Les centres de contact débordés par le Covid-19, l'IA à la rescousse
e-Commerçants, acteurs numériques et télécoms, services sanitaires... Certains secteurs font face à un afflux de demandes clients que l'intelligence artificielle aide à trier et orienter.
Avec l'épidémie du Covid-19, certains secteurs se retrouvent assaillis de requêtes : les autorités publiques et sanitaires sont submergées de questions sur le virus, les services numériques dont l'utilisation explose avec le confinement enregistrent une montée en flèche des demandes de support technique, de même que les opérateurs télécoms pour ne citer qu'eux. Pour faire face à cette vague de sollicitations, l'intelligence artificielle entre dans la danse. Fort de 18 000 clients à travers le monde, parmi lesquels EDF, Lancôme, Sky ou Vodafone, la plateforme de bot de LivePerson enregistre par exemple une progression de 20% des conversations transitant par ses infrastructures entre mi-février et mi-mars. Dans l'aérien et l'hôtellerie, où les annulations ou reports sont le lot quotidien, elle relève des volumes d'échanges qui, dans le même temps, bondissent respectivement de 96% et 130% selon Venturebeat.
Des "ajustements" chez Airbnb, LinkedIn et Microsoft
En première ligne, les autorités sanitaires se sont rapidement tournées vers l'IA pour désengorger leur messagerie. Dès la mi-mars, l'OMS s'équipe d'un chatbot sur WhatsApp pour répondre aux questions les plus fréquemment posées sur l'épidémie : symptômes, mesures de protection recommandées, dernières évolutions de la situation... Le numéro suivant permet d'y accéder : +41 79 475 22 09. Quelques jours plus tard, le gouvernement français lance à son tour deux chatbots d'information sur le Covid-19. Egalement accessible sur WhatsApp via le +33 7 55 53 12 12, le premier est développé par le britannique Infobip. Disponible sur Messenger via la page Facebook officielle du gouvernement, le second est échafaudé par Clustaar. L'agence digitale française s'est adossée à sa plateforme de bot, la même que celle utilisée pour le compte de TF1 en vue de créer un autre chatbot sur le coronavirus (depuis déployé sur les sites média de LCI et de Doctissimo).
Hébergée sur le cloud de Google, la plateforme de Clustaar repose sur un moteur de traitement automatique du langage. En partant de cette première couche, l'ESN parisienne a associé les principales questions à adresser (ou intentions) à différentes formulations possibles. "Quels sont les symptômes du coronavirus ?" ou encore "Quels sont les signes du Covid-19 ?" renvoient par exemple à une même intention. En aval, à partir de 25 000 questions traitées par le bot une fois celui-ci déployé, la plateforme fait émerger, via un algorithme de rapprochement sémantique, de nouvelles intentions qui n'avaient pas été définies au départ. L'IA s'enrichit ainsi au fur et à mesure.
Qu'en est-il du côté du secteur numérique ? Célèbre plateforme d'agents intelligents taillée pour les centres de contacts, Directly affirme avoir réalisé des ajustement "significatifs" dans le sillage de la pandémie pour plusieurs clients majeurs du domaine. Parmi eux : Airbnb, Autodesk, LinkedIn, Microsoft, Samsung ou SAP. "Ces entreprises sont actuellement en quête de solutions en vue de résoudre les problèmes de leurs clients tout en assurant la sécurité de leurs collaborateurs à travers des mesures de distanciation sociale et de confinement", confie un porte-parole de l'entreprise. La plateforme de Directly fait appel au machine learning pour analyser les demandes clients et automatiser certaines réponses. Si l'IA n'est pas suffisante, elle met en œuvre un processus d'escalade vers un réseau d'experts.
Positionné dans un tout autre domaine, à savoir la distribution d'équipements et fournitures industriels et de bureau, le français Manutan n'a pas attendu l'épidémie de Covid-19 pour équiper sa relation client d'une IA. Bien lui en a pris. Lors du passage de l'Hexagone en confinement, elle lui a permis de s'adapter rapidement à la situation. L'IA en question est la messagerie intelligente de la start-up française Golem.ai (InboxCare). Recourant au natural language understanding (NLU), elle analyse le contenu des 2 500 à 2 800 e-mails clients reçus chaque jour par Manutan. En fonction de leur contenu (demande de renseignements, commande, devis, confirmation de devis, plainte...), elle permet de les transférer au bon service. Un routage qui affiche un taux de réussite de 85%. "Par exemple dans le texte 'Je vous écris à propos de ma commande concernant ces produits, dont je ne suis pas content', InboxCare comprendra qu'il s'agit d'une réclamation et pas d'une commande", assure Xavier Laurent, directeur des services à valeur ajoutée de Manutan.
"A partir d'un message sollicitant une commande, l'idée est désormais d'extraire toutes les données nécessaires à sa génération automatique"
"Du coup lors du passage en télétravail des 100 collaborateurs en charge de la relation client en France la semaine du 16 mars, nous n'avons pas eu besoin de mettre en place une cellule de coordination. Les messages étant directement acheminés vers le bon interlocuteur en confinement", se félicite Xavier Laurent. La brique est d'autant plus stratégique que Manutan est alors confronté à un grand nombre de demandes urgentes. Les entreprises cherchant massivement à s'équiper au plus vite de l'équipement sanitaire nécessaire à la poursuite de leur activité : masques, gants, gel hydroalcoolique, bande de marquage au sol pour les files d'attente, plexiglass de protection...
Autre urgence pour les entreprises : s'informer sur les mesures prises par le gouvernement en matière de chômage partiel ou de report de cotisations sociales. Un besoin qui engendre évidemment un afflux de messages à l'Urssaf. Pour faire face, cette dernière s'est elle aussi équipée d'un chatbot. Directement intégré à la page d'accueil de son site web, il permet aux entreprises de se renseigner sur les dispositifs disponibles en fonction de leur statut : employeur du régime général, travailleur indépendant, autoentrepreneur, profession libérale... A l'instar du chatbot du gouvernement, il s'adosse également à la plateforme de Clustaar.
Chez Manutan, l'apport de Golem.ai pendant cette crise conduit désormais le groupe à envisager d'accélérer le déploiement de cette IA au sein de ses filiales à l'étranger. Comptant 2 500 salariés, Manutan est présent dans 17 pays. "InboxCare est déjà utilisé en Belgique. Son déploiement dans d'autres pays sera aisé, le NLU étant par définition agnostique en termes de langues", souligne Xavier Laurent. Manutan entend aussi capitaliser sur Golem.ai pour aller vers plus d'automatisation. InboxCare identifie déjà dans les mails les références clients et de livraison en vue de les intégrer à l'ERP du groupe (Microsoft Dynamics AX). "A partir d'un message sollicitant une commande, l'idée est désormais d'extraire toutes les données nécessaires à sa création dans Dynamics AX : noms, coordonnées, produits concernés...", explique Xavier Laurent. Objectif : aboutir à un processus automatisé de bout en bout. "En aval, notre application de gestion d'entrepôt Manhattan pourra récupérer les commandes en sortie du progiciel pour éditer les bordereaux de préparation", ajoute Xavier Laurent. Côté service commercial, Manutan a déjà recours à Golem.ai pour générer les réponses aux appels d'offres en matchant ces derniers (pouvant contenir jusqu'à 35 000 lignes) avec sa base de produits de 400 000 références. En industrialisant ainsi les tâches répétitives et fastidieuses, l'IA permet aux équipes de Manutan de s'adapter plus efficacement aux évolutions de la demande, même soudaines. Une valeur ajoutée clés en temps de crise.