L'IA propulse une génération entière vers l'indépendance et c'est tant mieux !

Abby

Depuis 2 ans maintenant, nous assistons à un phénomène silencieux mais massif : les premiers emplois de bureau, les" white-collar jobs ", sont absorbés par l'IA.

Une étude de la Harvard Gazette (Christina Pazzanese, « Will your job survive AI? » - Harvard Gazette, 29 juillet 2025) estime que jusqu’à 50 % des postes juniors dans la tech, le conseil, le droit ou la finance pourraient disparaître sous l’effet de l’automatisation des tâches. Cette disparition ne relève pas du fantasme : elle rebat les cartes du début de carrière. Là où, hier, apprentissage et montée en compétence se faisaient au sein de l’entreprise, l’IA accélère un glissement net : il y a désormais moins de juniors et davantage d’experts.

Un nouveau réflexe de management ?

Nous observons un paradoxe frappant : les entreprises n’ont jamais eu autant besoin d’expertise, et dans le même temps, elles n’ont jamais eu aussi peu de raisons d’embaucher des profils débutants. Ce sont précisément ces profils que l’IA remplace en premier, ce qui contribue à transformer le paysage professionnel dès les premières années de carrière. Fait encore plus marquant, d’après une étude de la Stanford University basée sur des millions de fiches de paie, l’arrivée de ChatGPT a provoqué un choc générationnel inédit : l’emploi des 22-25 ans dans les métiers les plus exposés à l’IA comme les développeurs, agents de support, analystes juniors… s’est effondré de 13 %. Pendant ce temps, les profils plus expérimentés dans ces mêmes fonctions voient, eux, leurs opportunités augmenter. C’est inédit.

Parallèlement, les organisations entrent dans un temps où la stabilité salariale devient un luxe. L’incertitude économique, l’adaptation permanente et la pression sur les marges conduisent les dirigeants à variabiliser tout ce qui peut l’être, que ce soit le marketing, le support, la data, les contenus, la conformité ou la finance opérationnelle. Selon la Freelance Study 2025, l’économie mondiale compterait déjà 1,57 milliard d’indépendants. Ce chiffre reflète un basculement culturel autant qu’économique : les entreprises préfèrent désormais acheter une compétence plutôt qu’un poste.

Les métiers manuels et réglementés restent les derniers bastions non-automatisables

À l’inverse de cette transformation rapide des fonctions de bureau, les métiers manuels ou réglementés demeurent relativement épargnés. On ne remplace pas un coiffeur, un charpentier, un électricien ou un agent immobilier par un modèle de langage. Les robots ne savent ni gérer la granularité d’une rénovation, ni appréhender la dimension émotionnelle d’un rendez-vous immobilier. Tant que l’IA ne maîtrise pas la coordination fine, la responsabilité juridique et l’expérience humaine incarnée, ces activités restent protégées. Ce constat est d’autant plus significatif que ces métiers sont très majoritairement exercés par des indépendants. L’automatisation ne touche donc pas seulement des métiers : elle épargne, pour l’instant, tout un ensemble d’activités où l’entrepreneuriat individuel est la norme.

Deuxième point et non des moindres : nous entrons donc dans une économie professionnelle radicalement bipolaire. D’un côté, les métiers de bureau standardisables sont massivement menacés. De l’autre, les métiers indépendants, artisanaux, experts ou réglementés sont protégés car profondément contextualisés et difficilement automatisables. Selon une analyse agrégée par DemandSage, environ 60 % des emplois des économies avancées sont exposés à l’IA, et une grande partie de cette exposition concerne les fonctions de bureau. Presque aucune étude, en revanche, ne place les artisans, les professions réglementées ou les experts indépendants en première ligne de la substitution technologique. Autrement dit, l’IA fragilise avant tout les salariés, et beaucoup moins les indépendants. La frontière entre métiers remplaçables et métiers incarnés se renforce chaque jour un peu plus.

Nous vivons un changement de paradigme 

Ce que nous vivons n’est pas seulement une vague de freelancing ; c’est une reconfiguration structurelle. L’IA transforme définitivement le rapport au travail. Le salariat n’est plus perçu comme un refuge stable. L’expertise est devenue la ressource la plus rare de l’économie contemporaine, la flexibilité est devenue un prérequis stratégique, et l’indépendance apparaît désormais comme un chemin presque obligatoire pour transformer sa compétence en valeur économique. L’IA ne pousse donc pas seulement vers l’efficacité : elle pousse vers l’indépendance. Le futur du travail ne sera pas constitué de bataillons de juniors derrière des bureaux, mais de réseaux d’experts en mission, d’artisans du savoir-faire et de professionnels assumant pleinement la responsabilité de leur valeur.

On réduit trop souvent l’IA à une question de productivité. C’est une véritable erreur de perspective. La véritable révolution est sociale : l’IA redessine la frontière entre les métiers substituables et les métiers incarnés. Elle accélère un mouvement où chacun devra, d’une manière ou d’une autre, devenir chef d’entreprise de sa propre compétence. L’avenir du travail ne sera pas automatisé ou humain : il sera humain là où l’humain est irremplaçable, et indépendant là où l’indépendance devient l’unité d’organisation la plus agile.