JDNet.
Qu'est ce qui n'a pas fonctionné selon vous pour E-Loan
en France?
Gilles Favier. Plusieurs
éléments en même temps. Le premier est
lié à l'organisation. Les principaux dirigeants
d'E-Loan étaient issus du consulting ou de la banque
et provenaient tous de grands groupes. C'est le premier problème,
car quand vous lancez une start-up, vous ne pouvez avoir des
réflexes de grand groupe. Il faut s'ajuster quotidiennement
et je ne suis pas sûr que tout le monde en ait eu la
capacité. Ensuite, je pense qu'on a fait fausse route
sur le modèle de la comparaison de prix. D'abord parce
que les banques acceptent finalement peu d'être mises
en concurrence entre elles, ce modèle leur tord le
coup. Ensuite, parce qu'un Français fait un crédit
immobilier une fois dans sa vie. Difficile donc d'imaginer
conquérir rapidement cette clientèle.
Je pense
également qu'E-Loan aurait dû resserer davantage
le lien avec les banques au lieu d'essayer de se placer en
rival. Enfin, la plus grosse
déception provient incontestablement de l'attitude
de notre actionnaire @Viso.
Qu'est
ce que vous lui reprochez ?
D'avoir
multiplié les erreurs. Quand ils sont arrivés,
je me suis dit : "C'est génial, on va pouvoir
disposer d'argent pour développer la société,
de synergies avec les branches du groupe Vivendi et de technologie".
Au final, les synergies n'ont pas représenté
grand chose d'autant que Vizzavi et le Wap ont tourné
au flop. Ensuite, il y a eu un ensemble de choses irréelles.
Par exemple, quand ils ont établi le business plan,
cela a été fait sur la base de chiffres prévisionnels
avec une croissance hallucinante. Le but était uniquement
de gonfler la valorisation pour faire plaisir aux analystes
qui suivaient notamment Vivendi. Les chiffres ont été
établis par rapport aux Etats-Unis, où l'Internet
est plus développé et où 2.000 banques
cohabitent. Pour vous donner un exemple, je crois qu'ils tablaient
sur 10.000 dossiers la première année. On a
dû en faire moins de 100... La deuxième chose
concerne les gaspillages d'argent. Quand une société
fait des pertes, il faut serrer la vis. Or on avait l'impression
que personne n'en tenait compte. A Montpellier, ils ont par
exemple loué 1.200 m2 de locaux pour une trentaine
de personnes. C'était inimaginable. E-Loan a également
fait des campagnes qui ont coûté une fortune
mais qui n'étaient jamais ciblées. Et à
chaque fois, pour préparer ces campagnes, on enchaînait
les réunions dans des hôtels de luxe parisiens
avec plus de dix personnes venues d'Allemagne en première
classe. Mais c'était pareil à l'échelle
d'@Viso, qui s'est offert des locaux immenses à Madrid
ou à Munich.
Vivendi
et @Viso ont toujours affirmé être dans une logique
industrielle et non financière en matière d'Internet.
Vous pensez que c'était le cas ?
C'est faux, c'était
par pur opportunisme. Je crois que malgré leur talent,
ils ont été victimes d'illusions comme tout
le monde. Vous savez, si demain on me met aux commandes d'une
centrale nucléaire, il y a de fortes chances que je
fasse tout sauter car ce n'est pas mon domaine. @Viso, c'est
pareil. Sur le papier, les managers étaient très
intelligents mais contrairement à ce qu'ils avançaient,
ils ne connaissaient rien à l'Internet. Il n'y a d'ailleurs
jamais eu de stratégie industrielle chez eux, à
part financer, rentrer en Bourse et prendre le paquet.
Vous avez
tout de même bien profité de cette manne lors
du rachat d'Aacredit par E-Loan et @Viso...
Mais bien sûr.
