Avec l'IA, le bâtiment passe à l'air de l'intelligence énergétique

Avec l'IA, le bâtiment passe à l'air de l'intelligence énergétique Le machine learning est à la fois un levier pour rationaliser la consommation d'énergie et pour optimiser la production au niveau individuel et collectif au sein des futurs réseaux intelligents.

L'intelligence énergétique. Tel est le Graal de l'efficacité énergétique du bâtiment. La finalité ? Eviter toute déperdition, tout effort mal anticipé, et, dans le même temps, optimiser la qualité de service aux occupants. Pour relever ce défi, l'IA est une brique centrale de l'édifice. Branchée aux systèmes de chauffage et de climatisation, elle collecte les données issues de leurs capteurs de températures et d'humidité et les combine à des informations environnementales. Objectif : créer l'historique nécessaire à l'apprentissage des modèles de machine learning qui permettront de prédire la consommation. Une fois déployés, ces algorithmes s'affineront, comme toujours, au fur et à mesure du cycle de vie du bâtiment et de l'intégration de nouvelles données.

Créé en 2015, le français BeeBryte se positionne précisément sur ce terrain. Son offre s'articule autour d'une box 4G qui se connecte aux infrastructures de CVC (chauffage, ventilation, climatisation) et aux groupes froids. "En tenant compte de l'historique de températures issu de leurs thermostats, de la consommation électrique, des prévisions météorologiques et de l'activité du site, notre plateforme anticipe la demande thermique pour produire le froid et le chaud au meilleur moment en respectant le confort et la plage de fonctionnement déterminée par le client", résume Frédéric Crampé, CEO de BeeBryte. Optimisation du séquençage des groupes froids, du renouvellement d'air, du niveau d'eau glacé dans les tuyaux… La solution modifie les paramètres des automates en temps réel.

Une IA tarifée en fonction des économies réalisées

Le modèle économique de BeeBryte ? La start-up lyonnaise ne facture rien à l'installation, mais ponctionne chaque mois un pourcentage de l'économie réalisée. "Pour calculer cette réduction, nous commençons par collecter des données pendant deux mois en amont de l'activation des algorithmes. Ce qui permet de bénéficier d'une base de référence claire", explique Frédéric Crampé. Parmi les utilisateurs de la technologie BeeBryte, on relève DHL, Picard, SNCF, Voltalia ou Solvay. Ciblant principalement les constructions tertiaires à air conditionné et les entrepôts réfrigérés, la jeune pousse promet jusqu'à 40% d'économie en énergie. Un résultat obtenu non seulement en optimisant la consommation d'énergie des solutions de CVC, mais également en décalant celle-ci au moment où l'électricité est moins chère.

"En plus des données opérationnelles et d'usage, on peut compléter le data set d'apprentissage de données de structure issues des maquettes numériques"

"En plus des données opérationnelles et d'usage, on peut compléter le data set d'apprentissage de données sur la localisation et la structure du bâtiment issues de sa maquette numérique (ou building information modelling, ndlr)", souligne Didier Pellegrin, vice-président analytics & artificial intelligence chez Schneider Electric. Des éléments de conception qui permettront d'intégrer d'emblée au modèle prédictif l'inertie énergétique de la construction ainsi que sa charge thermique, c'est-à-dire ses sources de chaleur internes (occupation humaine, éclairage, utilisation d'appareils informatique) et externes (ensoleillement). Ce qui permettra de gagner en précision et d'éviter une déduction a posteriori.

Dans cette logique, Ubiant propose une plateforme de pilotage du bâtiment tenant compte aussi bien des facteurs de température et de luminosité (naturelle et artificielle), que des données de structure, d'isolation et d'orientation. "Tout est lié. La fermeture d'un volet coupe l'apport radiatif d'une fenêtre. Du coup, si l'on n'augmente pas en parallèle la ventilation, cela peut se traduire par une sensation de froid", illustre Etienne Gehain, digital innovation officer chez Engie qui a participé à hauteur de 23% à la dernière levée de fonds d'Ubiant bouclée en 2017. En fonction de critères de confort et d'objectifs de coûts, Ubiant définit le meilleur mix entre les différentes sources d'énergie à un instant T : réseau électrique, production locale et stockage.

