INTERVIEW
 
ex-président
E-Loan
Gilles Favier
"Titre"

Gilles Favier est l'ancien président du site de crédit immobilier E-Loan.fr. Celui-ci a fermé ses portes dans toute l'Europe au début de l'année, faute de financement suffisant de la part de ses actionnaires, l'américain E-Loan et @Viso, co-entreprise d'investissements de Vivendi Universal et de Softbank. E-Loan avait débarqué en France en rachetant Aacredit, la société créée par Gilles Favier. Reparti pour une nouvelle aventure dans l'Internet, avec le portail Aparapar, Gilles Favier revient sur la faillite d'E-Loan en Europe et sur son amertume, notamment envers son ancien actionnaire @Viso, une structure qui a perdu hier son président Pierre Liautaud [NDLR : Et non Bernard comme nous l'avions indiqué par erreur] et qui ne devrait pas tarder à être démantelée. A l'image d'E-Venture, la co-entreprise en Grande-Betagne de Softbank et NewsCorp, qui a définitivement fermé ses portes au mois de novembre 2000.

20 février 2001
 
          

JDNet. Qu'est ce qui n'a pas fonctionné selon vous pour E-Loan en France?
Gilles Favier. Plusieurs éléments en même temps. Le premier est lié à l'organisation. Les principaux dirigeants d'E-Loan étaient issus du consulting ou de la banque et provenaient tous de grands groupes. C'est le premier problème, car quand vous lancez une start-up, vous ne pouvez avoir des réflexes de grand groupe. Il faut s'ajuster quotidiennement et je ne suis pas sûr que tout le monde en ait eu la capacité. Ensuite, je pense qu'on a fait fausse route sur le modèle de la comparaison de prix. D'abord parce que les banques acceptent finalement peu d'être mises en concurrence entre elles, ce modèle leur tord le coup. Ensuite, parce qu'un Français fait un crédit immobilier une fois dans sa vie. Difficile donc d'imaginer conquérir rapidement cette clientèle. Je pense également qu'E-Loan aurait dû resserer davantage le lien avec les banques au lieu d'essayer de se placer en rival. Enfin, la plus grosse déception provient incontestablement de l'attitude de notre actionnaire @Viso.

Qu'est ce que vous lui reprochez ?

D'avoir multiplié les erreurs. Quand ils sont arrivés, je me suis dit : "C'est génial, on va pouvoir disposer d'argent pour développer la société, de synergies avec les branches du groupe Vivendi et de technologie". Au final, les synergies n'ont pas représenté grand chose d'autant que Vizzavi et le Wap ont tourné au flop. Ensuite, il y a eu un ensemble de choses irréelles. Par exemple, quand ils ont établi le business plan, cela a été fait sur la base de chiffres prévisionnels avec une croissance hallucinante. Le but était uniquement de gonfler la valorisation pour faire plaisir aux analystes qui suivaient notamment Vivendi. Les chiffres ont été établis par rapport aux Etats-Unis, où l'Internet est plus développé et où 2.000 banques cohabitent. Pour vous donner un exemple, je crois qu'ils tablaient sur 10.000 dossiers la première année. On a dû en faire moins de 100... La deuxième chose concerne les gaspillages d'argent. Quand une société fait des pertes, il faut serrer la vis. Or on avait l'impression que personne n'en tenait compte. A Montpellier, ils ont par exemple loué 1.200 m2 de locaux pour une trentaine de personnes. C'était inimaginable. E-Loan a également fait des campagnes qui ont coûté une fortune mais qui n'étaient jamais ciblées. Et à chaque fois, pour préparer ces campagnes, on enchaînait les réunions dans des hôtels de luxe parisiens avec plus de dix personnes venues d'Allemagne en première classe. Mais c'était pareil à l'échelle d'@Viso, qui s'est offert des locaux immenses à Madrid ou à Munich.

Vivendi et @Viso ont toujours affirmé être dans une logique industrielle et non financière en matière d'Internet. Vous pensez que c'était le cas ?
C'est faux, c'était par pur opportunisme. Je crois que malgré leur talent, ils ont été victimes d'illusions comme tout le monde. Vous savez, si demain on me met aux commandes d'une centrale nucléaire, il y a de fortes chances que je fasse tout sauter car ce n'est pas mon domaine. @Viso, c'est pareil. Sur le papier, les managers étaient très intelligents mais contrairement à ce qu'ils avançaient, ils ne connaissaient rien à l'Internet. Il n'y a d'ailleurs jamais eu de stratégie industrielle chez eux, à part financer, rentrer en Bourse et prendre le paquet.

