JDNet. Pourquoi se pencher aujourd'hui sur les usages
de l'Internet au travail ?
Isabelle Falque-Pierrotin.
Il y a deux
raisons à cela. La première est que l'Internet suscite
de nombreuses questions au sein des entreprises. Quelques
exemples : votre entreprise exerce-t-elle un contrôle
sur l'utilisation de l'Internet au travail ? S'est-elle
dotée d'une charte d'utilisation ? Les représentants
du personnel utilisent-il Internet dans le cadre de
leur mission ? C'est un sujet extrêmement concret qui
touche 15 millions de salariés en France. La seconde
raison, c'est que l'entreprise illustre très bien le
croisement des intérêts publics et privés.
C'est
précisément à ce carrefour que se situe le champ d'action
du Forum des droits sur l'Internet
Tout à fait. Le Net constitue un espace éminemment complexe
où s'entrecroisent les responsabilités entre acteurs
publics et privés pour la définition de règles d'usage.
Et pour un environnement de ce type, on n'avait pas
d'outils appropriés. L'approche traditionnelle
de législation publique ne correspondait pas ; la démarche
consistant à éliminer totalement les pouvoirs publics
et à laisser faire l'autorégulation n'était probablement
pas non plus la bonne solution. Il fallait trouver un
lieu, un processus qui, sans remettre en cause les responsabilités
respectives de chacun, permette aux uns et aux autres
de travailler ensemble. Nous avons donc créé le Forum,
association de personnes morales.
Quelles sont ses missions
?
Il en a trois : concertation, information et sensibilisation,
coopération internationale. La première de ces missions,
comme je l'expliquais précédemment, consiste à rassembler
acteurs publics et privés pour faire face à une situation
nouvelle : par exemple défense des libertés publiques,
défense des consommateurs. Il ne s'agit pas seulement
de discuter mais de construire ensemble une solution
qui ne sera pas nécessairement le recours à la loi.
Avez-vous un exemple concret
de cette concertation ?
Ce que l'on est en train de faire sur les usages de
l'Internet au travail illustre ce processus. On réunit
autour de la table des experts (professeurs de droit,
sociologues, etc.), des acteurs économiques (responsables
de grandes entreprises comme Renault), des administrations
(direction des relations du travail, etc.). On leur
demande, dans la mesure où les nouvelles technologies
vont modifier les usages dans le milieu du travail,
quelles sont les réponses que vont apporter le chef
d'entreprise, l'entreprise elle-même et la loi ou les
accords syndicaux. Il va y avoir vraisemblablement une
redéfinition des responsabilités de chacun.
Sur
quoi débouchera ce travail ?
Sur des recommandations adressées aux secteurs public
et privé. Elles porteront sur trois thèmes : Internet
et les relations du travail, les modes alternatifs de
règlement des litiges (médiation en ligne pour des litiges
de consommation sur Internet par exemple) et les liens
hypertextes qui posent plusieurs problèmes juridiques
: la construction d'un lien vers un contenu qui ne m'appartient
pas est-elle légale, quelle est ma responsabilité civile
et pénale si le lien que j'ai construit pointe vers
un contenu illicite ?
Comment
s'exerce la deuxième grande activité du Forum : information
et sensibilisation ?
Le but est un peu différent. Il s'agit de faire passer
l'idée que l'Internet n'est pas une zone de non droit,
qu'un certain nombre de règles s'y appliquent déjà,
qu'on y a des droits et des devoirs. Cette information
est réalisée à travers notre site qui constitue une
base de référence en accès libre sur le droit de l'Internet.
Elle collecte l'ensemble des textes applicables dans
ce domaine aux plans national, européen et communautaire,
la jurisprudence, les chartes d'usages et les liens
utiles.
Essayez-vous
de sensibiliser les jeunes internautes ?
Oui, nous voudrions faire passer, dans les points d'accès
publics et les collèges, ce message de la civilité de
l'Internet. C'est un peu une éducation civique revisitée.
Abordons
maintenant, si vous le voulez bien, vos activités internationales...
On part de l'idée que le dialogue portant sur Internet
au sein des enceintes internationales n'est pas très
facile à mettre en oeuvre. Le but du Forum est donc
de constituer une sorte de réseau d'acteurs internationaux
qui partagent les mêmes valeurs et veulent travailler
ensemble. On est en train d'identifier des partenaires
avec lesquels on pourrait travailler sur des sujets
concrets, sur les liens hypertextes par exemple où l'on
ne peut pas adopter une position franco française. Je
vais travailler aussi bien par exemple avec le laboratoire
de droit public de Montréal de Pierre Trudel qu'avec
l'équivalent du CSA en Australie.
En
définitive, vous voulez résolument civiliser le réseau
de réseaux. L'Internet, espace libertaire, c'est fini
?
Oui. Nous sommes dans un nouvel espace social, comme
la rue, comme l'entreprise, qui doit définir ses règles
et ses usages. Il n'y a pas d'espace de société qui
soit totalement exempt de règles : c'est impossible,
c'est une utopie.
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