A
32 ans, Michel Meyer a déjà traversé plusieurs vies. Normal,
pour cet entrepreneur emblématique des années "start-up". A l'époque, un mois était égal à
un an, c'est bien connu. Calme, posé, cet ingénieur informatique
de formation devenu chef d'entreprise a connu les hauts et les
bas de l'Internet, aux commandes de Multimania et de Lycos.
Il les évoque indifféremment, avec le même recul et la même
distance, celle d'un homme constamment tourné vers l'avenir.
Son avenir immédiat, c'est PulseVision (lire l'article
du JDN du 14/09/04), la société qu'il a montée il y a dix-huit
mois avec son vieux complice Olivier Heckmann, et qui propose
des applications interactives mobiles.
Quand Michel Meyer crée son premier site Web, le chat sur mobile
n'existe pas encore. Dans la Silicon Valley, où il s'exile en
1994 après ses études toulousaines, il est alors stagiaire développeur
chez Ray Dream, une société spécialisée dans les logiciels d'image
de synthèse qui se trouve à deux pas de Sun. C'est là-bas qu'il
rencontre Olivier Heckmann. "Nous avons une vraie complémentarité,
dit-il en parlant de son acolyte. On ne voit pas les choses
de la même façon, mais on se comprend très rapidement."
Ensemble,
ils assistent aux débuts de l'Internet grand public, se découvrent
"la même soif d'entreprise", et élaborent The Virtual Baguette.
Ce magazine en ligne parodique et décalé, lancé le 1er avril
1995, rencontre un succès rapide. "Au bout d'une semaine, raconte
Michel Meyer, nous avons été sélectionnés "cool site of the day",
et avons reçu 5.000 visites en une journée. Du coup, de manière
complètement inattendue, des médias français se sont intéressés
à nous". The Virtual Baguette déboule ainsi en quatrième de
couverture de Libération.
C'est le bon moment pour rentrer en France, où il
doit remplir ses obligations militaires. Dans ses bagages, il
ramène une innovation technologique : Java. Avec Olivier Heckmann
et un capital de 125.000 francs, ils fondent alors la société
Multimania Productions, qui édite The Virtual Baguette et propose
des prestations de services aux médias. Grâce à ses expérimentations,
la société est invitée à présenter ses activités aux Etats-Unis,
notamment par Intel. "Nous avons eu la chance de toujours être
repérés", raconte Michel Meyer.
"Un
mix de chance et de bon timing" |
En 1996, Multimania boucle un
tour de table de 2,6 millions de francs mené par Sofinnova.
Mais un an plus tard, en 1997, Multimania patine. L'activité de prestation de
service est alors cédée à Netforce en 1998, et Multimania Productions
fusionne avec Mygale, spécialiste de l'hébergement et de la
création de pages personnelles, donnant naissance au site Multimania.
La société procède à une nouvelle levée de fonds en novembre,
15 millions de francs, avec Sofinnova et FD5. En mars 1999,
le site se retrouve numéro trois de l'audience en France. Et
ce n'est pas terminé, puisqu'en 1999, Multimania lève 60 millions
de francs auprès notamment de Paribas et d'Intel, pour "pouvoir
réaliser des acquisitions et être les premiers à annoncer en
télévision".
C'est la période faste. 120 personnes travaillent chez Multimania
et la Bourse lui tend les bras en mars 2000. "Nous avons été
les premiers, trois jours avant Liberty Surf, et le jour du
pic du Nouveau marché", précise Michel Meyer, non sans fierté.
De la chance ? Du nez ? "C'est un mix de chance et de bon timing.
Mais il faut être prêt et saisir sa chance, savoir adapter sa
stratégie au jour le jour et se remettre en cause tous les 6
mois." L'adaptabilité est d'ailleurs l'une des principales qualités
de Michel Meyer, selon Olivier Heckmann. "Il est aussi visionnaire
et dispose d'une grande capacité de travail."
De ses années californiennes, Michel Meyer n'a pas rapporté
la passion du surf. Dans l'eau, il est plus à l'aise avec le
water polo, qu'il a pratiqué. La barbe claire et l'il rivé
sur le cap, la métaphore maritime le porterait plutôt capitaine
de vaisseau amiral. C'est le rôle qu'il endosse au moment de
l'OPE de Lycos Europe, début 2001. Propulsé directeur général
de Lycos France, il affirme qu'à aucun moment il n'a pris la
grosse tête. Se rappelle qu'en 1997, il est passé près du dépôt
de bilan. Et reprend le fil de son récit sans sourciller.