Aux côtés de son investissement dans Ubiant, Engie s'est équipé d'une plateforme d'IA pour développer et opérer ses offres IoT à destination du grand public. Compteurs de consommation, panneaux solaires, chaudières, pompes à chaleur, bornes de recharge de véhicule… Baptisée eCare, elle monitore toute une palette de systèmes de production d'énergie. Hébergée sur AWS, elle fait appel au machine learning appliqué à des données chronologiques pour déceler des dérives, des comportements inhabituels, et in fine anticiper les pannes en vue de proposer aux clients des interventions de maintenance de manière préventive.

"La vision par ordinateur permet de détecter les anomalies sur les pales d'éoliennes. De même pour les panneaux voltaïques"

Au-delà du volet consommation, l'IA est également une brique maîtresse côté production d'énergie, et notamment pour le pilotage des sources d'énergies renouvelables, qu'elles soient éoliennes ou solaires. Des sources qui par définition restent tributaires des aléas de la météo. Le machine learning est évidemment une solution toute trouvée pour composer avec cette contrainte. Une problématique sur laquelle Schneider Electric se positionne avec son offre EcoStruxure Microgrid Advisor. A destination des opérateurs de microgrid, elle contrôle dynamiquement les ressources et les charges électriques des installations et définit automatiquement, via ses algorithmes prédictifs, comment et quand consommer, produire et stocker l'électricité, en fonction de la météo et de la capacité de production associée, ainsi que des prix pratiqués par les fournisseurs tiers.

Pour piloter ses infrastructures d'énergie renouvelable, Engie a bâti un data lake coiffé d'une IA. Baptisée Darwin, elle centralise toutes les données en provenance de ce parc. Objectif : mieux prévoir la production, identifier les périodes de maintenance les plus rentables, cartographier les forces et faiblesses des installations… "La vision par ordinateur permet par exemple de détecter les anomalies sur les pales d'éoliennes. De même pour les panneaux voltaïques. Des drones dotés de caméras infrarouge repèrent les points chauds par reconnaissance d'images. Ces indicateurs peuvent révéler des composants dégradés ou des cellules encrassées", détaille Etienne Gehain.

Le smart grid devient réalité

Reste à savoir quels modèles d'IA sont utilisés pour optimiser tant la consommation que la production d'énergie. Chez BeeBryte, on a recours à des algorithmes de régression (à variable explicative unique), ou encore des algorithmes de clustering, permettant par exemple de classer des jours ou des heures avec des besoins de consommation similaires. Chez Schneider Electric, Didier Pellegrin évoque la réduction de dimensionnalité pour limiter le nombre de variables explicatives, souvent nombreuses dans les modèles énergétiques. "L'apprentissage par renforcement permet quant à lui de simuler et d'évaluer les différentes stratégies d'optimisation de la consommation", ajoute Didier Pellegrin. Une technique qui est également mise en œuvre chez BeeBryte.

Le plus souvent, la phase d'apprentissage des modèles d'intelligence énergétique est réalisée dans le cloud. Une fois entraînés, les algorithmes viennent se nicher dans des objets connectés en frontière de réseau, à l'instar de la boxe de BeeBryte. "Ce qui permet de réduire la latence en évitant les allers-retours avec le cloud tout en gagnant en résilience en cas de coupure réseau", argue Frédéric Crampé. "Déployer ces agents intelligents en frontière de réseau permet ensuite aux bâtiments de trader entre eux des capacités en énergie." Souvent considérée comme l'étape ultime du smart grid, cette vision est mise en œuvre par BeeBryte chez un premier client. Chez Engie, elle prend corps à travers l'investissement dans Tiko, une technologie conçue pour optimiser la consommation et l'autoproduction énergétique en réseau, par agrégation de logements connectés dialoguant ensemble.