Le web ne disparaît pas : il se déplace. Et les marques ne sont pas prêtes pour l'économie des agents.
Les agents IA transforment le web : seules les marques aux données claires restent visibles et éligibles dans cette nouvelle économie.
Pendant près de trente ans, le web a fonctionné selon un modèle immuable : l’utilisateur navigue, compare, consulte, puis décide. Le site était le point de passage obligé, l’espace où se déroulaient la découverte, l’évaluation et la conversion. Mais en 2025, cette mécanique n’explique plus la réalité du marché. L’expérience en ligne glisse d’un web de la navigation vers un web de l’intermédiation, où l’utilisateur ne parcourt plus les pages : il formule une demande. Les agents — Google AI Overviews, Perplexity, ChatGPT ou Amazon “Buy for Me” — s’en chargent, synthétisent, filtrent et, de plus en plus souvent, agissent.
Cette évolution ne relève pas d’un changement d’interface, mais d’une transformation économique. L’utilisateur ne compare plus dix offres : il délègue l’arbitrage. Dès qu’une intention d’achat est formulée en termes de critères — prix, caractéristiques, disponibilité ou délai — l’agent opère un arbitrage algorithmique et sélectionne l’offre la plus conforme. Le site web n’est plus la porte d’entrée du parcours, mais la source de vérité que l’agent interroge. Il reste indispensable, mais son rôle s’est déplacé : il n’est plus l’endroit où tout commence, mais celui où l’on vérifie, où l’on rassure, où l’on exécute.
De la navigation au jugement : l’essor des agents
Ce changement renverse les hiérarchies établies du numérique. Jusqu’ici, la performance dépendait de la qualité de l’interface, de la capacité à retenir l’attention, de la fluidité de la navigation ou de la richesse d’un contenu. Désormais, la décision se prend avant même que l’utilisateur n’arrive sur le site. Ce qui compte n’est plus la mise en scène d’une offre, mais la cohérence des données qui la décrivent.
Dans ce nouveau cycle, les pages ne sont plus évaluées pour leur esthétique ou leur narration, mais pour leur capacité à être interprétées sans ambiguïté. Les agents ne “devinent” rien : ils s’appuient exclusivement sur des attributs, des politiques, des délais, des prix. Le produit qui manque d’informations n’est pas mal classé ; il est exclu. La marque qui ne documente pas correctement ses conditions n’est pas pénalisée ; elle est ignorée.
Ce déplacement rebat les cartes de la distribution. La compétition ne se joue plus entre sites visibles, mais entre sites lisibles. Entre ceux qui se laissent comprendre et ceux qui résistent à l’interprétation. Autrefois, un site imposait sa proposition de valeur par des visuels, des pages dédiées, un storytelling. Aujourd’hui, cette proposition doit exister dans les données — faute de quoi, elle n’existe tout simplement plus dans l’économie des agents.
L’opacité des sites : le nouveau risque économique
C’est dans ce contexte que se révèle la principale fragilité du marché : sa dette de données. Pendant des années, les marques ont pu compenser un attribut manquant ou une politique de retour peu lisible par un parcours pensé pour l’humain, où l’intuition du consommateur permettait de “faire avec”. Cette indulgence disparaît. Les agents ne complètent pas une fiche produit absente ; ils ne corrigent pas une incohérence entre deux canaux ; ils ne reformulent pas un délai qui manque de clarté. Ils excluent — sans bruit, sans alerte, sans baisse progressive. L’invisibilité devient un risque commercial aussi important que l’abandon panier.
Cette invisibilité algorithmique produit une distorsion que beaucoup d’entreprises interprètent mal. Elles imputent une baisse de conversion à la concurrence ou à la hausse de leurs coûts d’acquisition, quand le problème tient souvent à l’éligibilité même de leurs offres. Elles croient manquer de trafic, alors qu’elles manquent de lisibilité. Dans une économie où les agents sélectionnent pour l’utilisateur, une donnée fiable vaut plus qu’un investissement marketing. Une incohérence en coûte davantage qu’une mauvaise note produit.
Ce déplacement a des implications économiques profondes. Il concentre la demande entre les acteurs capables d’exposer une information claire et cohérente, et marginalise ceux qui laissent subsister des contradictions entre leurs pages, leurs flux, leurs API et leurs marketplaces. Il renforce la position des plateformes capables d’interpréter ces données — Google, Amazon, OpenAI — qui deviennent, de fait, les premiers régulateurs de l’accès à la demande. Et il oblige les marques à considérer la donnée non comme un appendice technique, mais comme un actif stratégique.
Le web n’est pas en train de disparaître, mais de changer de centre de gravité. Ce qui faisait la performance — la capacité à attirer, guider et convertir un visiteur — se joue désormais en amont, dans la manière dont les offres peuvent être lues et évaluées par les agents. Dans ce nouveau paysage, la question n’est plus seulement d’être visible, mais d’être interprétable. Les marques qui s’adapteront seront celles qui sauront rendre leurs données fiables, cohérentes et exploitables ; les autres verront leur présence en ligne s’éroder, non faute d’audience, mais faute d’éligibilité dans un système qui sélectionne de plus en plus avant même que l’utilisateur n’intervienne.