JDNet.
Après de nombreux abandons et de multiples refontes
en France et aux Etats-Unis, quel bilan tirez-vous de
la présence des enseignes de grande distribution
sur Internet ?
François Dalens.
Il y a une véritable tendance de fond dans l'émergence
de ce secteur sur Internet, et celui-ci va continuer
à se développer. Nous sommes convaincus
qu'il existe un véritable besoin du consommateur.
Simplement, ce besoin ne concernera pas la totalité
de la population. Nous sommes en face d'une activité
qui, de toute façon, demeurera une activité
complémentaire au commerce traditionnel avec
un rythme d'adoption beaucoup plus lent que ce qui avait
été indiqué il n'y a pas si longtemps.
Même si, effectivement, il y a eu beaucoup de
faillites, cela ne remet pas en cause cette activité.
Elle va continuer à se développer et finir
par trouver son modèle. Mais, on peut supposer
qu'elle ne fera pas beaucoup plus de 10 % du chiffre
d'affaires du secteur à l'horizon 2010.
Vous parlez
de rythme d'adoption lent. Est-on dans des schémas
similaires en France et aux Etats-Unis ?
Oui. La France
est bien évidemment en retard en raison d'une
pénétration moins importante d'Internet
et du faible taux d'équipement en haut débit.
Mais le schéma d'adoption est le même.
Lorsque vous examinez le modèle économique
nécessaire, en terme de pénétration,
pour rendre Webvan rentable, vous vous rendez compte
qu'il était peu réaliste. Il aurait fallu
soit un environnement où l'argent était
gratuit pour pouvoir se permettre des années
de pertes, soit un rythme d'adoption très rapide.
Ce qui n'a pas été le cas.
Quels principaux
enseignements peut-on tirer de ces expériences
?
Il y en a principalement
deux. Le premier, c'est qu'il faut savoir maîtriser
le rythme de croissance. Cette activité va mettre
plus de temps que prévu pour être adoptée
par les consommateurs. En même temps, chose paradoxale,
on constate des rythmes de progression d'activité
de 30 à 40 % par an. Ce qui n'est pas facile
à gérer ! Car, et c'est le second enseignement
de cette évolution, les acteurs sont aujourd'hui
obligés de s'inscrire dans un modèle économique
qui doit être rentable rapidement. Les distributeurs
se trouvent donc confrontés à un double
challenge. Ils doivent se situer dans un modèle
globalement rentable au niveau de la taille qui est
la leur aujourd'hui tout en étant capable de
gérer des croissances de 30 à 40 %
par an. Cela signifie qu'il leur faut une largeur d'offre
adéquate, et un modèle relativement localisé
pour disposer de la densité nécessaire
afin de rentabiliser les opérations logistiques.
A cela viennent s'ajouter une bonne gestion de la relation
client et un bon modèle de picking.
N'y a-t-il
pas eu, justement, des erreurs assez importantes en
terme de gestion de la relation clients ?
Il y a quelques
enseignes de la grande distribution qui ont montré
qu'elles savaient gérer la relation clients.
Simplement, parce que les principaux acteurs s'attendaient
à une activité complètement différente
et à une croissance rapide, la plupart d'entre
eux ont pris le parti de séparer le canal Internet
du canal traditionnel. Aujourd'hui, je pense qu'il va
falloir trouver un mode de gestion qui réintègre
ce canal dans les opérations et qui le traite
comme un canal à part entière et additionnel
par rapport aux autres. Le modèle Tesco, c'est
ça. Au-delà du système de "store
picking" dont tout le monde parle, je pense que
ce qui explique vraiment le succès de Tesco,
c'est le fait qu'il ait géré Internet
comme un canal supplémentaire au service de ses
consommateurs. Leur modèle de communication et
de CRM est le reflet de cette position. Ils ont largement
exploité leur base de données clients
qui est alimentée par les informations consommateurs
fournies par la carte Tesco, et ils communiquent en
magasin sur leur cybermarché. Ce qui ne se voit
pas dans les enseignes françaises.
Le modèle
économique de Tesco est-il valable pour tous
les cybermarchés ?
Je pense plutôt
que ce modèle économique doit se définir
au cas par cas. Il existe malgré tout un certain
nombre d'invariants, comme le fait de proposer une offre
large, capable d'inclure les produits frais ou l'épicerie
sèche. En terme de localisation, il faut également
être capable de démarrer sur des zones
où on se concentre pour pouvoir augmenter la
densité, plutôt que de vouloir couvrir
l'ensemble du territoire. Dans le cas contraire, les
investissements logistiques ne pourraient pas être
rentabilisés dans des délais raisonnables.
Enfin, il faut être capable de bien gérer
la relation clients et en particulier l'interaction
entre son activité dans les magasins physiques
et sur Internet. Une des études que nous avons
menée récemment montre que 48 % des
internautes sélectionnent les achats qu'ils vont
faire dans le monde physique sur Internet. Ce qui prouve
bien qu'un client passe d'un canal à l'autre.