Je ne suis ni aigri ni malheureux, car nous avons effectivement
vendu au bon moment. Mais mon objectif était de créer
et de developper une société. Vous savez, quand
E-Loan est arrivée à Montpellier, la presse
locale a parlé de plus de 200 emplois créés,
ce qui a suscité beaucoup d'espoir. J'ai l'air fin
maintenant là-bas quand on voit qu'E-Loan a fait faillite.
Mais vous
avez votre part de responsabilité en tant que président
d'E-Loan France?
Oui sur le modèle,
mais pas sur l'organisation. Les gens d'@Viso tentent en ce
moment de faire croire que je suis le responsable des déboires
français. Mais alors pourquoi E-Loan n'a pas non plus
marché dans les autres pays européens où
je ne m'occupais de rien? Le gros problème dans l'histoire,
c'est qu'en France, on a fait croire que c'était le
méchant américain E-Loan qui avait lâché
sa structure française. Mais ce n'est pas vrai. @Viso
est le principal responsable. Cette structure est un fiasco
et je vous rappelle d'ailleurs qu'avant nous, ils avaient
déjà planté le démarrage de Buy.com
en France.
Quels sont
vos projets maintenant ?
Rester dans l'Internet
évidemment et dans l'immobilier. J'ai beaucoup appris
en un an et je veux utiliser cette expérience. Mais
je n'ai aucune certitude. J'enseigne à l'université
de Montpellier et en cours, je dis tout le temps aux étudiants
: "ce que vais vous raconter sur l'Internet ne sera certainement
plus vrai dans quelques mois, donc évitez les certitudes".
L'Internet en ce moment, c'est ce qu'un professeur américain
qualifie de "Dirty Learning". En clair, il faut
tomber et se faire mal pour apprendre que tomber est douloureux.
C'est pour cette raison que quand je vois la certitude affichée
par certaines personnes sur l'Internet, cela m'amuse. L'Internet,
on sait que c'est la bonne direction mais on ne sait pas quel
chemin utiliser pour y arriver.
Vous avez
relancé un portail immobilier Aparapar. Quelle est
votre idée ?
Tout d'abord on est neuf
à travailler sur ce projet et tout le monde a un job
à côté. On a donc le temps d'attendre
que le marché soit mûr... Je pense que le crédit
immobilier est valable, mais associé à d'autres
services. On ne peut pas être orienté autour
d'un seul modèle de revenus. Regardez d'ailleurs les
courtiers en ligne qui élargissent leur gamme, y compris
vers le crédit immobilier. L'idée d'Aparapar,
qui est au départ un service d'annonces immobilières,
est donc d'offrir une palette de service autour de l'immobilier
avec Cetelem ou Entenial. Nous disposons de plusieurs sites,
comme Aacquerir.com,
une base qui regroupe 90% des promoteurs immobiliers en France
et que nous avons mis deux ans à constituer. D'autres
briques font également partie du portail comme Aaassurances.com,
qui offre des assurances d'habitation avec Wintherthur, AAtravaux.com
ou Aaterrains.com,
spécialisé dans les terrains a vendre.
L'idée est de créer une communauté autour
de l'immobilier avec une multitude de services. Mais pour
tout cela, il faut du temps. Je connais un promoteur qui réalise
un milliard de francs de chiffre d'affaires et qui n'est pas
prêt pour l'instant à investir 1.000 francs pour
être sur Internet. Il veut voir d'abord ce que cela
peut lui apporter. Par ailleurs, celui qui emprunte actuellement
dans l'immobilier n'a pas 20 ans, mais 40 ans. Il est donc
encore peu sur Internet. Il faudra cinq, voire dix ans, avant
que le marché soit vraiment mûr.
Et vous
comptez aller voir des investisseurs ?
Non, certainement pas
pour le moment. On a des actionnaires qui acceptent tous d'attendre
cinq ans, voire plus, et qui ne se soucient pas du retour
sur investissement à court terme. Si vous connaissez
un capital-risqueur qui répond à ces critères,
donnez moi son adresse, car moi, je n'en connais pas.
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