La prochaine licorne sera-t-elle financée grâce à l'IA ?
Aujourd’hui, de plus en plus de fonds d’investissements, dont certains des plus renommés et rentables, invitent des IA à leur conseil de direction pour les guider dans leurs futurs investissements. Les algorithmes auraient-ils un meilleur sens des affaires que les humains ?
En mai 2016, EQT, un des fonds d’investissement nord-européen les plus importants, a surpris la presse en dévoilant leur nouvelle recrue : Motherbrain. Ce programme conçu pour détecter les entreprises commençant à susciter l’intérêt du public, collecte et analyse des données provenant de multiples sources en ligne, de l’annuaire de start-up Crunchbase au trafic web mesuré par Comscore, en passant par leurs mentions sur Facebook et Twitter. L’intérêt ? Permettre à EQT d’identifier les futures licornes avant tout le monde. Et ce phénomène est loin d'être un cas isolé.
Vers une automatisation de la prise de décision
En tant qu’humains, nous avons une capacité limitée à prendre des décisions. Les investisseurs prennent quotidiennement un grand nombre de décisions importantes, ce qui les mène pour la plupart à éprouver une fatigue décisionnelle.Il est donc nécessaire de se concentrer sur les décisions les plus importantes de la journée. Si Mark Zuckerberg ou Barack Obama s’habillent toujours avec la même tenue, c’est pour éliminer une des décisions de leur quotidien, aussi insignifiante soit-elle. Aujourd’hui, un grand nombre de ces décisions sont automatisées pour vous faciliter la vie. Lorsque vous naviguez en utilisant Google Maps, ce dernier va choisir automatiquement un trajet pour vous, et vous serez satisfaits, car ce sera le chemin le plus rapide. Cette tendance se retrouve également dans les décisions stratégiques pour les entreprises, où les algorithmes commencent à trouver leur place au sein des comités de directionL’intelligence artificielle, membre à part entière des conseils d’investisseurs Nous avons aujourd’hui des technologies suffisamment développées pour identifier les opportunités d’investissements et faciliter nos prises de décisions. De la recherche de nouveaux investissements à la due diligence, de plus en plus de fonds s’intéressent à l’intelligence artificielle et aux assistants informatiques pour les aider à prendre de meilleure décisions, mieux informées et plus rapides.Par exemple, Deep Knowledge Ventures compte une IA, baptisée VITAL, parmi leur conseil d’investisseurs, qui intervient sur chaque décision prise. La firme étant spécialisée dans les projets de médecine régénérative, VITAL suggère des placements en scannant les prévisions financières des entreprises, leurs essais cliniques, leurs brevets et leurs précédentes levées de fonds.
Ben Goertzel, chercheur américain, est allé encore plus loin en créant Aidyia, un fonds d’investissement entièrement dirigé par une IA, prenant ses décisions en totale autonomie. En analysant un grand nombre de données, comme les prix et volumes d’un marché, des données macroéconomiques ou encore les résultants financier d’une entreprise, Aidyia est capable d’établir ses propres prédictions, et d’agir en fonction.