Ensuite, il faut définir le bon modèle
de picking qui soit à la fois évolutif
et rentable au niveau du volume.
Le modèle
du "store picking" est-il l'unique solution ?
Non. Mais le
modèle de l'entrepôt est plus difficile
à faire fonctionner. Lorsque vous possédez
un entrepôt et que votre croissance est de l'ordre
de 30 %, soit vous avez un local très grand
et à moitié vide pour pouvoir absorber
la croissance future, soit vous changez constamment
d'entrepôt pour l'agrandir. Or, une des règles
fondamentales de l'efficacité du picking, c'est
de changer le moins souvent possible l'environnement.
En
France, aucun cybermarchand n'utilise le picking. S'intéressent-ils
aujourd'hui à ce modèle ?
Je ne peux rien
dire sur le sujet. Disons que tout le monde y réfléchit.
Quels sont
éléments dans le picking pratiqué
par Tesco qui contribuent à son bon fonctionnement
?
Ce modèle
n'a pas été trouvé tout de suite.
Il y a eu beaucoup d'essais et d'erreurs pour arriver
à l'optimiser. Tesco a notamment développé
des programmes informatiques spécifiques pour
pouvoir guider le picking en fonction de l'implantation
des magasins. Son système est le fruit de beaucoup
de persévérance. Je ne suis pas sûr
aujourd'hui que d'autres distributeurs aient consenti
autant d'efforts. Ensuite, les heures creuses en terme
de fréquentation sont plus importantes dans les
magasins Tesco qu'en France, ce qui permet aux "pickers"
de travailler plus à l'aise.
Tesco ne
peut-il pas, in fine, opter pour un modèle d'entrepôt
?
On peut effectivement
supposer qu'à terme, ils optent pour cette solution.
A un moment donné, ils devront se demander si
la taille qu'ils ont atteint ne leur permet pas d'être
aussi efficaces avec une gestion en entrepôt.
Je ne serais pas surpris, à titre personnel,
qu'un jour Tesco évolue en ce sens. Encore une
fois, le modèle du store picking n'est pas, dans
l'absolu, plus efficace que le modèle de l'entrepôt.
Par contre, il l'est dans un contexte de faible densité
et de forte croissance. Une fois que les niveaux de
croissance et de densité seront plus faibles,
le modèle de l'entrepôt pourra redevenir
compétitif.
En France,
on nourrissait beaucoup d'espoirs sur le développement
des cybermarchés. L'année 2001 semble
ne pas avoir tenue ses promesses. Qu'en pensez-vous
?
Je pense
que nous revenons à une logique économique
normale. Beaucoup de distributeurs ont été
poussés par les actionnaires à multiplier
les actions sur Internet. Aujourd'hui, la pression des
marchés n'existe plus. Au contraire, moins vous
en faites et plus vous apparaissez comme sérieux.
Dans ce contexte, on peut penser que l'année
2001 n'a pas tenu ses promesses. Mais, lorsque je regarde
les chiffres atteints par le commerce électronique
en fin d'année, j'ai plutôt tendance à
y voir de bonnes nouvelles. Toutes les études
que nous faisons auprès des internautes montrent
qu'une très large majorité des personnes
ayant fait des achats en ligne sont satisfaites et ont
tendance à augmenter le niveau de leurs dépenses.
En revanche, cette activité ne va pas croître
par cinq en deux ans et les marchés financiers
ne sont plus enclins à investir dans des activités
qui n'arriveront à l'équilibre que dans
cinq ans. On peut donc penser qu'il y aura encore une
certaine sélection.
Après
la fermeture de C-mescourses, est-ce que vous pensez
qu'il y aura de nouvelle fermetures sur le marché
français ?
C'est difficile
à dire. Il n'est pas exclu que le secteur se
rationalise encore un peu.
Qu'est-ce
que vous aimez le plus dans Internet ?
La richesse
de l'information que j'y trouve, et le fait que qu'elle
est disponible 24 heures sur 24.
Qu'est-ce
que vous détestez le plus dans Internet ?
Les pop-up.
Je pense que sur Internet, tout doit se faire sur le
mode du pull et non du push. Autant le commerce traditionnel
fonctionne bien sur le mode de l'impulsion générée
à travers des modèles de push par lesquels
vous essayez de mettre en avant vos produits, autant
je pense qu'Internet suit une autre logique. Il faut
davantage une logique de pull correctement organisée.
Quels sont
vos sites préférés ?
Ma fille
aime beaucoup Lego.com. Moi, j'ai une vision plus utilitaire
de l'Internet. Je vais souvent sur des sites d'information
boursière, comme les Echos ou Boursorama.
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