Vous avez tout de même bien profité de cette manne lors du rachat d'Aacredit par E-Loan et @Viso...
Mais bien sûr. Je ne suis ni aigri ni malheureux, car nous avons effectivement vendu au bon moment. Mais mon objectif était de créer et de developper une société. Vous savez, quand E-Loan est arrivée à Montpellier, la presse locale a parlé de plus de 200 emplois créés, ce qui a suscité beaucoup d'espoir. J'ai l'air fin maintenant là-bas quand on voit qu'E-Loan a fait faillite.

Mais vous avez votre part de responsabilité en tant que président d'E-Loan France?
Oui sur le modèle, mais pas sur l'organisation. Les gens d'@Viso tentent en ce moment de faire croire que je suis le responsable des déboires français. Mais alors pourquoi E-Loan n'a pas non plus marché dans les autres pays européens où je ne m'occupais de rien? Le gros problème dans l'histoire, c'est qu'en France, on a fait croire que c'était le méchant américain E-Loan qui avait lâché sa structure française. Mais ce n'est pas vrai. @Viso est le principal responsable. Cette structure est un fiasco et je vous rappelle d'ailleurs qu'avant nous, ils avaient déjà planté le démarrage de Buy.com en France.

Quels sont vos projets maintenant ?
Rester dans l'Internet évidemment et dans l'immobilier. J'ai beaucoup appris en un an et je veux utiliser cette expérience. Mais je n'ai aucune certitude. J'enseigne à l'université de Montpellier et en cours, je dis tout le temps aux étudiants : "ce que vais vous raconter sur l'Internet ne sera certainement plus vrai dans quelques mois, donc évitez les certitudes". L'Internet en ce moment, c'est ce qu'un professeur américain qualifie de "Dirty Learning". En clair, il faut tomber et se faire mal pour apprendre que tomber est douloureux. C'est pour cette raison que quand je vois la certitude affichée par certaines personnes sur l'Internet, cela m'amuse. L'Internet, on sait que c'est la bonne direction mais on ne sait pas quel chemin utiliser pour y arriver.

Vous avez relancé un portail immobilier Aparapar. Quelle est votre idée ?
Tout d'abord on est neuf à travailler sur ce projet et tout le monde a un job à côté. On a donc le temps d'attendre que le marché soit mûr... Je pense que le crédit immobilier est valable, mais associé à d'autres services. On ne peut pas être orienté autour d'un seul modèle de revenus. Regardez d'ailleurs les courtiers en ligne qui élargissent leur gamme, y compris vers le crédit immobilier. L'idée d'Aparapar, qui est au départ un service d'annonces immobilières, est donc d'offrir une palette de service autour de l'immobilier avec Cetelem ou Entenial. Nous disposons de plusieurs sites, comme Aacquerir.com, une base qui regroupe 90% des promoteurs immobiliers en France et que nous avons mis deux ans à constituer. D'autres briques font également partie du portail comme Aaassurances.com, qui offre des assurances d'habitation avec Wintherthur, AAtravaux.com ou Aaterrains.com, spécialisé dans les terrains a vendre. L'idée est de créer une communauté autour de l'immobilier avec une multitude de services. Mais pour tout cela, il faut du temps. Je connais un promoteur qui réalise un milliard de francs de chiffre d'affaires et qui n'est pas prêt pour l'instant à investir 1.000 francs pour être sur Internet. Il veut voir d'abord ce que cela peut lui apporter. Par ailleurs, celui qui emprunte actuellement dans l'immobilier n'a pas 20 ans, mais 40 ans. Il est donc encore peu sur Internet. Il faudra cinq, voire dix ans, avant que le marché soit vraiment mûr.

Et vous comptez aller voir des investisseurs ?
Non, certainement pas pour le moment. On a des actionnaires qui acceptent tous d'attendre cinq ans, voire plus, et qui ne se soucient pas du retour sur investissement à court terme. Si vous connaissez un capital-risqueur qui répond à ces critères, donnez moi son adresse, car moi, je n'en connais pas.

 
Propos recueillis par Jérôme Batteau

PARCOURS
 
Gilles Favier, 46 ans, est diplômé de HEC en Suisse et de la Harvard Business School. Il a travaillé pendant vingt ans dans l'immobilier, notamment au Canada. Il a fondé Aacredit en 1994 avant de revendre sa société à l'américain E-Loan tout en prenant la direction de la structure française E-Loan.fr jusqu'à fin 2000. Il a depuis repris ses activités dans l'immobilier et s'occupe d'Aparapar.

   
 
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