Chimie verte : comment utiliser les outils digitaux pour transformer les contraintes réglementaires en levier de croissance

Plutôt que de considérer la durabilité comme un simple centre de coûts, les entreprises de la chimie n'auraient-elles pas intérêt à utiliser le digital pour en faire un moteur de croissance ?

L’industrie chimique se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins. Au-delà de la production de matériaux plus durables et du développement de nouveaux modèles économiques, elle fait face à une pression réglementaire croissante à l’échelle mondiale. Les technologies digitales peuvent transformer la conformité réglementaire, souvent perçue comme une contrainte coûteuse, en levier d’innovation et d’excellence opérationnelle —permettant ainsi aux industriels de la chimie de tirer leur épingle du jeu dans une économie bas-carbone.

L’industrie chimique, moteur de la transition durable

L’industrie chimique joue un rôle clé dans la transition durable. Elle permet notamment de nouveaux modèles économiques comme la production d’énergie verte, et soutient la mobilité électrique en fournissant des matériaux essentiels tels que les dérivés de lithium et les fibres de carbone destinées aux batteries et véhicules électriques. Dans le recyclage, domaine où l’accent a longtemps été mis sur le tri mécanique et la réutilisation des matériaux, grâce à l’innovation, la chimie des procédés permet dorénavant de ramener les matériaux usagés à leurs composants de base — bouclant ainsi la boucle de l’économie circulaire.

Mais l’attention se porte désormais aussi sur la manière dont sont produits ces catalyseurs industriels et économiques, ainsi que de nombreux produits du quotidien, des détergents aux additifs alimentaires, en passant par les polymères et les matériaux de construction. Comme dans d’autres secteurs, la réglementation s’intensifie. En Europe, la directive sur le devoir de vigilance en matière de durabilité des entreprises (CSDD) impose des exigences de transparence bien supérieures à ce à quoi nombre d’entreprises étaient préparées. Par ailleurs, le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF ou CBAM en anglais) complique la donne pour les exportations fortement émettrices.

Partout, la question de la conformité réglementaire n’est plus de savoir si, mais quand. Chaque nouvelle réglementation ajoute son lot de complexité administrative. Pourtant, il est possible de transformer ces contraintes en avantages compétitifs en changeant de perspective.

Transformer les contraintes en opportunités

Accepter les contraintes et les obstacles peut libérer l’innovation et la créativité. Plutôt que de considérer les réglementations comme des cases à cocher qui pèsent sur la rentabilité, mieux vaut les envisager comme des tremplins pour la recherche et le développement.

En s’appuyant sur des technologies digitales industrielles comme l'IoT et l’IA, les entreprises chimiques peuvent transformer ces obligations en opportunités, concevoir des modèles plus durables et ouvrir de nouvelles perspectives de croissance dans un monde bas-carbone.

En France, certaines entreprises montrent déjà l’exemple. Roquette, leader mondial des ingrédients d’origine végétale et fournisseur clé des secteurs agroalimentaire et pharmaceutique, a lancé son programme « Usine du Futur » pour digitaliser ses procédés de production sur plusieurs de ses sites français. Grâce à de meilleures surveillances et optimisation des procédés, Roquette a réduit sa consommation de matières premières et d’énergie. Cette transformation a permis de prendre des décisions en temps réel, de réduire son empreinte environnementale et de respecter les normes européennes strictes, tout en améliorant la flexibilité de production.

Le digital, accélérateur d’innovation

Investir dans des plateformes digitales et des technologies comme l’IA permet d’optimiser en temps réel l’intégration thermique, le séquencement des lots et le contrôle du débit de production. Résultat : les entreprises peuvent fonctionner de manière plus durable, en produisant davantage avec moins de ressources — tout en affrontant des défis tels que les tensions géopolitiques et la pénurie de main-d'œuvre qualifiée.

Une enquête menée par Deloitte identifie les actions à mener en priorités en matière d’IA et de technologies digitales : accélérer la R&D de produits durables, anticiper comment l’ensemble de la chaîne de production peut être impacté par un simple changement au sein d’une étape du procédé, et extraire des insights à partir des données suivies tout au long de la chaîne de valeur.

Mais un bémol demeure : la technologie seule ne suffit pas. Pour que ces outils digitaux et les solutions basées sur l’IA permettent réellement à l’industrie d’évoluer vers une croissance durable, ils doivent s’accompagner d’investissements financiers significatifs, de programmes de formation et de recrutements de main d’œuvre qualifiée, ainsi que d’un dialogue constant avec les pouvoirs publics. C’est cette combinaison — technologie, capital humain et politique industrielle — qui permettra de transformer les contraintes réglementaires en leviers de compétitivité.

À mesure que les législateurs resserrent l’étau sur les émissions industrielles et que les investisseurs exigent des preuves concrètes d’impact, les entreprises qui investissent dès aujourd’hui dans le digital pour se décarboner seront celles qui s’imposeront demain sur des marchés les plus émetteurs de carbone. Les industriels les plus visionnaires n’attendront pas qu’on les y oblige.