Les algorithmes s'immiscent à chaque étape du recrutement

Les algorithmes s'immiscent à chaque étape du recrutement L'usage de l'intelligence artificielle pour automatiser le recrutement connaît une popularité croissante avec la pandémie et la montée du télétravail. Mais pour quelle fiabilité ?

En entraînant une généralisation massive du télétravail, le coronavirus a mis les entreprises face à un nouveau défi : recruter des candidats entièrement à distance. Cet impératif a renforcé la popularité des logiciels d'intelligence artificielle conçus pour assister le recrutement, qui se développent depuis plusieurs années déjà, mais dont la proposition de valeur devient plus que jamais évidente. Leur promesse : rendre le recrutement plus rapide, meilleur et plus juste, le tout grâce à la magie des algorithmes.

Différentes formes de recrutement algorithmique

Le processus de recrutement étant long et complexe, l'intelligence artificielle peut s'y insérer à plusieurs niveaux. Il n'y a donc pas une, mais plusieurs approches algorithmiques en matière d'assistance à l'embauche. Une première catégorie d'outils permet d'automatiser la quête de candidats potentiels. Cela inclut les plateformes comme LinkedIn ou ZipRecruiter, qui connectent automatiquement les demandeurs d'emploi avec des offres correspondant à leurs compétences. D'autres, comme Arya, sondent l'Internet en quête de données pour identifier les candidats idéaux pour un poste. Une dernière catégorie recourt aux sciences des données afin d'optimiser la rédaction des offres d'emploi pour attirer un maximum de candidats. C'est ce que propose une entreprise comme Textio.

Vient ensuite la sélection des candidats dans le but de planifier les entretiens. Ici, l'intelligence artificielle permet d'assister managers et ressources humaines dans le choix des meilleurs candidats. Citons notamment Ideal ou encore Sniper AI, dont les algorithmes lisent les CV des candidats et sélectionnent automatiquement les plus prometteurs. D'autres, comme Mya ou encore Paradox, proposent un chatbot qui contacte automatiquement les profils retenus pour s'assurer lors d'une conversation basique qu'ils possèdent bien les compétences nécessaires, et programmer un premier entretien avec un recruteur humain.

Vient, enfin, l'heure des entretiens en eux-mêmes et de la décision finale. A l'heure où nombre de ces entretiens se font à distance, la plateforme HireVue commercialise une intelligence artificielle qui, sur les vidéos d'entretiens, analyse les expressions faciales, les mots employés et le ton des candidats (des "dizaines de milliers de facteurs" au total, selon l'entreprise) pour attribuer à chacun "un score d'employabilité". Censé établir la compatibilité du candidat pour un poste en particulier, il vise à aider les recruteurs à prendre leur décision.

La promesse d'un recrutement plus juste

HireVue, qui compte Hilton, Unilever et Goldman Sachs parmi ses clients, affirme que son dispositif permet d'évaluer les candidats de manière plus neutre et objective que ne le ferait un recruteur humain, soumis à toutes sortes de biais susceptibles d'altérer son jugement. Outre une efficacité accrue et un processus adapté au travail à distance, c'est en effet la grande promesse du recrutement algorithmique : lutter contre la discrimination à l'embauche en remplaçant la faillibilité humaine par la loi d'airain, l'incorruptibilité des algorithmes. Capables de traiter des quantités de données inaccessibles à un cerveau humain, insensibles à la fatigue et d'une froide rationalité, ceux-ci seraient le meilleur moyen de lutter contre les biais dont souffrent certaines catégories de la population sur le marché du travail.

Un article de l'université de Cornell, dans l'Etat de New York, paru en décembre 2019 et analysant 18 entreprises proposant des solutions de recrutement algorithmiques, observe ainsi que la majorité d'entre elles se présentent comme des alternatives plus justes et moins biaisées au jugement humain. Mais sur ce point, les chercheurs semblent partagés. Selon cette même étude, les algorithmes utilisés par ces entreprises sont trop opaques pour que l'on puisse affirmer avec certitude qu'ils rendent les embauches plus justes. Après avoir mis au point son propre outil visant à automatiser le processus de recrutement, Amazon a pour sa part abandonné le projet en 2018, après s'être rendu compte que l'algorithme était biaisé à l'encontre des candidats de sexe féminin.

Les algorithmes sont-ils vraiment objectifs ?

C'est en effet l'une des critiques régulièrement adressées aux algorithmes : puisqu'ils sont conçus par des humains, le risque est grand que ces derniers réintroduisent leurs biais inconscients dans l'ADN de ces algorithmes, perpétuant ainsi les discriminations sous couvert d'objectivité. "Les algorithmes qu'on entraîne sur des jeux de données apprennent à partir des choix humains observés dans ces données, et leur but est de reproduire ces décisions passées. Une fois qu'un algorithme a été conçu, il peut être appliqué de manière impartiale, mais le danger provient principalement des choix effectués lors de sa conception", explique Manish Raghavan, chercheur qui étudie l'usage des algorithmes pour le recrutement à l'université de Cornell.

Nombre de logiciels visant à sélectionner les meilleurs candidats sont en effet entraînés sur les données de recrutement passées des entreprises, ce qui paraît logique, mais risque du même coup de réintroduire les biais que ces entreprises essaient de combattre. Ainsi, le logiciel conçu par Amazon avait été entraîné sur les CV envoyés au géant du commerce en ligne au cours des dix dernières années : la majorité de ces CV appartenant à des hommes, l'algorithme en avait conclu que la variable "sexe masculin" était un facteur positif pour un candidat.

Les limites des algorithmes de recrutement n'enlèvent rien à leur intérêt

Mais cet écueil n'est pas impossible à éviter. "Notre système ne prend en compte ni l'âge, ni le sexe, ni le nom du candidat pour effectuer sa sélection", affirme ainsi Somen Mondal, directeur général et cofondateur d'Ideal. "Pour nous assurer que le processus d'embauche est aussi juste que possible, nous comparons en outre les profils des candidats qui postulent avec ceux des personnes qui parviennent jusqu'à l'étape de l'entretien, jusqu'au recrutement, etc. Si nous constatons que pour un tel poste, 50% des postulants sont des femmes mais que seulement 5% des individus recrutés sont de sexe féminin, c'est qu'il y a un problème." L'entreprise a par ailleurs conçu ses algorithmes pour qu'ils puissent toujours expliquer leurs décisions, évitant ainsi les boîtes noires.

Les limites des algorithmes de recrutement n'enlèvent rien à leur intérêt. Bien conçus et utilisés, ils pourraient bien rendre les embauches plus justes et efficaces. Mais de nombreux experts incitent à la prudence et suggèrent la mise en œuvre de régulations pour encadrer cette pratique. En 2019, l'Illinois est devenu le premier Etat américain à mettre en place une loi offrant une protection aux travailleurs dans ce domaine. Elle oblige l'employeur à demander la permission au candidat avant d'enregistrer une vidéo de son entretien à distance et d'y appliquer des algorithmes d'intelligence artificielle. Elle doit également l'informer des critères que le logiciel utilisera pour l'évaluer et supprimer ses données sous un délai de 30 jours.