Le Conseil des ventes, institué
par la loi de janvier 2000 qui a réformé
le statut des commissaires-priseurs français,
a rendu un avis dans lequel il s'attaque ouvertement
à la vente d'objets d'arts et de collection sur
des sites d'enchères comme eBay. L'avis, rendu
le 19 septembre 2002 et rendu public récemment,
propose d'interdire d'enchères en ligne les biens
de plus de 150 ans classés dans huit catégories,
de la peinture à la tapisserie en passant par
les livres ou le mobilier. Cette limite serait ramenée
à 75 ans pour les films et photographies. Le
Conseil propose de même d'interdire la mise aux
enchères en ligne des objets de ces mêmes
catégories portant la signature d'un auteur,
d'un artiste ou d'un fabricant si d'autres biens de
cet artiste ou auteur ont déjà fait l'objet
d'une vente aux enchères
officielle avec catalogue.
Les
responsables des sites d'enchères -un marché
aujourd'hui restreint à deux acteurs principaux,
eBay et QXL Ricardo, propriétaire de la marque
Aucland- ont vu dans le texte une
provocation réveillant le conflit latent qui
les opposait aux acteurs des enchères traditionnelles.
"Il s'agit d'une définition beaucoup
trop large. Interdire la vente sur eBay d'objets aussi
anodins qu'une pièce romaine de quelques euros
n'a aucun sens, s'inquiète Grégory Boutté,
directeur général d'eBay France. Et il
est impossible de connaître à tout moment
l'ensemble des biens vendus aux enchères dans
le monde présents dans plusieurs milliers de
catalogues".
eBay qui réalise
la moitié de son activité avec la vente
d'antiquités et de biens de collection s'inquiète
également à l'idée de ne plus pouvoir
vendre sur son site des objets comme des albums anciens
d'Astérix ou des porte-clefs Mickey signés
Walt Disney...
De son coté, Sylvie
Fleury, directrice générale de QXL Ricardo
en France, explique que "cette attaque très
forte des commissaires priseurs contre
les sites d'enchères illustre simplement la crainte
du commerce traditionnel face à la montée
en puissance réelle des activités en ligne".
Ces réactions amusent
Me Rémi Sermier, avocat et membre du conseil
des ventes, qui a travaillé personnellement sur
le texte : "Je ne suis pas sûr que les
dirigeants des sites d'enchères ont bien lu le
texte. Nous avons simplement voulu proposer une définition
pour éviter de trouver à nouveau un faux
Rembrandt annoncé pour un authentique par un
vendeur sur un site d'enchère comme nous l'avons
constaté il y a quelques mois".
La loi de janvier 2000 avait
pourtant pacifié le conflit latent qui opposait
les professionnels on et offline des enchères.
Cette loi avait été unanimement saluée
tant par les commissaires-priseurs que par les sites
d'enchères en ligne car elle faisait sortir ces
derniers du strict champ juridique de la vente aux enchères
en qualifiant leurs opérations d'"activités
de courtage en ligne".
Seule
restriction pour ne pas se voir imposer les règles
contraignantes de protection des acheteurs applicables
aux ventes aux enchères : les sites ne doivent
pas proposer la vente
de "biens culturels". Mais ni la loi, ni son
décret d'application n'avaient précisé
à l'époque de définition des biens
culturels.
Me Champin, président
de la Chambre nationale des commissaires priseurs interviewé
par le Journal du Net à l'époque, se référait
à une définition d'un décret de
janvier 1993 sur le sujet précisant : "Ce
sont, pour faire simple, à la fois les biens qualifiés
de Trésors nationaux mais aussi les biens présentant
un intérêt historique artistique ou archéologique...
Sont retenus des critères d'ancienneté et de valeur
économique du bien".
"Nous avons simplement
souhaité apporter notre expertise en proposant
une définition rationnelle et plus adaptée
que celle du décret de janvier 1993", précise
aujourd'hui Rémi Sermier.
Détail cocasse : on
retrouve, parmi les membres du conseil des ventes qui
ont activement travaillé à la rédaction
du texte, Antoine Beaussant, ancien président
fondateur de N@rt. Ce même N@rt s'était
attiré les foudres de la chambre nationale des
commissaires priseurs fin 1999 en organisant des ventes
aux enchères en ligne d'objets anciens, en violation
du monopole des commissaires priseurs alors en vigueur.
Une tempête dans
un verre d'eau ? La portée juridique de l'avis
du Conseil des ventes est aujourd'hui nulle. Ce sont
les ministères de la Culture et de la Justice,
destinataires de l'avis, qui doivent décider
de retenir ou non la définition restrictive proposée
et de l'intégrer éventuellement dans un
nouveau décret. La bataille juridique n'a donc
pas lieu d'être. Mais la guerre des lobbys, elle,
a bien commencé.
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