente ainsi de multiples facettes. Le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) fixe les bases du respect du traitement des données personnelles. Mais des éléments propres à l’IA sont aussi à considérer, qu’ils soient de nature technique (algorithmes, données, méthodologie…) ou philosophique (culture, choix des usages, définition de limites…).

Ce sujet peut sembler lointain pour beaucoup d’entreprises, mais il doit se muer en une réalité concrète. C’est pourquoi je propose dans mon ouvrage un plan d’action avec 10 mesures directes pour les professionnels de la donnée et pour les organisations. Et c’est pourquoi il faut instaurer une exploitation non seulement intensive mais aussi responsable des données et de l’IA. L’un ne peut aller sans l’autre tant les risques sont grands.

Comment mobiliser les énergies autour des sujets de data et d’IA ?

Pour placer les données et l’IA au cœur de son fonctionnement, l’entreprise doit mobiliser toutes ses forces vives. En effet, devenir une organisation data-centric, c’est-à-dire qui place les données au cœur de son fonctionnement, nécessite une transformation pour laquelle les données doivent devenir l’affaire de tous.

Celle des dirigeants en premier lieu, car ce sujet est transverse, stratégique, et doit donc bénéficier de leur sponsoring fort et impliqué. Ils doivent ainsi fixer l’ambition et allouer les ressources nécessaires. Les métiers ont quant à eux la responsabilité d’identifier et développer les usages, mais aussi adapter les processus et les méthodes de travail. De plus, ils doivent absolument s’approprier le patrimoine des données de l’entreprise pour le maîtriser et le gouverner. Enfin, les DSI doivent être les catalyseurs des projets. Il leur faut mettre en œuvre et maintenir les socles technologiques, déployer les pipe-lines de données et se positionner en facilitateurs de l’innovation par la data et l’IA.

Les femmes et les hommes qui composent l’organisation sont donc au cœur de ces projets qui doivent être abordés de façon transverse pour être véritablement efficaces. C’est pourquoi les enjeux d’acculturation et de formation sont énormes et doivent être placés au centre du programme data et IA de l’entreprise.

L'ouvrage de Mick Levy "Sortez vos données du frigo - Une entreprise performante avec la data et l'IA" a été publié en février 2021 aux éditions Dunod.