Neil Sholay (Oracle) "L'IA deviendra un service consommable via une API et son coût deviendra accessible"

Neil Sholay est vice-président d'Oracle, où il dirige les initiatives liées à l'IA et à la création de valeur commerciale. Il revient pour le JDN sur la stratégie d'Oracle dans le domaine.

Neil Sholay est VP AI Business value chez Orcale. © BP / JDN

JDN. Oracle développe depuis plusieurs mois une stratégie axée sur les agents d'IA. Quelle sera l'étape décisive pour développer des agents véritablement intelligents et autonomes, capables d'agir sans supervision humaine constante ?

Neil Sholay. L'agentique représente à mes yeux l'avenir du développement technologique, bien que je ne le considère pas comme un aboutissement définitif. Dans les 12 à 18 prochains mois, Oracle va progressivement transformer ses applications métier et SaaS en intégrant des flux de travail agentiques. Ces flux pourront mobiliser jusqu'à deux douzaines d'agents individuels interconnectés, offrant aux utilisateurs un environnement flexible de personnalisation et de combinaison.

Ma conviction profonde est que nous allons assister à une transformation de l'intelligence, à l'image de la révolution cloud il y a quelques années. Tout comme le cloud a modifié les modèles économiques en permettant de payer uniquement ce qui est utilisé, l'intelligence deviendra un service consommable via une API. L'histoire des innovations technologiques suit généralement trois phases : une première étape d'intelligence limitée, une phase de prolifération où les acteurs du marché construisent des solutions complexes, et enfin l'émergence de plateformes globales qui intègrent naturellement ces fonctionnalités.

Du point de vue d'Oracle, nous partons d'ores et déjà de cette troisième étape. Notre immense base de clients SaaS et sur site nous permet de déployer l'IA de manière immédiate et massive. Même si nous passions les deux prochaines années simplement à activer l'IA pour nos clients existants, nous génèrerions une valeur considérable. Notre objectif n'est pas de créer de l'IA pour l'IA, mais de la rendre accessible, utile et véritablement transformatrice pour les entreprises. L'autonomie des agents viendra progressivement, mais toujours au service d'objectifs métier concrets.

Dans quelle mesure l'émergence de l'AGI pourrait-elle transformer la nature même des agents IA, au-delà de la simple autonomie opérationnelle ?

Si nous atteignons collectivement ce niveau d'intelligence, les agents IA deviendraient presque instantanément obsolètes, réduits à un élément mineur dans un paradigme technologique beaucoup plus vaste. L'émergence de l'AGI déplacerait radicalement notre questionnement : nous ne parlerions plus de l'autonomie des agents, mais de la capacité à appliquer une intelligence véritablement générale pour résoudre des problèmes complexes du monde réel. Les perspectives ouvertes seraient révolutionnaires, comme l'a souligné Larry Ellison lors de l'annonce de Stargate.

Imaginez la possibilité de développer des vaccins personnalisés en quelques jours, conçus spécifiquement pour un individu. Ou la détection du cancer en temps quasi réel, avec une précision et une rapidité jusqu'alors inimaginables. Ces potentialités transcenderaient largement les capacités actuelles des agents IA. Dans ce nouveau paradigme, les agents actuels deviendraient presque anecdotiques. Ils seraient à peine mentionnés, tant la puissance de l'AGI rendrait leurs fonctionnalités actuelles dérisoires. Ce ne serait plus une question de programmation de tâches ou de flux de travail, mais de compréhension et de résolution de problèmes à une échelle et avec une profondeur jusqu'alors inédites.

L'AGI représenterait ainsi une rupture technologique bien plus qu'une simple évolution. Ce serait un saut qualitatif qui transformerait radicalement notre rapport à l'intelligence artificielle, passant d'outils d'automatisation à de véritables partenaires cognitifs capables de comprendre, d'analyser et de résoudre des problèmes complexes avec une autonomie et une créativité comparables - voire supérieures - à celles des humains.

Pouvez-vous nous rappeler l'implication précise d'Oracle dans le projet Stargate et nous donner un aperçu de son état d'avancement actuel ?

