INTERVIEW 
 
Pascal Rogard
Directeur Général
SACD
Pascal Rogard
"La VOD doit se situer entre six et neuf mois dans la chronologie des médias"
A l'occasion des 14èmes rencontres de Beaune, professionnels du cinéma et FAI ont discuté du piratage en ligne. Le directeur général de la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques donne son point de vue sur ce problème croissant à mesure que le haut débit progresse, et aborde la question de la vidéo à la demande.
(02/11/2004)
 
JDN. Pour quelles raisons avoir invité les FAI lors de ces 14èmes rencontres de Beaune qui se sont déroulées fin octobre ?
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Pascal Rogard. Le débat du piratage des films sur Internet est pour nous une préoccupation majeure. Face aux offres en haut débit qui se multiplient et, donc à la baisse du temps de téléchargement des fichiers vidéos, nous avons conscience que la technique n'est plus un frein pour le développement du piratage vidéo. L'intérêt à l'occasion de nos rencontres de Beaune était d'opposer les points de vue des professionnels du cinéma à celui des FAI, l'occasion aussi de développer plus officieusement les échanges et d'instaurer un vrai dialogue entre ces deux univers. Si, avant, tout dialogue était exclu, aujourd'hui nous sommes prêts à coopérer avec les FAI.

Donc vous envisagez clairement la signature d'une charte similaire à celle signée par l'industrie du disque et les FAI sous l'égide des pouvoirs publics l'été dernier ?
Beaune marque le coup d'envoi d'un dialogue concerté avec l'ensemble des acteurs touchés par le piratage de films sur Internet. Nous ne pouvons pour autant brûler les étapes. D'autres réunions vont donc suivre sur le sujet et deux groupes de travail seront formés pour réfléchir à la question : l'un dédié aux aspects techniques, l'autre aux campagnes de communication appelées à être lancées de concert avec l'industrie du disque. Des discussions sont engagées dans le cadre du Clic (Comité de liaison des industries culturelles) avec les FAI et il est évident que la signature de la charte sur la musique en ligne a donné un coup d'accélérateur à la réflexion sur le piratage de la vidéo en ligne chez les professionnels du cinéma. Mais la question de la chronologie des médias reste une différence de taille avec l'industrie du disque et nous devons bien peser les conséquences de nos actes avant de signer quoi que ce soit.

Pouvez-vous expliquer en quoi la question du respect de la chronologie des médias peut constituer un frein au développement d'une offre légale de téléchargement sur Internet ?
Chaque maillon de la chaîne de production et de distribution cinématographique est en équilibre par rapport à l'autre. Les entrées en salle en France se portent bien puisqu'il s'agit d'un moyen de visionnage des films très spécifique. Néanmoins, il faut être vigilant car déjà l'expérience de l'introduction de la télévision dans l'après-guerre a ramené le taux de remplissage des salles de cinéma à un niveau bien moindre. Côté télévision à péage, Canal+ et TPS se partagent 30 % de la diffusion de films. Il ne faut pas déstabiliser la chaîne de production : en amont, on trouve les créatifs, puis viennent les diffuseurs. Le tout est financé via la signature d'un contrat avec le producteur, c'est le triangle d'or de l'industrie cinématographique.

La priorité : protéger les salles et la télévision à péage."
Et où pourrait se situer la vidéo à la demande (VOD) dans la chronologie des médias ?
Les deux canaux de distribution existants sont : les salles de cinéma et les distributeurs vidéos. Préserver la chronologie des médias nous permet évidemment de préserver la production cinématographique. Il faut maintenir une protection sur les salles et la télévision à péage. Il ne faut pas qu'un moyen de distribution en ligne soit un obstacle à ce système. De toute évidence, la distribution de films sur Internet en VOD se situerait entre six mois, moment des sorties en vidéo, et neuf mois, moment de diffusion des films via la télévision à péage. Il ne faut pas raccourcir ces délais, sans quoi ce sont les sorties en salle qui pourraient en pâtir.

