INTERVIEW
 
PDG
Kelkoo
Pierre Chappaz
"Titre"

Lancé fin 1999, le comparateur de prix français Kelkoo a développé en moins d'un an une stratégie spectaculaire à l'international. En mars 2000, il fusionne avec son homologue hispanique Dondecomprar, puis, moins de deux semaines après, s'approprie le britannique Shopgenie. Devenu un poids-lourd de l'Internet européen, Kelkoo s'ouvre aux marchés scandinave et allemand en septembre en se rapprochant de Zoomit.com avant d'ouvrir sa version italienne. Pierre Chappaz, PDG et fondateur de Kelkoo, revient sur les moments cruciaux de cette conquête internationale et explique comment se pilote et fonctionne une start-up passée à l'échelle européenne.

10 octobre 2000
 
          

JDNet. Votre calendrier de développement à l'international est très chargé. A-t-il respecté les objectifs fixés dans votre business plan initial ?
Pierre Chappaz. Je vais peut-être apparaître présomptueux mais le calendrier a été respecté à la lettre. En lançant Kelkoo, nous avions prévu d'avoir une surface pan-européenne avant la fin de l'été 2000. La signature avec Zoomit, qui nous offre un accès à l'Europe du Nord et à l'Allemagne, s'est déroulée le 19 septembre. Soit deux jours avant la fin de l'été ! La seule chose que nous n'avons pas respectée, et c'est tant mieux, c'est est l'évaluation des revenus de Kelkoo. Ils sont aujourd'hui 25% au-dessus de nos projections initiales.

Comment vous êtes-vous organisé en interne pour mener les différentes opérations d'acquisition et de rapprochement au niveau européen ?

En décembre 1999, nous avons recruté un manager chargé du développement international, issu du monde de la distribution et capable de piloter ces opérations. C'est lui qui était en charge de prospecter les partenaires européens potentiels. En parallèle, pour nous préparer à cette expansion, nous avons travaillé très vite sur le développement de la version anglaise du site grâce à une équipe d'un quinzaine de développeurs basée en Inde.

De quelle manière avez-vous sélectionné les sites avec lesquels vous vous êtes rapproché ?
Avant tout, c'est un travail de veille. Nous avons scruté des sources d'information nationales ou, si vous préférez, des sortes de "Journal du Net" locaux ! Grâce à ce travail, nous avons identifié une quarantaine de sociétés européennes qui nous semblaient être des partenaires possibles pour sortir des frontières hexagonales. Puis, dans chaque pays, nous avons établi une short-list, un duo de tête. Notre idée de base était alors simple : soit signer avec le leader national, soit avec le numéro deux. Il y a des pays, comme l'Espagne, où les choses étaient plus simples. Dondecomprar s'imposait naturellement avec presque 90% de part de marché au niveau national. Dans d'autres pays, comme le Royaume-Uni, d'autres paramètres devaient être pris en compte : type de management, la qualité des soutiens financiers, la complémentarité des équipes, l'état d'esprit...

Avez-vous subi un refus de la part d'un des sites que vous aviez sélectionnés en short-list ?
Oui, c'est arrivé un fois au Royaume-Uni début 2000. Le shopbot, qui était alors le leader national, a refusé notre offre en invoquant le fait que nous étions trop petit et que si quelqu'un devait opérer un rachat, c'était plutôt lui... Il y a quelques jours, j'ai reçu une équipe de ce shopbot dans nos bureaux. Il cherche à s'adosser d'urgence car ils sont en panne de cash.

Au cours de ces opérations de rapprochement, quel était le rôle des capitaux-risqueurs ?
Ils nous ont encouragé dès le début à développer une stratégie internationale. Eux aussi étaient prêts à accepter une dilution au niveau du capital afin de jouer la carte de la consolidation. Mais la notion de réseau européen du capital-risque n'existait pas. Nos différentes opérations de rapprochement ont permis d'en créer un. Les capitaux-risqueurs présents dans les différentes sociétés ont appris à se connaître et à travailler ensemble.

