JDNet.
Votre calendrier de développement à l'international
est très chargé. A-t-il respecté les
objectifs fixés dans votre business plan initial ?
Pierre Chappaz.
Je vais peut-être apparaître
présomptueux mais le calendrier a été
respecté à la lettre. En lançant Kelkoo,
nous avions prévu d'avoir une surface pan-européenne
avant la fin de l'été 2000. La signature avec
Zoomit, qui nous offre un accès à l'Europe du
Nord et à l'Allemagne, s'est déroulée
le 19 septembre. Soit deux jours avant la fin de l'été !
La seule chose que nous n'avons pas respectée, et c'est
tant mieux, c'est est l'évaluation des revenus de Kelkoo.
Ils sont aujourd'hui 25% au-dessus de nos projections initiales.
Comment
vous êtes-vous organisé en interne pour mener
les différentes opérations d'acquisition et
de rapprochement au niveau européen ?
En décembre 1999, nous avons recruté un manager
chargé du développement international, issu
du monde de la distribution et capable de piloter ces opérations.
C'est lui qui était en charge de prospecter les partenaires
européens potentiels. En parallèle, pour nous
préparer à cette expansion, nous avons travaillé
très vite sur le développement de la version
anglaise du site grâce à une équipe d'un
quinzaine de développeurs basée en Inde.
De
quelle manière avez-vous sélectionné
les sites avec lesquels vous vous êtes rapproché ?
Avant tout, c'est un travail de veille. Nous avons scruté
des sources d'information nationales ou, si vous préférez,
des sortes de "Journal du Net" locaux ! Grâce
à ce travail, nous avons identifié une quarantaine
de sociétés européennes qui nous semblaient
être des partenaires possibles pour sortir des frontières
hexagonales. Puis, dans chaque pays, nous avons établi
une short-list, un duo de tête. Notre idée de
base était alors simple : soit signer avec le leader
national, soit avec le numéro deux. Il y a des pays,
comme l'Espagne, où les choses étaient plus
simples. Dondecomprar s'imposait naturellement avec presque
90% de part de marché au niveau national. Dans d'autres
pays, comme le Royaume-Uni, d'autres paramètres devaient
être pris en compte : type de management, la qualité
des soutiens financiers, la complémentarité
des équipes, l'état d'esprit...
Avez-vous
subi un refus de la part d'un des sites que vous aviez sélectionnés
en short-list ?
Oui, c'est arrivé un fois au Royaume-Uni début
2000. Le shopbot, qui était alors le leader national,
a refusé notre offre en invoquant le fait que nous
étions trop petit et que si quelqu'un devait opérer
un rachat, c'était plutôt lui... Il y a quelques
jours, j'ai reçu une équipe de ce shopbot dans
nos bureaux. Il cherche à s'adosser d'urgence car ils
sont en panne de cash.
Au
cours de ces opérations de rapprochement, quel était
le rôle des capitaux-risqueurs ?
Ils nous ont encouragé dès le début à
développer une stratégie internationale. Eux
aussi étaient prêts à accepter une dilution
au niveau du capital afin de jouer la carte de la consolidation.
Mais la notion de réseau européen du capital-risque
n'existait pas. Nos différentes opérations de
rapprochement ont permis d'en créer un. Les capitaux-risqueurs
présents dans les différentes sociétés
ont appris à se connaître et à travailler
ensemble.
N'y-a-t-il
pas une certaine tension quand vous proposez à une
société, leader dans son pays, de la racheter ?
Pour éviter une telle situation, nous n'avons jamais
parlé d'acquisition mais de fusion. Cette différence
est très importante car dans un processus de rachat
il y a toujours cette impression qu'il existe un perdant et
un gagnant. Pour éviter cela, le plus vite possible,
nous mettons en place une notion d'équipe commune avec
des capacités identiques aux autres entités
du réseau européen. Il faut que les deux équipes
soient en phase et qu'elles aient envie de construire le gâteau
plutôt que de se le partager.
Et
le fait de changer de marque se passe bien ?
C'est généralement un aspect très affectif
pour les personnes. Pour préparer le terrain, nous
avons réalisé des études afin de démontrer
le potentiel de la marque Kelkoo au niveau européen.
Généralement les choses se passent alors très
bien, la société ayant le sentiment d'intégrer
un véritable réseau. La bascule entre les deux
marques s'opère ensuite très rapidement en quelques
semaines avec une campagne de publicité offline. Et
quand on voit que Philips a mis deux ans pour glisser vers
Whirlpool, je me dis que la nouvelle économie a tout
de même encore de beaux avantages...
Comment
s'organise le round final avant la signature ?
C'est le moment le plus délicat dans un rapprochement
car nous sommes alors dans une contrainte de temps. Fusionner
deux start-up revient à rapprocher deux bolides qui
ne vont pas forcément à la même vitesse
ni dans la même direction. Les revenus et le trafic
d'un site, donc sa valorisation, évoluent très
vite. Il faut donc être capable de prendre une photo
à un instant "t" et de travailler très
rapidement sur cette base avant qu'elle ne soit obsolète.
Si les choses durent trop longtemps, le rapprochement risque
alors de ne pas se faire. On l'a vu encore très récemment.
Pour aller vite, nous nous appuyons sur un logiciel informatique
que nous avons développé en interne et qui permet
de modéliser les modalités du rapprochement.