Y a-t-il une spécificité du marché du cinéma par rapport à celui de la musique ? Et du marché français par rapport aux autres marchés dans le monde ?
Le cinéma produit globalement moins d'oeuvres que la musique et ses oeuvres sont plus coûteuses. Ce qui fait que ce sont les gros succès qui permettent de financer les risques, le cinéma d'auteur étant le premier touché par le manque de moyens de production. La VOD introduirait de nouveaux modes d'exploitation. Mais il faut savoir qu'en matière de vidéo, si le marché s'est fortement développé, la part de productions françaises est encore extrêmement faible. Or les pouvoirs publics ont peu de maîtrise sur ce marché car il n'existe pas encore de véritable outil de régulation permettant de défendre efficacement les auteurs sur ce terrain. Pour la VOD, il est évident que les pouvoirs publics sont d'autant plus engagés sur le cinéma qu'il s'agit de défendre la création et la politique de diversité culturelle qui caractérise la France.

Un film en VOD doit coûter le même prix qu'une entrée au cinéma."

Mais on peut sans doute intégrer une offre légale et payante de téléchargement de films tout en maîtrisant la chronologie des médias...
Certes mais il y a un risque à contenir, c'est celui de la sécurisation des fichiers vidéos qui pourraient être distribués en ligne. De plus, il faut pouvoir proposer une offre attractive. A ce sujet, j'estime que le prix d'un film disponible en VOD sur Internet doit tourner autour du prix d'une entrée en salle. Mais il faut surtout mettre un terme à l'anarchie qui existe sur le prix des films. La filière vidéo est en proie à une vraie opacité à cet égard, qui est directement liée à la guerre des prix menée dans le cadre du système de vente de la grande distribution. Lorsque des films vidéos restent en stock, les éditeurs les bradent en grande quantité aux distributeurs, ce qui aboutit à des prix de vente finaux extrêmement bas.

Ne pensez-vous pas qu'on puisse trouver une solution économiquement viable pour légaliser les échanges en peer-to-peer ?
On peut en effet penser à des systèmes légalisés par des formules d'acquisition de droits du type "club d'achat du livre", introduisant ainsi d'autres formes d'exploitation des films. Mais la licence légale est clairement exclue pour l'exploitation des productions cinématographiques. Il n'est pas concevable pour nous que soient échangés des fichiers en ligne contre une simple somme tarifaire au même moment que les sorties en salle par exemple. Car plus généralement, la légalisation d'une offre de distribution en ligne pose un problème de taille à l'industrie cinématographique, celui du contrat d'exclusivité de diffusion des fichiers, en tout cas pour les films récents.

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Pensez-vous à votre tour lancer des campagnes de sensibilisation comme l'a déjà fait l'industrie du disque ?
L'un des groupes de travail que nous mettons en place sur la question du piratage de films en ligne va en effet se pencher sur le volet communication en collaboration avec l'industrie du disque. Ces campagnes porteront essentiellement sur le thème de la défense du droit à la propriété intellectuelle. Mais nous ne souhaitons pas "agresser" les Français sur la question. Nous voulons seulement inverser la tendance en matière de piratage de films sur Internet.

 
 
Propos recueillis par Sophie FIEVEE-BALAT, JDN

PARCOURS
 
 
Pascal Rogard, 55 ans,diplômé en droit public, se forme à l'Institut d'Etudes Politiques de Paris. Il débute en créant une troupe de théâtre et en réalisant plusieurs mises en scène.

Il est secrétaire général de la Chambre syndicale des producteurs et exportateurs de films français et du CICCE, le Comité des industries cinématographiques et audiovisuelles des communautés européennes et de l'Europe extracommunautaire.

Le 1er janvier 2004, il est nommé directeur général de la SACD, la Société des auteurs et compositeurs dramatiques et préside la Coalition française pour la diversité culturelle.

   
 
 
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