INTERVIEW
 
Vice-Président
Boston Consulting Group
François Dalens
"Titre"
En savoir plus

Dossier Cybermarchés

Après une phase d'engouement et de déploiement intensif, les enseignes de la grande distribution s'engagent dans une phase de rationalisation de leurs investissements sur Internet. A l'image de Carrefour qui a décidé, en août dernier, de recentrer ses activités autour de Ooshop, abondonnant du coup ses sites thématiques consacrés à la beauté, au vin ou au jardinage. Le 10 avril 2002, C-mescourses, le cybermarché de Casino, cessait ses activités. Aux Etats-Unis, le cybermarché Webvan a lui aussi été contraint d'abandonner la partie tandis que Safeway a finalement revu son modèle logistique pour emprunter celui du britannique Tesco, seul acteur aujourd'hui rentable (lire l'article JDNet du 10/09/01). François Dalens, vice-président du Boston Consulting Group, livre sa vision sur l'évolution du secteur et détaille les impératifs auxquels les grands de la distribution sont aujourd'hui confrontés.

14 mai 2002
 
          

JDNet. Après de nombreux abandons et de multiples refontes en France et aux Etats-Unis, quel bilan tirez-vous de la présence des enseignes de grande distribution sur Internet ?
François Dalens. Il y a une véritable tendance de fond dans l'émergence de ce secteur sur Internet, et celui-ci va continuer à se développer. Nous sommes convaincus qu'il existe un véritable besoin du consommateur. Simplement, ce besoin ne concernera pas la totalité de la population. Nous sommes en face d'une activité qui, de toute façon, demeurera une activité complémentaire au commerce traditionnel avec un rythme d'adoption beaucoup plus lent que ce qui avait été indiqué il n'y a pas si longtemps. Même si, effectivement, il y a eu beaucoup de faillites, cela ne remet pas en cause cette activité. Elle va continuer à se développer et finir par trouver son modèle. Mais, on peut supposer qu'elle ne fera pas beaucoup plus de 10 % du chiffre d'affaires du secteur à l'horizon 2010.

Vous parlez de rythme d'adoption lent. Est-on dans des schémas similaires en France et aux Etats-Unis ?
Oui. La France est bien évidemment en retard en raison d'une pénétration moins importante d'Internet et du faible taux d'équipement en haut débit. Mais le schéma d'adoption est le même. Lorsque vous examinez le modèle économique nécessaire, en terme de pénétration, pour rendre Webvan rentable, vous vous rendez compte qu'il était peu réaliste. Il aurait fallu soit un environnement où l'argent était gratuit pour pouvoir se permettre des années de pertes, soit un rythme d'adoption très rapide. Ce qui n'a pas été le cas.

Quels principaux enseignements peut-on tirer de ces expériences ?
Il y en a principalement deux. Le premier, c'est qu'il faut savoir maîtriser le rythme de croissance. Cette activité va mettre plus de temps que prévu pour être adoptée par les consommateurs. En même temps, chose paradoxale, on constate des rythmes de progression d'activité de 30 à 40 % par an. Ce qui n'est pas facile à gérer ! Car, et c'est le second enseignement de cette évolution, les acteurs sont aujourd'hui obligés de s'inscrire dans un modèle économique qui doit être rentable rapidement. Les distributeurs se trouvent donc confrontés à un double challenge. Ils doivent se situer dans un modèle globalement rentable au niveau de la taille qui est la leur aujourd'hui tout en étant capable de gérer des croissances de 30 à 40 % par an. Cela signifie qu'il leur faut une largeur d'offre adéquate, et un modèle relativement localisé pour disposer de la densité nécessaire afin de rentabiliser les opérations logistiques. A cela viennent s'ajouter une bonne gestion de la relation client et un bon modèle de picking.

N'y a-t-il pas eu, justement, des erreurs assez importantes en terme de gestion de la relation clients ?
Il y a quelques enseignes de la grande distribution qui ont montré qu'elles savaient gérer la relation clients. Simplement, parce que les principaux acteurs s'attendaient à une activité complètement différente et à une croissance rapide, la plupart d'entre eux ont pris le parti de séparer le canal Internet du canal traditionnel. Aujourd'hui, je pense qu'il va falloir trouver un mode de gestion qui réintègre ce canal dans les opérations et qui le traite comme un canal à part entière et additionnel par rapport aux autres. Le modèle Tesco, c'est ça. Au-delà du système de "store picking" dont tout le monde parle, je pense que ce qui explique vraiment le succès de Tesco, c'est le fait qu'il ait géré Internet comme un canal supplémentaire au service de ses consommateurs. Leur modèle de communication et de CRM est le reflet de cette position. Ils ont largement exploité leur base de données clients qui est alimentée par les informations consommateurs fournies par la carte Tesco, et ils communiquent en magasin sur leur cybermarché. Ce qui ne se voit pas dans les enseignes françaises.

Le modèle économique de Tesco est-il valable pour tous les cybermarchés ?
Je pense plutôt que ce modèle économique doit se définir au cas par cas. Il existe malgré tout un certain nombre d'invariants, comme le fait de proposer une offre large, capable d'inclure les produits frais ou l'épicerie sèche. En terme de localisation, il faut également être capable de démarrer sur des zones où on se concentre pour pouvoir augmenter la densité, plutôt que de vouloir couvrir l'ensemble du territoire. Dans le cas contraire, les investissements logistiques ne pourraient pas être rentabilisés dans des délais raisonnables. Enfin, il faut être capable de bien gérer la relation clients et en particulier l'interaction entre son activité dans les magasins physiques et sur Internet. Une des études que nous avons menée récemment montre que 48 % des internautes sélectionnent les achats qu'ils vont faire dans le monde physique sur Internet. Ce qui prouve bien qu'un client passe d'un canal à l'autre. Ensuite, il faut définir le bon modèle de picking qui soit à la fois évolutif et rentable au niveau du volume.