Le rôle croissant des données externes dans les prises de décision
La collecte et l’analyse de données joue aujourd’hui un rôle primordial lors des levées de fond. Les technologies sont en mesure d’analyser un plus grand volume et variété de données, si bien que les fonds d’investissements sont amenés à s’intéresser à de nouvelles sources de data : les données externes, comme les médias sociaux ou les offres d’emploi.Dans son livre “Outside Insight : Navigating in a World Drowning in Data”, Jorn Lyseggen, Fondateur de Meltwater, s’intéresse au rôle des données externes dans les prises de décisions. Aujourd’hui, celles-ci sont principalement basées sur les données internes aux entreprises. Une acquisition peut se jouer selon les résultats financiers des derniers trimestres, ou une levée de fonds peut être réalisée grâce à la croissance annuelle d’une entreprise. Mais le défaut majeur de ces données est qu’elles appartiennent au passé et occultent toute une partie de l’activité de l’entreprise. “Diriger son entreprise en se basant uniquement sur ses données internes revient à conduire une voiture en fixant son rétroviseur.” écrit-il dans son livre.C’est pourquoi, comme EQT et leur Motherbrain, de plus en plus d’investisseurs se tournent vers les données externes. Mentions sociales, offres d’emploi, dépenses publicitaires en ligne ou encore brevets déposés, toute ces datas sont désormais analyser judicieusement, car elles peuvent être traitées en temps réel et permettent d’anticiper l’avenir de façon bien plus précises.C’est un sujet qui a inspiré de nombreux chercheurs, comme Seshadri Tirunillai et Gerard J. Telli qui se sont intéressé à l’impact des conversations en ligne sur la performance d’une entreprise. Pour y répondre, ils ont analysé les notes et commentaires laissés par les consommateurs sur Amazon, Epinions et Yahoo Shopping, sur des produits issus de six secteurs différents, des smartphones aux jouets, en passant par les chaussures. Résultat : plus une marque recevait des notes et des commentaires (positifs ou négatifs), mieux elle performait sur le marché. Le volume des conversations générées par une entreprise est aujourd’hui une mesure fiable pour prédire les futures ventes.Le potentiel de ces données n’a pas échappé à certaines entreprises, à l’instar de Decissio. La startup s’est spécialisée dans la recherche d’opportunités pour les fonds d’investissements. Elle analyse les mentions dans la presse et sur les médias sociaux des startups et de leurs fondateurs (allant jusqu’à analyser l’orthographe de ces derniers). Elle les comparent ensuite à celles de leurs concurrents lorsqu’ils étaient au même stade de développement que ces startups. C’est au total 300 variables qui sont analysées par Decissio desquelles ils déduisent un score final, déterminant si oui ou non la startup est intéressante.Quel place pour l’humain dans les années à venir ? La machine va-t-elle remplacer l’expert ? Peu probable selon certains, comme Jordi Visser, de Weiss Multi-Strategy Advisers, pour qui les humains ont encore un gros avantage sur les intelligences artificielles : l’intuition. “La bonne chose avec les ordinateurs, c’est qu’ils ne ressentent aucune émotion.”, expliquait-il à Bloomberg, “La mauvaise chose avec les ordinateurs, c’est qu’ils ne ressentent aucune émotion. Ils ne peuvent pas comprendre les sentiments humains.”IA et Data Science : le futur de la levée de fonds ?
Pourtant, grâce à la capacité d’apprentissage automatique dont sont munis la plupart des IA, la précision de leurs prédictions ne fera que s’améliorer au fil du temps. Plus ils sont actifs, plus ils apprennent et ajustent leurs résultats, avec la ferme intention d’être fiable à 100% pour les humains.
David Harding, fondateur du capital Winton, expliquait à leurs clients qu’il n’était pas conseillé, ni même envisageable, de se passer d’humains dans leur travail. En revanche, la firme utilise des algorithmes depuis plus de deux décennies à chaque étape de leur travail et emploie plus de 200 data scientists. Mais les décisions finales impliquent toujours des humains. La solution serait donc un savant mélange entre humains et machines, ces dernières facilitant le travail des autres.
Parmi les dix fonds d’investissements les plus rentables dans le monde, six ont aujourd’hui recours à des assistants informatiques pour les aider dans leurs décisions, dont Renaissance Technologies, Two Sigma ou encore Citadel.
Si il n’est pas encore concevable de totalement remplacer le travail d’un humain dans une décision aussi importante qu’un investissement, il est important de noter cet engouement des fonds pour l’intelligence artificielle et les données externes. Dès demain, la majorité des décisions stratégiques en entreprises sera assistée par un algorithme, l’écart compétitif se creusera entre ceux munis des bons outils, et les autres.