Le projet Stargate est une initiative ambitieuse qui rassemble plusieurs partenaires technologiques majeurs, dont Oracle, OpenAI et SoftBank. Oracle joue un rôle fondamental dans ce projet, endossant la responsabilité de fournir l'infrastructure technologique nécessaire à cette aventure d'intelligence artificielle de nouvelle génération. Le projet se structure comme une sorte de coentreprise ou de fonds d'investissement, avec un engagement financier de chaque partenaire pour construire des centres de données en Amérique du Nord. D'autres acteurs technologiques comme Nvidia et MCX sont également attendus pour contribuer à cette initiative.

Le premier déploiement est prévu à Abilene, au Texas, avec la construction de centres de données d'un niveau technologique particulièrement avancé. Ces infrastructures intégreront des technologies de pointe, notamment un système de refroidissement liquide jusqu'au niveau de la puce et l'utilisation d'énergies renouvelables. L'objectif dépasse la simple construction d'infrastructures. Il s'agit de rassembler une expertise collective pour relever les défis de la prochaine frontière de l'intelligence artificielle. En mutualisant les compétences de quatre ou cinq partenaires technologiques, le projet vise à créer une synergie unique.

Sur le plan opérationnel, Stargate existe désormais en tant qu'entité juridique. La prochaine étape cruciale consiste à construire l'infrastructure physique, à constituer les équipes, à collecter et structurer les données, et à commencer la construction des modèles. Les premières réalisations concrètes sont attendues durant cette année civile, et non dans plusieurs années comme on aurait pu le supposer

Vos concurrents directs comme AWS et Google Cloud développent leurs propres modèles d'IA générative. Qu'est-ce qui a motivé votre décision de ne pas suivre cette voie ?

Notre choix stratégique repose sur la conviction que les clients recherchent une diversité de modèles de langage. Il n'est pas réaliste pour une entreprise de se limiter à un seul grand modèle. Nous anticipons que les organisations utiliseront plusieurs modèles, probablement deux, trois, voire quatre. Du reste, on observe déjà l'émergence de modèles spécialisés, conçus pour des industries ou des segments spécifiques. En proposant ce choix, nous répondons précisément aux attentes de nos clients.

Oracle ne développera-t-il jamais ses propres modèles ?

Non. Ma réflexion s'appuie sur l'observation des tendances technologiques, dont j'ai été témoin pendant près de 30 ans dans l'industrie. Généralement, ces technologies suivent un schéma similaire : une capacité brute émerge sur le marché, offrant d'abord des cas d'utilisation basiques. Puis survient une deuxième phase cruciale : un afflux massif de start-up et d'organisations développent des outils, des actifs et des services autour de cette technologie. Cette étape offre plus de choix aux clients, mais implique également qu'ils doivent tout intégrer eux-mêmes.

Historiquement, ces marchés convergent en deux ans vers une plateforme complète de bout en bout, où ces capacités deviennent simplement partie intégrante d'une application principale. Chez Oracle, nous anticipons que l'intelligence artificielle sera à l'avenir accessible via une API, à l'instar du cloud, des bases de données et du stockage. Son coût s'équilibrera et deviendra accessible. Notre stratégie repose sur des choix clairs : nous concentrer sur nos points forts plutôt que de nous engager dans des domaines de marché hautement compétitifs et susceptibles d'atteindre rapidement un plateau. Nous nous focaliserons donc sur l'infrastructure cloud, l'infrastructure IA, la couche de données qui alimente les modèles, les services IA préconçus et les applications associées.

Avez-vous dans vos cartons de nouveaux investissements en Europe, particulièrement dans les domaines de l'IA et du cloud ?

En Europe, nos investissements se concentrent sur plusieurs axes stratégiques. Nous avons déjà développé des cloud souverains à Francfort et Madrid pour répondre aux exigences réglementaires européennes. Au Royaume-Uni, en lien avec l'annonce récente d'investissements de 14-15 milliards de livres, nous prévoyons de contribuer à l'établissement de centres d'excellence à Liverpool, Oxford et Cambridge. Notre stratégie consiste à nous positionner au cœur des écosystèmes d'innovation nationaux, en établissant des partenariats étroits avec les hubs technologiques européens. L'objectif est de proposer une infrastructure cloud et IA de pointe, souveraine et parfaitement adaptée aux besoins locaux.