De la recherche de disparus à la transcription des écoutes : l'IA révolutionne déjà la Gendarmerie
L'IA accélère sa percée dans la fonction publique : Dinum pour l'Etat, Amiad pour les armées et… DataLab de l'ANFSI (Agence du numérique des forces de sécurité intérieure) pour la Gendarmerie. Cette dernière multiplie les cas d'usage concrets avec pour objectif de gagner en efficacité opérationnelle et améliorer le service rendu aux usagers.
L'IA au service de la transcription
C'est le cas d'usage le plus industrialisé au sein de la Gendarmerie. Le DataLab a développé une brique technique de speech to text basée sur le modèle open source Whisper d'OpenAI. Plusieurs projets permettent de transcrire automatiquement la parole en texte. Le plus avancé est Parole, un système qui retranscrit automatiquement les auditions de victimes mineures. Le système répond à un impératif judiciaire, car le droit français impose la retranscription écrite de ces témoignages. "Le droit français est un droit écrit, et donc il faut retranscrire ces auditions filmées pour le magistrat", explique Marc Boget, directeur de la stratégie numérique et technologique de la Gendarmerie Nationale. Déjà déployé dans les maisons de protection des familles, ce système permet de réduire considérablement le temps de traitement, passant de huit heures par audition à seulement deux à quatre.
D'autres applications de cette même technologie sont en cours de finalisation : la retranscription des écoutes téléphoniques, également soumise à l'obligation légale de transcription écrite, le compte-rendu en mobilité permettant aux gendarmes de dicter leurs activités pour qu'elles soient automatiquement classées, ou encore le mémo vocal pour les techniciens d'identification criminelle sur les scènes de crime. Sur le plan technique, le système a nécessité des adaptations spécifiques : "Nous avons réentraîné un modèle Whisper avec des données spécifiques de voix d'enfant pour la partie audition de mineurs et des paramétrages spécifiques pour les autres cas d'usage", précise Adrien LY , chef du DataLab de l'ANFSI.
Le LLM, pour la recherche d'informations qualifiées
Au-delà de la transcription vocale, la Gendarmerie exploite, plus classiquement, des LLM pour optimiser la recherche d'informations et simplifier les procédures, tant pour les agents que pour les citoyens. Dans ce sens, le projet I-Accueil permet aux gendarmes chargés de l'accueil de répondre aux questions des citoyens sur des sujets variés. "Lorsque vous êtes chargé d'accueil dans une brigade, vous êtes sollicité par nos concitoyens sur à peu près tous les sujets", explique Marc Boget. Un chatbot, basé actuellement sur le modèle LLAMA 3 70B avec un système RAG, indexe les codes juridiques et la documentation professionnelle pour fournir des réponses précises. "Le gendarme lui pose une question en langage naturel, et l'IA répond en taguant l'origine de l'information pour qu'elle puisse être vérifiée", explique le spécialiste. Actuellement en expérimentation dans un département, son déploiement national attend l'acquisition de davantage de puissance de calcul.
Dans un autre genre, le système PredNatinf aide les gendarmes à naviguer dans la complexité du code pénal en aidant à catégoriser les infractions. "Chaque infraction, il faut la catégoriser, lui donner un code de nature d'infraction. Il y en a plus de 15 000", rappelle Marc Boget. Le système permet aux agents de gagner un temps précieux. "Vous tapez le résumé des faits en langage naturel et le système vous présente ce qui semble judicieux et cohérent avec ce que vous avez renseigné", décrit le général. Une technologie qui devrait également bénéficier aux citoyens à l'horizon 2026 avec l'évolution de la plainte en ligne, leur évitant "la complexité du code pénal" pour choisir la nature de l'infraction à déclarer.
Un chantier encore plus ambitieux concerne la "synthèse automatique de procédures". Le système vise à créer des résumés de procédures judiciaires pour faciliter leur transfert entre enquêteurs. "Quand vous passez une procédure d'un enquêteur A à un enquêteur B, vous avez un temps incompressible qui est le temps nécessaire à l'enquêteur B pour comprendre ce qu'il y a dans la procédure", rappelle Marc Boget. Bien que le développement soit en cours, des défis subsistent en matière de précision : "On parle de procédure judiciaire et ce qui est écrit doit être juste. Les tests ont montré que l'IA approximait encore certaines choses, ce qui n'est pas possible dans un cadre juridique où la précision est essentielle." Le projet est par conséquent toujours en développement.
Le vision par ordinateur pour des cas définis
Enfin troisième et dernier pôle de cas d'usage autour de l'IA : la computer vision. La catégorisation automatique des images pédopornographiques constitue un outil précieux pour les enquêteurs spécialisés. "Quand vous allez chez un auteur de pédopornographie, vous récupérez 100 000, 150 000, 200 000 images", explique Marc Boget. Face à cette masse de données, l'IA permet de trier et prioriser l'analyse : "L'outil permet de dire, ce premier paquet-là, je suis sûr à 99% que ce sont des photos de paysages. A l'inverse, ceux-là, je suis sûr que c'est de la pédopornographie". Le système, déjà déployé, soulage les enquêteurs du Centre national d'analyse des images pédopornographiques d'une tâche "particulièrement éprouvante au plan cognitif", tout en permettant de traiter les dossiers dans les délais contraints de la garde à vue.
Si cette première application se concentre sur l'analyse d'images statiques, la Gendarmerie étend désormais, de manière progressive, son expertise au traitement vidéo. Un projet particulièrement prometteur concerne l'analyse des vidéos captées lors des recherches de personnes disparues. Les hélicoptères de la Gendarmerie survolent régulièrement de vastes zones lors d'opérations de recherche, mais jusqu'à présent, l'efficacité dépendait uniquement de l'observation humaine.
Le principe est simple mais efficace : lors des missions de recherche, les hélicoptères de la Gendarmerie équipés de caméras haute définition filment en continu les zones survolées. "Je suis en hélicoptère. J'ai une caméra sur la boule optronique. Je filme et je cherche quelqu'un qui a disparu", décrit Marc Boget. Une fois la mission terminée, les vidéos enregistrées sont traitées, au sol, par un système d'intelligence artificielle visuelle capable de détecter des formes humaines ou des anomalies que l'équipage n'aurait pas remarquées pendant le vol. L'IA analyse chaque image pour repérer d'éventuelles silhouettes ou corps suspects et les signale. Un traitement différé qui respecte le cadre légal actuel qui n'autorise pas encore l'analyse vidéo en temps réel hors contexte spécifique des Jeux Olympiques.
Pour entretenir et développer son expertise en IA, l'institution investit massivement dans la formation continue, qui représente la moitié du budget de fonctionnement de l'ANFSI. Des formations, ciblées et pragmatiques, auprès des meilleurs experts aux quatre coins du globe, pour permettre aux équipes de rester à la pointe. Face à la concurrence du secteur privé, capable d'offrir des rémunérations jusqu'à dix fois supérieures, la Gendarmerie a développé une stratégie de recrutement et de fidélisation basée sur le sens des missions et des parcours de carrière clairement définis. "Si nous ne donnons pas de visibilité et de lisibilité sur leur trajectoire, nous les perdons", souligne le Général Boget.