Numérique : sortir de la souveraineté pour passer à la résilience
Après dix ans de règlements défensifs au nom de la souveraineté numérique, l'Europe doit changer de cap et passer à la résilience pour plus d'innovation et de liberté.
Depuis dix ans, l’Europe s’abrite derrière un mot-fétiche : souveraineté numérique. Et derrière ce mot, une avalanche de règlements : RGPD, DMA, DSA, DGA, IA ACt et beaucoup d’autres… Des textes importants avec de belles valeurs, certes, mais avant tout défensifs. À force de dresser des murailles réglementaires, nous avons oublié l’essentiel : une muraille protège, elle n'émancipe pas. Nous l’avons vu, l'Europe reste une colonie numérique, les données des européens des matières premières, et les amendes ne font peur à plus personne.
La souveraineté telle qu’elle est pensée aujourd’hui, est une citadelle assiégée. On verrouille, on encadre, on interdit. Mais où est le souffle créateur ? Où est la capacité à inventer nos propres outils, nos propres infrastructures, notre propre futur numérique ?
La Résilience Numérique : La voie de la souplesse
Face aux empires technologiques qui dominent le monde, nous n’avons pas besoin d’une Europe recroquevillée derrière ses règlements. Nous avons besoin d’une Europe résiliente. La résilience, ce n’est pas la peur du choc, c’est la capacité à l’absorber, à rebondir, à transformer la contrainte en opportunité. La résilience c’est la capacité à continuer parce que l’on sait que les ressources de la continuité sont accessibles.
Quand Broadcom a racheté VMware en quasi-monopole, le prix des licences a pu être multiplié par 800% du jour au lendemain. Que peuvent faire les DSI des entreprises françaises à part accepter de payer la note ? Les grands groupes dont la compétence est externalisée à des grandes ESN, auraient-elles les compétences pour continuer les projets si leur contrat s’arrête ?
C’est le sens de l’Indice de résilience numérique, lancé en juillet dernier par David Djaiz, Arno Pons et Yann Lechelle, qui mesure nos dépendances réelles. C’est aussi le combat du Conseil national de la Résilience de Tariq Krim : construire des infrastructures ouvertes, distribuées, diversifiées, plutôt que de fantasmer une souveraineté hors-sol. La liberté viendra de la capacité des organisations de savoir que leur informatique peut plier sans rompre.
Quatre piliers pour un numérique Résilient
La résilience numérique repose sur quatre piliers concrets, sans lesquels nous resterons éternellement prisonniers de la dépendance :
- La formation : il ne suffit pas d’utiliser les technologies, il faut savoir les comprendre, les détourner, les réinventer. Tant que nous dépendrons des autres pour coder le système, développer les modèles nous resterons des consommateurs, pas des acteurs.
- La culture tech des décideurs : combien de responsables politiques et économiques signent des contrats cloud ou IA sans en comprendre les enjeux politiques ? Chaque ligne de code est un choix de société. L’ignorance des décideurs est aujourd’hui notre plus grande vulnérabilité.
- L’open source : c’est la seule voie crédible pour sortir des monopoles. Transparent, coopératif, adaptable, l’open source est un instrument de liberté. Ne pas en faire une priorité stratégique est une faute politique.
- La recherche : sans recherche publique et privée de haut niveau, pas de leadership. Nous ne serons jamais résilients si nous abandonnons l’innovation de rupture aux États-Unis et à la Chine.
Un nouveau contrat social du numérique
La souveraineté numérique a été un réflexe de survie. Mais elle est devenue une prison dans une économie de marché mondialisée. L’heure est venue de basculer vers la résilience numérique : abandonner la liberté figée de la souveraineté pour celle active de la résilience. C’est seulement ainsi que nous pourrons bâtir un numérique émancipateur, capable de rayonner et de reprendre la course au progrès dans le peloton de tête capable de plier sans rompre, donc de se libérer de la peur.