N'y-a-t-il pas une certaine tension quand vous proposez à une société, leader dans son pays, de la racheter ?
Pour éviter une telle situation, nous n'avons jamais parlé d'acquisition mais de fusion. Cette différence est très importante car dans un processus de rachat il y a toujours cette impression qu'il existe un perdant et un gagnant. Pour éviter cela, le plus vite possible, nous mettons en place une notion d'équipe commune avec des capacités identiques aux autres entités du réseau européen. Il faut que les deux équipes soient en phase et qu'elles aient envie de construire le gâteau plutôt que de se le partager.

Et le fait de changer de marque se passe bien ?
C'est généralement un aspect très affectif pour les personnes. Pour préparer le terrain, nous avons réalisé des études afin de démontrer le potentiel de la marque Kelkoo au niveau européen. Généralement les choses se passent alors très bien, la société ayant le sentiment d'intégrer un véritable réseau. La bascule entre les deux marques s'opère ensuite très rapidement en quelques semaines avec une campagne de publicité offline. Et quand on voit que Philips a mis deux ans pour glisser vers Whirlpool, je me dis que la nouvelle économie a tout de même encore de beaux avantages...

Comment s'organise le round final avant la signature ?
C'est le moment le plus délicat dans un rapprochement car nous sommes alors dans une contrainte de temps. Fusionner deux start-up revient à rapprocher deux bolides qui ne vont pas forcément à la même vitesse ni dans la même direction. Les revenus et le trafic d'un site, donc sa valorisation, évoluent très vite. Il faut donc être capable de prendre une photo à un instant "t" et de travailler très rapidement sur cette base avant qu'elle ne soit obsolète. Si les choses durent trop longtemps, le rapprochement risque alors de ne pas se faire. On l'a vu encore très récemment. Pour aller vite, nous nous appuyons sur un logiciel informatique que nous avons développé en interne et qui permet de modéliser les modalités du rapprochement. Cet outil, notamment selon le trafic, les revenus et le pays d'implantation, nous permet d'établir des bases de négociation. Généralement, nous organisons alors deux ou trois réunions préliminaires puis une réunion de décision finale "go-no go". Si la réponse est "go", la première chose que nous établissons est la date de conférence de presse pour l'annonce, fixée systématiquement trois semaines plus tard. C'est notre point de non-retour. Nous avons alors une vingtaine de jours pour tout faire.

Et comment se déroulent ces trois semaines ?
Immédiatement nous lançons deux audits qui durent 15 jours pour évaluer Kelkoo et l'autre société. Dans le même temps, nous affinons la mécanique financière et les dilutions respectives au niveau du capital. C'est la partie la plus difficile du processus. Dans l'économie traditionnelle, une telle opération aurait 90% de chance de ne pas se faire étant donné les délais et l'instabilité des données. Ces trois semaines sont donc très actives et deux fois sur trois, la signature se déroule la veille au soir de la conférence de presse. Et puis, ce laps de temps très resserré a un autre avantage. N'oubliez pas que les avocats sont payés via des honoraires...

Une fois la conférence de presse passée, de quelle façon le management intègre-t-il la nouvelle entité ?
Nous mélangeons les équipes le plus possible, en prenant le meilleur en terme de management. Les managers de la nouvelle entité peuvent, par exemple, se retrouver avec des fonctions élargies sur l'ensemble du réseau Kelkoo. Dans tous les cas, il n'y a pas de chasse aux sorcières. Nous sommes dans un contexte de croissance et tout le monde a son utilité.

