Assistants IA : les dessous de l'alliance contre-nature Amazon / Microsoft

Assistants IA : les dessous de l'alliance contre-nature Amazon / Microsoft Pour séduire les consommateurs, les deux perdants de la guerre du mobile espèrent étendre leurs écosystèmes applicatifs qui restent minuscules par rapport à ceux d'Apple et Google.

Non contents de papoter avec leurs utilisateurs, les concierges vocaux d'Amazon et Microsoft, Alexa et Cortana, pourront bientôt bavarder ensemble. Les deux multinationales concurrentes ont annoncé il y a trois mois un partenariat. Les utilisateurs de l'IA d'Amazon pourront d'ici la fin 2018 lui demander d'appeler Cortana pour bénéficier d'un service X ou Y et inversement.

Les deux géants auraient pu être tentés de faire bande à part et s'accaparer un maximum de clients dans ce secteur en plein décollage. D'ici 2020, le marché mondial des haut-parleurs intelligents intégrant un concierge vocal pèsera 2,1 milliards de dollars, contre 360 millions en 2015, selon un rapport de Gartner daté d'octobre 2016. Mais malgré le succès de son haut-parleur connecté Echo, qui s'est vendu entre 2014 et 2016 à plus de 5 millions d'exemplaires aux USA, Amazon aurait perdu 330 millions de dollars en 2016 sur cette activité. Et il pourrait perdre plus de 600 millions en 2017, estime l'agence de conseil en placements financiers américaine Evercore dans une étude réalisée en janvier 2017.

Cet accord permet aux deux entreprises de partager leur audience pour séduire plus facilement les développeurs d'applications mobiles qui se focalisent sur les plateformes les plus utilisées

Pourquoi les deux PDG ont-ils décidé de signer ce surprenant partenariat ? Amazon et Microsoft ont perdu la bataille du mobile : en juillet 2015, les Fire Phone du premier n'étaient plus disponibles à la vente. Deux ans plus tard, le second enterre son système d'exploitation mobile Windows Phone. Contrairement à Apple et Google avec leurs OS mobiles iOS et Android, les deux groupes n'ont pas d'écosystème applicatif capable de répondre aux besoins de leurs clients. "Ils ont décidé de s'allier pour étendre leur écosystème et offrir autant de fonctions que possible à leurs utilisateurs. Ils veulent à tout prix éviter que les consommateurs ne se heurtent à un mur lorsqu'ils demandent à l'assistant d'effectuer une tache qui n'est pas dans ses cordes", explique Roy Schulte, analyste chez Gartner. Cet accord permet aussi aux deux entreprises de marier leur audience et donc de séduire plus facilement les développeurs d'applications mobiles, qui se focalisent sur les plateformes les plus utilisées.

L'alliance a été d'autant plus facile à mettre en place que les activités des deux groupes leur permettent de ne pas se marcher sur les pieds. Amazon a beau avoir appris de son échec dans le mobile et essayer de développer un écosystème d'applications vocales aussi large que possible (en juillet 2017, Alexa totalisait 15 000 applis, contre à peine plus de 370 pour Google Assistant), Alexa reste principalement utilisée au domicile de ses clients via les haut-parleurs intelligents Echo pour effectuer des achats en ligne. Avec son application de mail et de calendrier Outlook, Microsoft est quant à lui très présent dans les bureaux, mais n'a pas développé de fonction e-commerce.

"Il est possible qu'Amazon ait choisi Microsoft comme partenaire pour bénéficier de ses connaissances dans la reconnaissance d'images, qui pourraient être utiles pour développer un assistant multimodal"

Cette complémentarité pourrait permettre aux deux entreprises de conquérir ensemble un autre espace prometteur pour les assistants intelligents : la voiture. En avance sur le sujet, Amazon a signé en 2017 des accords avec plusieurs constructeurs automobiles. L'ensemble des véhicules de Ford dotés du système d'information Sync 3 sont équipés d'Alexa depuis cet été. Les automobiles de BMW le seront dès la mi-2018. Microsoft pourra proposer les services Cortana au travers d'Alexa dans tous ces véhicules. Les commerciaux d'Amazon pourront quant à eux faire valoir leur partenariat avec Microsoft, très utilisé en entreprise, pour favoriser l'utilisation d'Alexa dans les flottes de véhicules de société.

Concrètement, l'utilisateur d'Alexa devra pour l'instant demander à son assistant : "Alexa, ouvre Cortana et demande-lui à quelle heure est mon rendez-vous avec le boss aujourd'hui". "Dans le futur, on pourrait imaginer qu'appeler Cortana ne soit pas nécessaire et que le système devine quel est l'assistant le plus à même de répondre à la demande de l'utilisateur. Peu importe qui exécute le service, tant qu'il est rendu", anticipe Laurent Stefani, directeur de l'intelligence artificielle d'Accenture en France.

"L'objectif numéro un de ce partenariat est de rendre l'expérience utilisateur la plus fluide possible. Dans un monde où le client est roi, je ne vois pas pourquoi Apple et Google ne signeraient pas cette alliance. Il est dans leur intérêt de participer à cet effort de standardisation pour favoriser le décollage du secteur. Ils ont tout intérêt à ce qu'il n'y ait pas d'interruption de service pour que le consommateur soit satisfait", pointe-t-il. Une analyse en accord avec celle du PDG d'Amazon Jeff Bezos : "Le monde est grand et multifacettes. Il va y avoir de multiples assistants intelligents à succès. Chacun aura accès à certains jeux de données et aura des domaines de compétences propres. Associées, leurs forces leur permettront de fournir aux consommateurs une expérience plus riche", soulignait-il dans le communiqué de présentation du partenariat publié le 30 août. Interrogé par le New York Times, il a précisé qu'il n'avait pas proposé à Apple et Google de rejoindre l'alliance mais qu'il serait ravi de les accueillir.

"L'objectif numéro un de ce partenariat est de rendre l'expérience utilisateur la plus fluide possible"

"Sauf que jamais Apple et Google ne signeront un tel partenariat", prévient Vincent Guigui, architecte agent conversationnel chez Octo Technology. "Les deux compagnies ont intérêt à garder autant que possible leurs clients prisonniers de leur écosystèmes, qui sont très larges. C'est l'une des principales caractéristiques d'Apple, inscrite dans son ADN depuis sa création. Cette politique fermée est en totale opposition avec celle de Microsoft, qui met fortement l'accent sur l'open source depuis trois ans", poursuit-il.

En plus de cette logique d'extension des écosystèmes, gringalets par rapport à ceux de Google et Apple, le partenariat Amazon/Microsoft pourrait avoir un volet technique. Car avant même celui-ci, Alexa se basait sur le moteur de recherche de Microsoft, Bing, pour répondre aux questions de ses utilisateurs. "L'accord signé par les deux entreprises pourrait tout à fait contenir un volet sur le partage des données de Bing, qui permettraient à Amazon d’entraîner son système IA pour qu'il devienne plus intelligent", indique Roy Schulte.

"Il est même possible qu'Amazon ait choisi Microsoft comme partenaire pour bénéficier de ses connaissances poussées dans le domaine de la reconnaissance d'image avec son services cognitive services, qui pourraient lui être utiles pour développer un assistant intelligent multimodal", complète Vincent Guigui. Ainsi, le groupe a présenté une série de nouveaux appareils en 2017, dont Amazon Echo Look, qui permet à ses utilisateurs de faire des photos de leur style du jour. Des photos dont Amazon pourrait tirer des données intéressantes s'il parvient à les analyser avec précision.