Le modèle du "store picking" est-il l'unique solution ?
Non. Mais le modèle de l'entrepôt est plus difficile à faire fonctionner. Lorsque vous possédez un entrepôt et que votre croissance est de l'ordre de 30 %, soit vous avez un local très grand et à moitié vide pour pouvoir absorber la croissance future, soit vous changez constamment d'entrepôt pour l'agrandir. Or, une des règles fondamentales de l'efficacité du picking, c'est de changer le moins souvent possible l'environnement.

En France, aucun cybermarchand n'utilise le picking. S'intéressent-ils aujourd'hui à ce modèle ?
Je ne peux rien dire sur le sujet. Disons que tout le monde y réfléchit.

Quels sont éléments dans le picking pratiqué par Tesco qui contribuent à son bon fonctionnement ?
Ce modèle n'a pas été trouvé tout de suite. Il y a eu beaucoup d'essais et d'erreurs pour arriver à l'optimiser. Tesco a notamment développé des programmes informatiques spécifiques pour pouvoir guider le picking en fonction de l'implantation des magasins. Son système est le fruit de beaucoup de persévérance. Je ne suis pas sûr aujourd'hui que d'autres distributeurs aient consenti autant d'efforts. Ensuite, les heures creuses en terme de fréquentation sont plus importantes dans les magasins Tesco qu'en France, ce qui permet aux "pickers" de travailler plus à l'aise.

Tesco ne peut-il pas, in fine, opter pour un modèle d'entrepôt ?
On peut effectivement supposer qu'à terme, ils optent pour cette solution. A un moment donné, ils devront se demander si la taille qu'ils ont atteint ne leur permet pas d'être aussi efficaces avec une gestion en entrepôt. Je ne serais pas surpris, à titre personnel, qu'un jour Tesco évolue en ce sens. Encore une fois, le modèle du store picking n'est pas, dans l'absolu, plus efficace que le modèle de l'entrepôt. Par contre, il l'est dans un contexte de faible densité et de forte croissance. Une fois que les niveaux de croissance et de densité seront plus faibles, le modèle de l'entrepôt pourra redevenir compétitif.

En France, on nourrissait beaucoup d'espoirs sur le développement des cybermarchés. L'année 2001 semble ne pas avoir tenue ses promesses. Qu'en pensez-vous ?
Je pense que nous revenons à une logique économique normale. Beaucoup de distributeurs ont été poussés par les actionnaires à multiplier les actions sur Internet. Aujourd'hui, la pression des marchés n'existe plus. Au contraire, moins vous en faites et plus vous apparaissez comme sérieux. Dans ce contexte, on peut penser que l'année 2001 n'a pas tenu ses promesses. Mais, lorsque je regarde les chiffres atteints par le commerce électronique en fin d'année, j'ai plutôt tendance à y voir de bonnes nouvelles. Toutes les études que nous faisons auprès des internautes montrent qu'une très large majorité des personnes ayant fait des achats en ligne sont satisfaites et ont tendance à augmenter le niveau de leurs dépenses. En revanche, cette activité ne va pas croître par cinq en deux ans et les marchés financiers ne sont plus enclins à investir dans des activités qui n'arriveront à l'équilibre que dans cinq ans. On peut donc penser qu'il y aura encore une certaine sélection.

Après la fermeture de C-mescourses, est-ce que vous pensez qu'il y aura de nouvelle fermetures sur le marché français ?
C'est difficile à dire. Il n'est pas exclu que le secteur se rationalise encore un peu.

Qu'est-ce que vous aimez le plus dans Internet ?
La richesse de l'information que j'y trouve, et le fait que qu'elle est disponible 24 heures sur 24.

Qu'est-ce que vous détestez le plus dans Internet ?
Les pop-up. Je pense que sur Internet, tout doit se faire sur le mode du pull et non du push. Autant le commerce traditionnel fonctionne bien sur le mode de l'impulsion générée à travers des modèles de push par lesquels vous essayez de mettre en avant vos produits, autant je pense qu'Internet suit une autre logique. Il faut davantage une logique de pull correctement organisée.

Quels sont vos sites préférés ?
Ma fille aime beaucoup Lego.com. Moi, j'ai une vision plus utilitaire de l'Internet. Je vais souvent sur des sites d'information boursière, comme les Echos ou Boursorama.

 
Propos recueillis par Anne-Laure Béranger

PARCOURS
 
Après avoir fait HEC, François Dalens, 35 ans, rejoint le départemet marketing de Procter et Gamble, qu'il quitte, après six ans, en tant que responsable de la catégorie des produits de toilette au niveau européen. Il intègre alors le monde du conseil. Actuellement, il occupe le poste de vice-président du Boston Consulting Group et est responsable de la practice produits de grande consommation et de grande distribution.

   
 
  Nouvelles offres d'emploi   sur Emploi Center
Chaine Parlementaire Public Sénat | Michael Page Interim | 1000MERCIS | Mediabrands | Michael Page International