Mardi 11 janvier 2000
DOCUMENT
Jacques-Hervé Roubert: "Pourquoi (et comment)
j'ai vendu Cythère..."
Comme
le JDNet l'avait indiqué il y a quatre mois dans ses
"confidentiels"
(20 septembre 1999), Jacques-Hervé Roubert, fondateur
et président de Cythère Interactive, a finalement
vendu sa prestigieuse agence après sept mois de négociations
à Informission, une filiale du groupe canadien Québécor.
Fondée en 1990, Cythère compte aujourd'hui près
de 100 salariés pour 39 millions de chiffre d'affaires
en 1999. Parmi ses principaux budgets sur le Web, l'on trouve
la Fnac, Danone, Bouygues Télécom, le Club Méditerranée,
Michelin, Ricard ou L'Oréal. Québécor
quant à lui, l'un des premiers imprimeurs mondiaux,
réalise 300 millions de francs de chiffre d'affaires
sur le Net. Il édite notamment le portail Canoe.com,
qui revendique 70 millions de pages vues mensuelles. Jacques-Hervé
Roubert revient pour le JDNet sur les circonstances qui ont
motivé sa décision.
Propos
recueillis le 11 janvier 2000 par Rémi
Carlioz
JDNet
: Après maintes rumeurs, la nouvelle est désormais
confirmée, vous avez vendu Cythère. Pourquoi?
Jacques-Hervé Roubert: On s'aperçoit
en cette période 1999/2000 qu'il y a un virage dans
les demandes exprimées par les clients, qui demandent
davantage de pôles de compétences, et une exigence
croissante d'internationalisation. Arrivent également
de nouveaux concurrents comme Andersen Consulting, McKinsey,
etc. A partir de là, l'évolution de Cythère
était nécessaire. J'ai eu plusieurs propositions,
américaines issues de Organic ou Sapient, mais aussi
françaises, de Havas pour ne citer qu'eux. Je ne voulais
ni être l'"agent" -en tout cas le bras armé-
d'une agence américaine, ni tomber dans les problèmes
politiques français. Il me restait donc les derniers
temps les deux branches de l'alternative, soit Québécor,
soit l'introduction en Bourse de Cythère.
A
propos de Bourse, on parle à propos de Cythère
d'une valorisation à hauteur de 600 millions de francs.
US Web/CKS est valorisée sept fois environ son chiffre
d'affaires, et vous?
Oui, c'est vrai, les financiers qui nous poussaient vers l'introduction
en bourse misaient sur une valorisation de 500 à 600
millions de francs. Cela fait quinze fois notre chiffre d'affaires
actuel. Même siles valorisations tiennent pour une grande
part sur le chiffre d'affaires futur, je situe personellement
notre valeur à environ 10 fois notre CA soit 390 millions
de francs. Si les sociétés sont cotées
haut, c'est aussi que l'on parie sur la progression: 40 millions
de francs, 80, 160, 320, etc.
Pourquoi ne pas avoir choisi la
Bourse?
Il y a plusieurs raisons. C'est avant tout un choix de mode
de vie, personnel comme professionnel. En termes de ressources
humaines, il nous aurait fallu pour aller en Bourse dix personnes
comme Chistophe [Christophe Tricaud, directeur général
de Cythère NDLR] et moi. Et puis je pense qu'il
y avait pour nous un risque boursier. Nous avons -c'est là
une démarche volontaire- un nombre de clients restreint.
Si demain, je perds un client comme Danone, ce serait dramatique
pour le cours de Bourse. Il est excessivement difficile de
maintenir un cours de Bourse.
Aujourd'hui, de facto, vous devenez
une société cotée puisque Québécor
l'est.
C'est vrai. Mais maintenant si je perds un client, je ne dirais
pas que ce n'est pas grave, mais cela aura moins de conséquences
au sein d'un groupe comme Québécor, qui réalise
déjà 300 millions de francs sur le Web. C'est
là tout le débat.
Quelle est la synergie avec Québécor?
Aujourd'hui, elle est théorique. Je ne pourrais réellement
vous répondre que dans un an. Québécor
est un groupe international, un grand groupe industriel, qui
a d'excellentes compétences dans l'édition.
Ils ont le portail Canoe.com,
des compétences dans la télévision. Ils
ont aussi une très bonne connaissance du marché
canadien, des portails et des contenus, ainsi que du mix web-papier,
que je n'ai pas encore constaté en France, à
ce point là. Les synergies sont toutes trouvées.
Je sais en tout cas ce que je ne ferai pas, du web à
la chaîne.
Quel est le montant de l'opération?
Il reste confidentiel.
Une partie du deal s'effectue
en cash, l'autre en échange d'actions. Selon quelles
proportions?
Environ un tiers en cash et en échange d'actions à
deux-tiers.
En termes de chiffres, ou en est
Cythère et quelles sont ses perspectives ?
Nous avons réalisé en 1999 39 à 40 millions
de francs de chiffre d'affaires, dont 25% aux Etats-Unis.
Nous sommes maintenant sur une perspective de 70 millions
de francs en 2000. Avec des résultats toujours supérieurs
à 10%, ratio que nous entendons bien conserver. Et,
enfin, un plan de recrutement ambitieux, plus ambitieux encore
depuis cette opération. Nous tablons sur 130 à
140 personnes chez Cythère en fin d'année.
Et vos activités américaines?
Québécor n'est pas très présent
sur la côte Est des Etats-Unis. On peut imaginer sans
problème que Cythère devrait devenir la tête
de pont de cette nouvelle entité aux Etats-Unis, dans
le Web en tout cas.
Et vos nouvelles activités
d'incubateur de start-up? (voir article
du JDNet du 20 octobre 1999)
Là, ce n'est pas encore tranché. Si nous devions
arrêter cette nouvelle activité, Christophe et
moi, ce serait hélas avec regret.
Quelle est l'ambiance chez Cythère
après cette opération?
A priori bonne, tout le monde a applaudi hier. C'est ce que
je vois en tout cas. Mais nous sommes fiers chez Cythère
de voir les salariés ne pas faire de nocturne tous
les jours. Avec une introduction en Bourse, cela aurait plutôt
été minuit. Et puis chacun doit voir ce que
ce rapprochement signifie en termes de dimension internationale,
de gestion de carrière, etc.
Sont-ils associés au capital?
Par pour l'heure, mais ils l'auraient été de
toutes façons, et ils le seront.
A travers cette opération,
est-ce que vous ne dressez pas un constat d'échec du
marché français des prestataires?
Non, pas d'échec, mais de mutation et de concurrence
accrue. Les moyens exigés sont de plus en plus conséquents.
Et puis il y a une question de ressources humaines, plus que
le problème financier stricto sensu. Enfin, je reviens
sur l'introduction en Bourse et sur la difficulté qu'il
y a à maintenir un cours d'action. C'est un constat,
et un choix de style de vie. Moi, j'ai choisi la solution
la plus "raisonnable".
Ressentez-vous la même chose
que lorsque vous avez quitté Young & Rubicam?
Non, rien
à voir. Chez Young, j'étais la personne à
qui l'on disait de faire. Là, je deviens Président-Europe
d'Informission et membre du conseil d'administration d'Informission,
Christophe Tricaud actuel directeur général
de "Cythere Interactive" en deviendra le directeur général
Europe. Nous sommes présentés comme deux personnes-clé
du nouveau groupe Québécor ainsi constitué.
Après, on verra au cas par cas. Si je ne suis pas d'accord,
cela posera problème. Mais a priori, j'ai confiance.
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