DeepSeek fait exploser la bulle de l'IA et les Etats-Unis entrent dans un âge de glace technologique
"Your margin is my opportunity" disait Jeff Bezos après l'explosion de la première bulle Internet. Aujourd'hui, alors que DeepSeek vient d'allumer la mèche de l'explosion de la bulle IA US, son fondateur Liang Wenfeng pourrait déclarer "Your cost structure is my opportunity". D'OpenAI à Google en passant par Microsoft, tous les géants de la tech US avaient en effet jusqu'ici une stratégie très simple pour développer l'IA : utiliser des modèles datant de 2017 (les transformers) restés assez longtemps au placard à cause d'une faiblesse de taille, ils sont extrêmement consommateurs de ressources de calcul. Certes ces modèles ont été améliorés mais l'apport de la tech US a essentiellement été d'inonder cette technologie sous les dollars. L'année dernière, les 4 plus gros investisseurs en IA aux US ont dépensé 180 milliards de dollars, une augmentation de 57% par rapport à 2023. Microsoft a annoncé en début de mois qu'il porterait ses investissements à 80 milliards en 2025 et Facebook parlait de 65 milliards la semaine dernière. Les fonds d'investissements ont mis 132 milliards sur la table en 2024. Pour résumer : les géants de la tech US ont préféré l'investissement financier à l'ingénierie. "Repenser les modèles ? Surtout pas, arrosez-moi ça de pognon et ça ira bien !"
Depuis deux ans, nous avons donc assisté à la formation d'une bulle finalement très ordinaire : des centaines de milliards de dollars investis à perte dans une technologie peu efficiente, des GPUs alignés les uns derrière les autres pour compenser un modèle mal-conçu, des datacenters ouverts à la va-vite pour monter en capacité, jusqu'à l'IA-washing mondial mené à grand coup de communication par les entreprises. Mais cette folle exubérance a pris fin. Très exactement le vendredi 24 janvier 2025, date de la naissance de DeepSeek.
Avec DeepSeek, les Chinois ont prouvé qu'il était possible de faire mieux pour 20, 100 fois moins cher. Bien sûr, il ne faut pas demander à leur IA s'il faut réprimer les manifestations à Hong-Kong. Mais ce n'est pas l'objet d'un modèle destiné à augmenter la productivité de son utilisateur. Pour toutes les tâches d'assistanat, DeepSeek se révèle largement à la hauteur. Il n'a pas besoin de GPU surdimensionnés, de data centers immenses et d'une débauche d'électricité. Mieux, ce modèle ouvre la voie à de l'innovation tous azimuts.
D'abord parce que DeepSeek est open source. Tous les pays en voie de développement (et les autres) vont pouvoir se l'approprier et construire des applications IA de manière souveraine, sans dépendre des infrastructures US. Et ce d'autant plus facilement si les coûts de l'énergie baissent dans les années à venir, comme le souhaite le nouveau président américain.
Ensuite, parce que DeepSeek est économe en ressources donc antimonopolistique. Le matériel, les infrastructures, l'énergie nécessaires pour faire tourner DeepSeek permettent de créer (enfin !) un modèle économique qui ne s'appuie par sur des investissements à perte, puis sur une prédation économique exercée par des acteurs semi-monopolistiques.
Enfin, parce DeepSeek est décentralisé. Contrairement aux modèles d'IA américains, qui reposent sur des infrastructures centralisées et contrôlées par quelques géants technologiques. Son modèle open source et peu gourmand en ressources permet à des acteurs variés (Etats, PME, chercheurs…) de l'adapter à leurs besoins spécifiques sans dépendre d'une poignée d'entreprises dominantes.
En revanche, c'est tout un modèle économique qui s'effondre pour les Etats-Unis. Un modèle basé sur trois piliers qui devaient garantir leur hégémonie dans l'IA : des modèles tellement coûteux à entraîner que seuls les hyperscalers (les grandes entreprises de la tech US) pouvaient les financer ; des infrastructures lourdes (data-centers, centrales électriques) pour faire tourner ces modèles très gourmands ; et des processeurs surpuissants conçus par une unique entreprise américaine, Nvidia. Mais DeepSeek a hacké ce modèle, comme aurait pu le faire une start-up de Y Combinator conseillée par Sam Altman quand il était à la tête de l'incubateur.
Un jour, quand tout le monde aura repris ses esprits, cette bulle de l'IA semblera tout aussi folle que les précédentes. Et il faudra chercher pourquoi aucune entreprise américaine n'a créé DeepSeek. Pourquoi la création destructrice n'a pas fonctionné au pays de la disruption ? Peut-être parce qu'on a laissé les monopoles créés lors de la précédente bulle s'approprier l'IA. En attendant, ces mastodontes de la tech vont devoir afficher de belles dépréciations dans leurs comptes. Et ces investissements pharaoniques qui ne seront jamais rentabilisés devront être passés par pertes et profits.
Le jour de l'investiture de Donald Trump, les marchés financiers américains représentaient 75% de l'ensemble des marchés mondiaux. Un record historique atteint grâce à la bulle de l'IA. Le nouveau président annonçait un "nouvel âge d'or" pour les Etats-Unis. Les observateurs s'interrogeaient. Que pouvait être un âge d'or quand les Etats-Unis cumulaient déjà les trois quarts de la capitalisation mondiale des entreprises ? L'Histoire est ingrate, car c'est en fait un âge de glace qui démarre : les Etats-Unis, qui ont tout misé sur l'IA chère depuis deux ans n'ont plus d'avantage économique compétitif.