Cet outil, notamment selon le trafic, les revenus et le pays
d'implantation, nous permet d'établir des bases de
négociation. Généralement, nous organisons
alors deux ou trois réunions préliminaires puis
une réunion de décision finale "go-no go".
Si la réponse est "go", la première
chose que nous établissons est la date de conférence
de presse pour l'annonce, fixée systématiquement
trois semaines plus tard. C'est notre point de non-retour.
Nous avons alors une vingtaine de jours pour tout faire.
Et
comment se déroulent ces trois semaines ?
Immédiatement nous lançons deux audits qui durent
15 jours pour évaluer Kelkoo et l'autre société.
Dans le même temps, nous affinons la mécanique
financière et les dilutions respectives au niveau du
capital. C'est la partie la plus difficile du processus. Dans
l'économie traditionnelle, une telle opération
aurait 90% de chance de ne pas se faire étant donné
les délais et l'instabilité des données.
Ces trois semaines sont donc très actives et deux fois
sur trois, la signature se déroule la veille au soir
de la conférence de presse. Et puis, ce laps de temps
très resserré a un autre avantage. N'oubliez
pas que les avocats sont payés via des honoraires...
Une
fois la conférence de presse passée, de quelle
façon le management intègre-t-il la nouvelle
entité ?
Nous mélangeons les équipes le plus possible,
en prenant le meilleur en terme de management. Les managers
de la nouvelle entité peuvent, par exemple, se retrouver
avec des fonctions élargies sur l'ensemble du réseau
Kelkoo. Dans tous les cas, il n'y a pas de chasse aux sorcières.
Nous sommes dans un contexte de croissance et tout le monde
a son utilité.
Cette
nouvelle entité reproduit-elle à l'identique
la façon de travailler de Kelkoo ou s'agit-il d'un
échange mutuel ?
Il y a des aspects très distincts dans une phase de
fusion. Sur tout ce qui touche aux process, comme les procédures
d'embauches, les achats ou le pilotage budgétaire,
toutes les entités pratiquent la même façon
de travailler. Sinon, notre réseau serait ingérable
et le reporting impossible. Par contre, chaque nouvelle fusion
est l'occasion d'enrichir le reste de la structure d'idées
nouvelles. L'expérience espagnole nous a ainsi apporté
une culture internationale, Dondecomprar étant implanté
en Amérique du Sud. L'arrivée au Royaume-Uni
nous a permis de découvrir un marché mature
avec un niveau de compétitivité très
fort. Enfin, la Scandinavie nous a fait réfléchir
sur l'évolution du concept Kelkoo. Les gens de Zoomit.com,
qui ont une longue expérience de l'Internet, nous ont
fait comprendre que l'avenir pour Kelkoo ne passait pas par
une stratégie de portail marchand avec beaucoup de
contenus du type infomédiaire, mais sur le développement
d'un outil technique pointu, notre moteur de comparaison,
qui pourrait alors s'intégrer sur une multitude de
portails partenaires. C'est un peu ce qui sépare la
stratégie AltaVista de la stratégie Google.
Au
quotidien, comment gérez-vous cette structure pan-européenne ?
Le reporting est centralisé sur Paris où se
trouve une équipe d'une vingtaine de personnes de cinq
nationalités différentes. Nous centralisons
tous les indicateurs concernant le trafic des sites ainsi
que le contrôle financier au niveau des dépenses
et des revenus. Cela nous permet de faire réagir l'ensemble
de la structure si telle chose marche bien ou mal sur tel
ou tel site.
Ce
n'est pas un mode de fonctionnement trop lourd pour une start-up ?
Nous sommes aujourd'hui en tout une équipe de 155 personnes.
Et nous n'avons rien perdu en réactivité. En
revanche, je considère maintenant Kelkoo plus proche
du statut de PME de part sa taille et sa surface. Mais une
PME très rapide.
Et
ce, malgré le fait que l'Europe reste un casse-tête
législatif pour piloter des activités trans-nationales ?
Il est vrai que l'harmonisation européenne est encore
en souffrance. Nous nous en sommes aperçus dans nos
opérations de fusion. Mais je vois deux avantages à
cette situation. Tout d'abord, pour ceux qui réussissent
à passer les frontières, comme Kelkoo, cette
barrière à l'entrée devient ensuite un
avantage face à la concurrence. Enfin, les sociétés
américaines découvrent à leur dépens
cette réalité européenne, cette variété
en matière de législation, de langues et d'habitudes.
En
février 2000, dans votre première interview
au JDNet, vos sites préférés étaient
les e-marchands. Cette réponse est toujours valable ?
Oui. Je vais quasi exclusivement sur des sites marchands comme
RueduCommerce, MicroDisconut, Rouge&Blanc, Buy.com...
A
l'époque toujours, vous déclariez aimer l'Internet
car on peut y faire du business tout en se faisant plaisir.
Est-ce encore vrai ?
Plus que jamais...
Enfin,
vous détestiez sur Internet les limitations en terme
de débit, notamment quand les amércains encombrent
le réseau. Toujours aussi remonté ?
Oui, j'attends avec envie le haut débit. Mais une autre
chose m'énerve depuis cette déclaration. Les
phénomènes de mode de la part des médias
et des marchés face à l'Internet. En quelques
mois, on passe de l'euphorie au scepticisme le plus total...
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