IBM Watson parie des milliards dans la santé pour contrer Google
Le programme d'intelligence artificielle d'IBM travaille sur son déploiement en Europe et affine son business model.
Le futur gigantesque business de l'analyse des données de santé sera probablement détenu par deux ou trois acteurs tout au plus, compte-tenu des prérequis en termes d'infrastructures et de technologies. Et IBM Watson ne lésine pas sur les moyens pour devenir l'un d'entre eux. Le programme d'intelligence artificielle d'IBM a dépensé plus de quatre milliards de dollars depuis un an pour bâtir sa division santé. Pour autant, son déploiement ne fait que commencer.
L'offre d'IBM Watson Health commence tout juste à se dessiner. "Nous proposons d'une part des plateformes verticalisées en Saas, souvent au forfait, pour servir des problématiques business, et d'autre part un catalogue d'API facturées à l'utilisation à destination de clients qui cherchent des services cognitifs", détaille Pascal Sempé, responsable santé Watson pour IBM France. Dans le domaine de la santé, environnement contraint, les solutions verticalisées sont privilégiées. IBM Watson Health vise l'ensemble de la chaîne de valeurs de la santé, des assureurs en passant par les hôpitaux, les chercheurs, les acteurs de l'industrie pharmaceutique, du bien-être, du coaching…
Trois solutions phares
L'une des solutions aujourd'hui en production, et la plus avancée - IBM y travaille depuis 2013 - accompagne les cancérologues dans leurs décisions de traitement. "L'information médicale est de plus en plus complexe et de plus en plus vaste et on tend vers une médecine de plus en plus personnalisée, décrit Pascal Sempé. IBM Watson aide le médecin à prendre la meilleure décision possible en donnant des hypothèses sur la meilleure façon de traiter le patient." La solution est déployée dans quelques hôpitaux américains et aux Emirats Arabes Unis. "Nous avons aussi des projets en Inde, en Thaïlande… Et nous espérons qu'elle sera en production dans des installations en Europe dans quelques mois."
Dénicher des patients pour les études cliniques des laboratoires
Concrètement, la solution analyse le dossier du patient et les notes des médecins, en extrait les informations importantes et crée une fiche de synthèse qui rassemble plusieurs centaines d'attributs avant d'envoyer une recommandation de prise en charge. Ces fiches d'attributs ont permis à IBM Watson d'élaborer sa deuxième solution phare : utilisée dans plusieurs hôpitaux américains, elle permet de vérifier si des études cliniques en cours correspondent aux patients analysés. "Moins de 5% des patients sont intégrés dans des études cliniques dans le monde alors que 25% environ seraient éligibles." Un boulevard donc auprès des laboratoires pharmaceutiques…
Enfin, IBM Watson a récemment lancé Watson Genomic Analytics, qui analyse les informations génétiques des patients cancéreux pour déterminer la stratégie thérapeutique la plus adaptée. Elle est déployée dans 17 grands centres aux Etats-Unis mais aussi au Japon et au Canada.
A terme, bien sûr, IBM compte s'attaquer à d'autres pathologies : "Nous travaillons déjà sur des solutions destinées aux maladies cardiovasculaires, à la maladie de Parkinson, aux maladies neurologiques...", note le patron d'IBM Watson Health France.
Seul concurrent de Google
IBM travaille sur Watson depuis dix ans et a significativement accéléré dans le volet santé ces derniers temps. Le groupe est en train de devenir un mastodonte qui ingurgite des millions de données. Il a multiplié les acquisitions de sociétés détentrices de data, comme Truven et ses 300 millions de patients, Explorys et ses 50 millions de patients, mais aussi Phytel, Curam, Merge… IBM produit aussi de la donnée en interne. Par exemple, la société a noué un partenariat avec le laboratoire Pfizer pour collecter celles de malades atteints de Parkinson grâce à des capteurs.
Les deux géants se sont lancés dans une course à l'investissement
Seul Google semble en mesure de se confronter à IBM Watson sur le secteur. "Les autres acteurs à pouvoir le faire sont peu nombreux car plus le temps passe et plus la barrière à l'entrée est élevée, note Julien Maldonato, expert chez Deloitte. Chaque individu va produire un million de gigabits de données de santé dans sa vie et ce chiffre n'arrête pas d'augmenter. Il faudra des capacités d'infrastructures énormes pour gérer ces données."
Les deux géants se sont lancés dans une course à l'investissement pour s'emparer du secteur. Google mise sur Deepmind, division spécialisée dans l'intelligence artificielle qui vient de créer une section santé, mais aussi sur son projet de biotechnologies Calico. "Google a clairement les capacités pour jouer sur le même plan qu'IBM Watson", note Julien Maldonato. A IBM, 4 000 collaborateurs travaillent sur le volet santé. En Europe, 135 millions d'euros ont été investis dans un centre de recherche de santé à Milan pour développer de nouvelles applications.
Gouffre financier
Mais pour l'instant, la division santé d'IBM est un gouffre financier. Dix ans de travail, quatre milliards de dollars dépensés en un an, et très peu de clients souscripteurs. Car le déploiement va prendre du temps. "Les hôpitaux sont assez pauvres en couche basse de gestion de données, précise Julien Maldonato. Leur gestion des données est encore très artisanale alors que c'est un prérequis avant d'utiliser Watson. C'est un gros problème pour IBM." Si IBM assure que des hôpitaux européens utiliseront ses solutions dans les mois à venir, l'expert de Deloitte en doute. "Certes, ils commencent à travailler avec des hôpitaux français mais ils feront au mieux des tests sur des domaines précis et à très petite échelle à court terme."
Toujours est-il que ces derniers mois, IBM a commencé à accélérer dans l'Hexagone. "Le programme apprend le français et s'adapte aux normes hexagonales", note Julien Maldonato. De quoi commencer à tester la solution. "Des discussions sont avancées avec plusieurs partenaires", assure Pascal Sempé. Pour évangéliser avant que Google n'arrive sur le terrain…