"Les choix stratégiques
de Lycos ne correspondaient pas à ma vision" |
Pendant que lui est occupé à fusionner les entités françaises
de Lycos (Multimania, Spray, Caramail), Olivier Heckmann prend
la responsabilité de la partie hébergement en Europe, qu'il
fait évoluer vers les services payants. Avec plus de bonheur
que Michel Meyer, puisque l'hébergement devient l'un des axes
de développement de Lycos, tandis que Michel Meyer se découvre
très vite des "divergences stratégiques avec le centre de Lycos",
qui conduiront à son départ fin 2001.
Dans le même temps, un
plan social doublé de démissions font fondre l'effectif de 270
personnes à 150 en un an. Michel Meyer ne s'étendra pas sur
les circonstances de sa démission et les relations qu'il entretenait
avec les anciens de Caramail, Alexandre Roos, Orianne Garcia
et Christophe Schaming, qui resteront les seuls maîtres à bord
de Lycos France après son départ. "Mon départ n'a pas été si
difficile que ça, c'était naturel car les choix stratégiques
ne correspondaient pas à ma vision des choses. Sur le fond,
la surchauffe a beaucoup joué contre Multimania. Pour moi, le
fondement de base, c'est cette économie qui s'affole. Ça en
devenait délirant ! Même si j'ai un petit sentiment de gâchis,
je ne le perçois pas comme un échec personnel."
Retour au port pour le capitaine. Après une année qu'il qualifie
de "100 % pro", il profite de sa disponibilité pour "bosser
intensément pour sa famille", agrandie d'une petite fille née
au moment de sa démission. Michel Meyer est décidément le spécialiste
des bons timings, y compris dans sa vie privée. Il se lance
aussi dans le bénévolat, en créant le site Internet de PlanetFinance
et en prenant pendant un an et demi une part active aux activités
de l'association, qui lutte contre la pauvreté en aidant à la
mise en place de programmes de microcrédit. Il garde également
un pied dans le Web par le biais de son rôle d'administrateur
de Sport4fun, au capital duquel il est présent depuis 2000.
"J'ai encore envie de créer" |
Puis, avec les propositions qui commencent à tomber, vient le
temps des grandes questions : faut-il aller travailler dans
un grand groupe ? La réponse s'impose finalement de manière
naturelle. Pas question de rentrer dans le rang pour ce "bâtisseur",
tel qu'il se définit lui-même, sans fausse référence à son père
qui était cadre commercial dans le bâtiment. Avec Olivier Heckmann,
qui avait quitté Lycos quelques temps après lui, ils avaient,
dit-il, "encore envie de créer".
Ils étudient les opportunités
liées au Wi-Fi, mais se heurtent à la non viabilité des business-models. Ils retrouvent alors leurs premières amours, le communautaire,
et décident de miser sur la "nouvelle révolution", celle de
la mobilité. C'est ainsi qu'ils créent PulseVision, rejoints
par Pierre Gohon, le responsable technique de Free. Michel Meyer
en est le président, et il développe aussi la plate-forme logicielle,
capable de gérer en temps réel les interactions entre les téléphones
mobiles et la télévision. Du coup, il est devenu un gros consommateur
de SMS : il en envoie une centaine par jour, mais surtout pour
raisons professionnelles (même s'il reconnaît avoir déjà voté
pour un candidat de la Star Ac').
Le fait de redémarrer à zéro avec une petite structure pourrait
sembler rébarbatif, après l'aventure Lycos. Il faut croire que
Michel Meyer n'est pas un homme de pouvoir. "Ce qui me motive,
c'est le challenge et la créativité. Je suis fan de l'innovation,
et j'aime pouvoir exprimer ma créativité. Cela est plus facile
dans une équipe relativement restreinte." Cette vision positive
et sereine des choses lui donne finalement des ambitions mesurées.
"Mon rêve ? L'idéal serait que dans un an nous soyons présents
dans plusieurs pays et avec d'autres produits." Rien que de
très pragmatique pour ce personnage "ancré dans le réel". "L'abordable
est dans le quotidien. C'est sûr, j'aime bien avoir une influence
sur ce quotidien." Pour l'instant, c'est réussi. |