Cette nouvelle entité reproduit-elle à l'identique la façon de travailler de Kelkoo ou s'agit-il d'un échange mutuel ?
Il y a des aspects très distincts dans une phase de fusion. Sur tout ce qui touche aux process, comme les procédures d'embauches, les achats ou le pilotage budgétaire, toutes les entités pratiquent la même façon de travailler. Sinon, notre réseau serait ingérable et le reporting impossible. Par contre, chaque nouvelle fusion est l'occasion d'enrichir le reste de la structure d'idées nouvelles. L'expérience espagnole nous a ainsi apporté une culture internationale, Dondecomprar étant implanté en Amérique du Sud. L'arrivée au Royaume-Uni nous a permis de découvrir un marché mature avec un niveau de compétitivité très fort. Enfin, la Scandinavie nous a fait réfléchir sur l'évolution du concept Kelkoo. Les gens de Zoomit.com, qui ont une longue expérience de l'Internet, nous ont fait comprendre que l'avenir pour Kelkoo ne passait pas par une stratégie de portail marchand avec beaucoup de contenus du type infomédiaire, mais sur le développement d'un outil technique pointu, notre moteur de comparaison, qui pourrait alors s'intégrer sur une multitude de portails partenaires. C'est un peu ce qui sépare la stratégie AltaVista de la stratégie Google.

Au quotidien, comment gérez-vous cette structure pan-européenne ?
Le reporting est centralisé sur Paris où se trouve une équipe d'une vingtaine de personnes de cinq nationalités différentes. Nous centralisons tous les indicateurs concernant le trafic des sites ainsi que le contrôle financier au niveau des dépenses et des revenus. Cela nous permet de faire réagir l'ensemble de la structure si telle chose marche bien ou mal sur tel ou tel site.

Ce n'est pas un mode de fonctionnement trop lourd pour une start-up ?
Nous sommes aujourd'hui en tout une équipe de 155 personnes. Et nous n'avons rien perdu en réactivité. En revanche, je considère maintenant Kelkoo plus proche du statut de PME de part sa taille et sa surface. Mais une PME très rapide.

Et ce, malgré le fait que l'Europe reste un casse-tête législatif pour piloter des activités trans-nationales ?
Il est vrai que l'harmonisation européenne est encore en souffrance. Nous nous en sommes aperçus dans nos opérations de fusion. Mais je vois deux avantages à cette situation. Tout d'abord, pour ceux qui réussissent à passer les frontières, comme Kelkoo, cette barrière à l'entrée devient ensuite un avantage face à la concurrence. Enfin, les sociétés américaines découvrent à leur dépens cette réalité européenne, cette variété en matière de législation, de langues et d'habitudes.

En février 2000, dans votre première interview au JDNet, vos sites préférés étaient les e-marchands. Cette réponse est toujours valable ?
Oui. Je vais quasi exclusivement sur des sites marchands comme RueduCommerce, MicroDisconut, Rouge&Blanc, Buy.com...

A l'époque toujours, vous déclariez aimer l'Internet car on peut y faire du business tout en se faisant plaisir. Est-ce encore vrai ?
Plus que jamais...

Enfin, vous détestiez sur Internet les limitations en terme de débit, notamment quand les amércains encombrent le réseau. Toujours aussi remonté ?
Oui, j'attends avec envie le haut débit. Mais une autre chose m'énerve depuis cette déclaration. Les phénomènes de mode de la part des médias et des marchés face à l'Internet. En quelques mois, on passe de l'euphorie au scepticisme le plus total...

 
Propos recueillis par Ludovic Desautez

PARCOURS
 
Pierre Chappaz, 40 ans, Centralien, a quitté la direction marketing d'IBM Europe pour créer Kelkoo en 1999. Dans ses responsabilités chez IBM, il a lancé l'e-business en France et en Europe, conseillé de nombreuses entreprises sur leur stratégie Internet et mis en place les canaux de vente électronique d'IBM. Pierre Chappaz a été précédemment directeur du marketing et de la communication de Toshiba. Il a démarré sa carrière en 1984 comme producteur des expositions multimédia à la Cité des Sciences de la Villette puis au Futuroscope de Poitiers.

   
 
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