Sébastien Mitea (Global Desinformation Index) "La liste d'exclusion du Global Desinformation Index regroupe près de 2 000 sites à risque élevé de désinformation"

Twitch, Oracle Advertising, Integral Ad Science (IAS) et Mediamath ont en commun d'être branchés au Global Desinformation Index (GDI), qui depuis 2018 fournit une liste régulièrement mise à jour de domaines à exclure des achats programmatiques.

Sébastien Mitea, directeur de recherche au GDI. © GDI

JDN. Quelle est l'ampleur du volume d'investissements publicitaires qui financent aujourd'hui des sites de désinformation en France ?

Sébastien Mitea. Le Global Desinformation Index (GDI) a étudié le volume de financements obtenus à travers les places de marché programmatiques par 20 000 domaines signalés pour désinformation partout dans le monde. Nous avons estimé ce montant à 235 millions de dollars. Nos chiffres sont des estimations réalisées en 2019 et offrent un instantané d'un problème qui va certainement bien au-delà de 20 000 sites. Nous développons des algorithmes pour continuer d'identifier le volume de ces montants afin de quantifier l'ampleur de la désinformation et la progression de ses revenus. C'est aussi un moyen pour nous de mesurer l'impact de notre action ainsi que de nos confrères qui agissent dans le domaine de la désinformation.

Quelle est la proposition de valeur du GDI ?

Le GDI est une association à but non lucratif fondée fin 2018 qui cherche à combattre la désinformation en lui coupant ses sources de financement publicitaire. Nous identifions les flux financiers qui sponsorisent directement ou indirectement la désinformation afin de tenter de les bloquer. Nous proposons pour cela un Desinformation Index, une liste d'exclusion dynamique de 2 000 noms de domaines de sites d'actualités qui atteignent un risque élevé de désinformation. Cette liste est proposée sous forme d'abonnement à nos clients (tels qu'Integral Ad Science et les annonceurs qui en sont équipés, Twitch, Oracle advertising et Mediamath, ndlr.), de façon à ce qu'ils puissent ôter leur bannière publicitaire et éviter les inventaires de ces sites. Ce faisant nous parvenons donc à couper le financement de ces sites.

La publicité est-elle la principale source de revenus de ces sites ?

C'est en tout cas la principale source de revenus que nous pouvons combattre. D'autres sources assez évidentes de financement de la désinformation sont étatiques, mais nous n'avons hélas pas de prise sur ces circuits. Le financement injecté via le marché publicitaire programmatique a l'avantage d'être identifiable et traçable. Nous pouvons agir dessus. De plus, les sites qui sont financés volontairement ou involontairement par la publicité se retrouvent souvent cités sur les médias sociaux. En attaquant leur business modèle, nous contribuons également à diminuer l'exposition des utilisateurs à ces contenus sur les plateformes, cela procure un effet démultiplicateur.

"Nous analysons de manière automatisée et constante plus de 620 000 sites, dont 800 en France"

Comment procédez-vous pour arriver à la shortlist de près de 2 000 noms de domaine à haut risque de désinformation ?

Nous analysons de manière automatisée et constante plus de 620 000 sites (dont 800 en France). Les près de 2 000 noms de domaine à haut risque de désinformation (dont une vingtaine en France) représentent une partie relativement faible de ce volume. Notre analyse combine intelligence artificielle et intelligence humaine : rien n'atterrit sur notre liste d'exclusion dynamique sans avoir été validé par un humain. Cette liste détecte des récits particuliers polarisants, comme les récits racistes, misogynes ou antiscience, par exemple.

Où placer la frontière entre fake news et désinformation ?

Nous parlons de désinformation quand il s'agit de récits contradictoires ou antagonistes pouvant cibler certaines communautés et institutions qui peuvent causer du tort ou des préjudices en créant de la polarisation et en étant volontairement sensationnalistes. L'aspect réel ou pas réel, fact checked information ou fake news n'est pas nécessairement pertinent pour nous. Nous nous distinguons en cela des organisations spécialisées dans du pur fact checking. Personne n'est à l'abri de la désinformation.

À quelle fréquence mettez-vous à jour votre liste ?

Cette mise à jour se fait toutes les semaines. Avec certains partenaires, comme IAS, cela se fait de manière bidirectionnelle. Nous leur fournissons la liste à jour et, de leur côté, ils nous communiquent une liste de sites où leurs clients ont l'habitude et/ou le souhait de faire paraître leur publicité afin que nous puissions les analyser. Cela enrichit la couverture de notre robot.

Quel est votre modèle économique ?

Nous sommes financés par des fonds privés, des organismes publics internationaux de plusieurs pays (dont le ministère britannique des affaires étrangères, ndlr.) et également par la vente de licences du Desinformation Index.