L'IA, ce remède miracle qui rend les médecins plus efficaces
De nombreux fonds d'investissements et grands groupes investissent dans les start-up de ce secteur qui pèsera plus de 6 milliards de dollars dans le monde en 2021.
Le temps est une denrée rare pour les médecins, qui n'ont pas forcément le loisir d'éplucher les nouvelles recommandations médicales publiées chaque année en France par la Haute autorité de santé. Grâce à l'intelligence artificielle (IA), ils cesseront bientôt d'avoir l'œil vissé sur leur montre, car tout un écosystème d'entreprises qui créent des offres d'IA dédiées au monde de la santé est en train de se structurer. Start-up et grands groupes y évoluent côte à côte.
Dix jeunes pousses du monde de l'IA et de la santé avaient levé des fonds aux Etats-Unis en 2011, elles étaient 60 en 2015
En France, la jeune pousse parisienne Khresterion, fondée en 2011, a développé une solution capable de reproduire le raisonnement d'un expert de la santé. Il accompagne les cliniciens dans leurs choix thérapeutiques lorsqu'ils doivent prendre des décisions complexes. Le moteur de raisonnement combine l'ensemble des recommandations produites par les sociétés savantes actualisées dans une spécialité donnée, les études médicales, les dossiers patients lorsqu'il y a accès... Il intègre l'ensemble de ces informations sous forme de contraintes logiques afin de construire son analyse. Ce travail de modélisation, réalisé par Khresterion, prend cinq semaines pour des pathologies complexes comme certains cancers et cinq ou six jours pour des maladies plus "simples", comme l'asthme ou l'hypertension.
Les médecins peuvent par exemple s'appuyer sur cette intelligence artificielle lorsqu'ils doivent décider s'ils administrent à leurs patients souffrant d'un cancer de la vessie des médicaments aux effets secondaires désagréables. Etat général du malade, espérance de vie, âge… Les facteurs à prendre en compte pour décider de prescrire ou non le traitement sont multiples. Le logiciel de Khresterion donne son avis au praticien. "Mais attention, c'est au docteur que revient la décision finale de prescription. Nous ne sommes pas là pour le remplacer mais pour lui permettre d'être plus efficace", tient à préciser Denis Pierre, le dirigeant de la pépite. L'hôpital Necker à Paris a par exemple déboursé 80 000 euros pour aider ses praticiens hospitaliers à mieux suivre les malades souffrant d'insuffisance rénale chronique. Ils peuvent utiliser l'IA en direct via une application en répondant à une série de questions (âge du patient, état général…).
IBM a investi sur la seule année 2015 plus de 4 milliards de dollars afin de construire sa division santé
Khresterion développe également une application destinée directement à leurs patients, qui doivent suivre un régime alimentaire particulier une fois rentrés chez eux pour ne pas s'empoisonner à cause de leurs reins mal en point. Déployée courant 2017, l'appli leur posera tous les jours des questions sur ce qu'ils ont avalé et leur donnera des conseils sur la meilleure façon d'équilibrer leur alimentation. Un suivi quotidien que les médecins n'ont pas la possibilité d'accomplir. En cas de problème, le logiciel prévient le docteur pour qu'il fixe un rendez-vous avec son patient. Khresterion travaille également avec des laboratoires comme Ipsen ou Sanofi, afin de les aider à construire des recommandations destinées aux médecins qui vont prescrire leurs nouveaux médicaments.
La jeune pousse n'est pas la seule à développer une IA destinée directement aux patients. Créée en 2010 et basée à San Francisco, Medwhat a créé un chatbot capable de répondre aux questions médicales que se pose le quidam. "Notre logiciel interroge le patient sur son état général, lui demande s'il a de la fièvre, la nausée… Lorsque la situation requiert l'assistance d'un médecin, il lui propose de prendre un rendez-vous", souligne Arturo Devesan, le PDG de Medwhat. La start-up commercialise son IA en marque blanche à des entreprises, notamment dans le monde de l'assurance. Elles peuvent ainsi l'intégrer à leurs applications clients. Le patron ne peut dévoiler les noms de ces sociétés mais glisse que plusieurs d'entre-elles font partie du Fortune 500.
La start-up a levé 560 000 dollars depuis sa création, notamment de la part de deux fonds de capital-risque américains, NewGen Capital et StartCaps Venture. Les investisseurs s'intéressent de plus en plus aux pépites du secteur de la santé et de l'IA, qui devrait peser plus de 6 milliards de dollars dans le monde en 2021, selon un rapport publié en décembre 2015 par le cabinet Frost & Sullivan. Dix jeunes pousses du secteur avaient levé des fonds aux Etats-Unis en 2011. AiCure, Advenio TecnoSys, Babylon Health, Sentrian… Elles étaient 60 en 2015 et 55 entre janvier et août 2016, affirme CB Insights dans une étude datée du mois d'août 2016.
Medwhat a levé 560 000 dollars depuis sa création, notamment de la part de deux fonds de capital-risque américains
Ce potentiel business n'a pas échappé à de grands groupes du monde de l'informatique, comme Google, Apple ou encore IBM, qui se positionnent eux aussi sur le marché. Ces mastodontes ne jouent pas dans la même cour que les start-up. Big Blue a par exemple investi sur la seule année 2015 plus de 4 milliards de dollars afin de construire sa division santé. Ces fonds lui ont permis de racheter des entreprises disposant d'un nombre considérable de dossiers patients, comme Truven (qui en a plus de 300 millions en magasin) ou encore Explorys (50 millions).
"IBM a ainsi pu entrainer son intelligence artificielle Watson sur de nombreux cas réels afin de construire une offre solide pour le monde médical," se félicite Pascal Sempé, responsable santé Watson pour IBM France. "Pour raisonner juste, ces logiciels ont besoin d'être confrontés à des patients de tous âges, qui peuvent être touchés par plusieurs pathologies au même moment. Ces maladies sont plus ou moins stimulées par leur environnement. C'est très différent d'un cas simple de laboratoire", poursuit-il.
Les start-up n'ont pas cette force de frappe financière. Pour développer leurs logiciels, certaines sociétés comme Khresterion s'appuient donc sur des partenariats qu'elles ont tissés avec des entreprises pharmaceutiques ou des hôpitaux, qui leur fournissent des bases de données patients anonymisées. Elles peuvent aussi avoir recours à certaines offres mises sur le marché par les géants du net. Sur sa plateforme cloud Bluemix, IBM met à disposition des entreprises (moyennant finance) des services cognitifs dont elles peuvent se servir via des API. Pas besoin de réinventer l'eau chaude : "les entreprises peuvent se concentrer sur le développement d'outils IA très innovants. Si jamais les start-up nous le demandent, nous pourrions tout à fait leur donner accès via notre cloud à nos bases de données patients pour qu'elles entraînent leur intelligence artificielle", affirme Pascal Sempé.
D'autres entreprises, comme Medwhat, ont décidé de ruser. La pépite a entraîné son IA en lançant en 2011 une application web permettant à l'internaute lambda de poser ses questions de santé. "Nous avons engrangé des millions de requêtes. Cela nous a permis de voir quelles interrogations turlupinent régulièrement les internautes et d’entraîner notre logiciel, avant de construire notre offre dédiée aux professionnels", explique le patron de l'entreprise.