Selon Palisade Systems, une
société spécialisée dans la sécurité des réseaux, 47 %
des téléchargements effectués sur les réseaux P2P concernent
des films. Parallèlement, le marché légal mondial de la
vidéo, porté par l'essor du DVD, a progressé de 50 %
en 2002. A l'heure où la sortie de Matrix 3 fait l'objet
d'un plan anti-piratage sans précédent, Jean-Yves Mirski,
délégué général du Syndicat de l'édition vidéo (SEV) et
ancien vice-président par intérim de l'Association de
lutte contre la piraterie audiovisuelle (ALPA), analyse
la situation du secteur face aux problèmes croissant de
piraterie en ligne et nous livre ses positions en matière
de lutte contre le téléchargement illégal.
JDN.
Quelle est la situation du marché de l'édition vidéo
en France ? Dans quelle mesure est-il affecté par
le téléchargement pirate ?
Jean-Yves Mirski.
En 2002, il s'est vendu
en France 49 millions de DVD et 33 millions de VHS.
Cela représente une valeur éditeurs de 1,07 milliard
d'euros et, en valeur consommateurs, entre 1,6 et 1,7
milliard d'euros. A titre de comparaison, le chiffre
d'affaires salles s'élève à environ 1 milliard d'euros.
Cela fait maintenant plusieurs années que le chiffre
d'affaires de l'édition est supérieur au chiffre d'affaires
salles. Concernant la piraterie, la MPAA [Motion
Picture Association of America,
ndlr] évalue
le nombre de téléchargements de films entre 600 000
et 800 000 par jour au niveau mondial. La France
doit représenter entre 3 et 5 % du global. Les
pirates téléchargent surtout des nouveautés,
et beaucoup de films pornos. Médiamétrie a établi que
les personnes connectées en bas débit surfent en moyenne
six heures par mois, contre dix-sept
heures pour les
connectés en haut-débit. On ne peut pas en déduire
que la différence doit être attribuée entièrement au
téléchargement, mais c'est une piste à suivre. Par ailleurs,
on constate que de plus en plus de films français sont
piratés en ligne. Poster sur le web les nouvelles sorties
cinématographiques
le plus rapidement possible est devenu
un sport
national. Cela justifie
les mesures prises pour la sortie de Matrix, surtout
que le piratage en ligne gagne du terrain par rapport
au piratage traditionnel. En fait, Internet est devenu
la source d'un grand nombre de DVD pirates. Leurs auteurs
ont fait beaucoup de progrès techniques, ce qui leur
a permis par exemple, sur Nemo, d'utiliser une source
pour l'image, et une autre pour le son. Au final, on
obtient malheureusement une copie de grande qualité.
Enfin, c'est le développement du haut-débit, pré-requis
pour télécharger des films, qui favorise le piratage.
Quelles
mesures sont mises en uvre pour lutter contre la piraterie ?
Quand on voit que les FAI vendent leurs
offres d'accès haut-débit en mettant en avant le téléchargement
alors que 99 % de l'offre est illicite, il y a
de quoi se faire du souci. L'ALPA procède à une surveillance
sur Internet de plus en plus ciblée et active et il
existe toute une panoplie d'actions à mener, à plusieurs
niveaux.
Sur le plan législatif, nous attendons la transposition
de plusieurs directives européennes (commerce électronique,
droits d'auteur) qui doivent renforcer nos possibilités
d'actions. Comme l'industrie musicale, avec laquelle
nous travaillons au sein du Clic [Comité de liaison
des industries culturelles, ndlr], nous attendons
qu'elles responsabilisent les FAI. On ne peut pas entrer
avec eux dans des discussions de marchands de tapis
quand on connaît la vitesse à laquelle les fichiers
pirates sont mis à disposition sur Internet. Il faut
mettre en place des procédures efficaces qui permettent
une action immédiate à partir du moment où l'infraction
est relevée.
Sur le plan technique, au sujet des dispositifs
anti-copie, nous attendons également la transposition
de la directive. La situation n'est pas la même que
pour les CD dans la mesure où, dans le cahier des charges,
les DVD sont protégés contre la copie. Mais c'est le
support qui est protégé. L'uvre, elle, est copiable
à partir du moment où elle est diffusée en télévision.
L'exception de copie privée a d'ailleurs été créée pour
l'audiovisuel : il s'agissait de mettre en conformité
les textes avec la réalité de la diffusion télé. La
base de répartition des rémunérations pour copie privée,
ce sont les diffusions télé.
Sur le plan de la prévention, je pense
qu'il est fondamental d'informer le public sur les risques
encourus et la licéité d'un certain nombre d'actions.
Par ailleurs, je ne pense
pas que l'augmentation des taxes sur les supports soit
une piste valable. Au niveau des actions répressives,
les procédures judiciaires sont encore rares, car elle
sont longues et compliquées. Mais l'ALPA est réorganisée
depuis un an et va disposer de plus d'inspecteurs. Les
poursuites sont justifiées lorsqu'une personne dispose
de plusieurs milliers de fichiers pirates, et qu'on
peut légitimement supposer qu'elle en fait commerce,
comme dans le cas de ce particulier qui a mis en ligne
la version française de Nemo. Enfin, certains proposent
d'agir sur les délais de diffusion. Je ne pense pas
qu'il soit utile de raccourcir les délais télé, et encore
moins de rallonger les délais vidéo, ce qui ouvrirait
la porte à la piraterie.
Croyez-vous
au modèle de la location en ligne, la solution légale
que proposent les studios américains à travers Movielink ?
Les studios ne veulent pas communiquer
sur les résultats de ce marché qui est encore réduit.
Si le système arrive à être sécurisé, ce modèle paraît
assez logique. Mais, à mon avis, ça n'est pas pour tout
de suite. Les gens qui veulent posséder des films chez
eux ne sont pas trop concernés par cette offre. En revanche,
ce modèle entre en concurrence avec le marché des vidéo
clubs. Pour l'instant, c'est encore compliqué, car les
détenteurs de droits vidéo supports ne les ont pas automatiquement
pour la VOD. Les négociations en termes de droits et
de délais de diffusion se font encore au coup par coup,
comme c'était le cas entre les maisons de disque et
les services de téléchargement payants.
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