David Dieudonné (Ouest-France) "Les collaborateurs de Ouest-France testent tous les modèles d'IA pouvant répondre à leurs besoins"
David Dieudonné, chef de projet IA chez Ouest-France, détaille les tests et évaluations en cours d'outils d'IA avant une adoption généralisée par la rédaction.
JDN. Quel usage Ouest-France fait-il de l'IA générative ?

David Dieudonné. Ouest-France mène différentes expérimentations depuis plus d'un an, même si pour l'instant nous n'avons pas encore intégré l'IA générative dans la production du journal à proprement parler. Pour cela, le groupe a créé un bac à sable sécurisé qui permet aux collaborateurs d'Ouest France, quel que soit leur métier, de tester librement et sans risque les différents modèles de langage existants de façon agnostique (dont ceux d'OpenAI, Mistral, LLaMA, ndlr). L'objectif est de comprendre quels modèles sont le plus adaptés aux besoins de chacun pour à terme mettre en place des petits prototypes qu'il nous appartiendra ensuite de passer ou non en production. Aucune donnée ne sort par conséquent de l'entreprise.
Pour quels cas d'usage avez-vous déjà établi une courbe d'expérience ?
Je peux vous citer la génération de tags afin d'orienter l'article au sein du CMS, la création de résumés d'articles et la conception de quiz pour nos lecteurs. Nous laissons une grande liberté aux collaborateurs pour chercher des solutions à leurs besoins et imaginer des prototypes. Cela se passe au fil de l'eau : nous formons les candidats aux différents outils et ensuite ils sont accompagnés par les équipes de la DSI si besoin. La clé de notre méthode est bien de partir de la base (des besoins, des usages) pour construire des cas d'usages structurés qui pourront ensuite être mis en production de la manière la plus sécurisée possible.
Avez-vous pu évaluer l'intérêt de passer par l'IA générative pour ces cas d'usage ?
Nous sommes encore en phase d'évaluation avec des avis intermédiaires qui ont déjà été rendus mais rien n'est acté pour le moment. A mon arrivée, en septembre dernier, j'ai mis en place un comité d'évaluation de ces expérimentations en y intégrant toutes les fonctions pouvant être concernées par l'IA : la rédaction, la DSI, le service juridique, les ressources humaines et la RSE. Nous nous réunissons très régulièrement pour passer en revue chaque expérimentation et formuler un avis sur son éventuel passage en production ou, au contraire, sur la nécessité de la poursuivre. Par exemple, dans le cas des résumés, il nous faut mesurer si cela aboutit à un avantage concret pour nos lecteurs et nos journalistes. Chaque décision est prise de manière collaborative.
Et concernant la création d'images et de vidéos ?
Nos guidelines déontologiques interdisent l'utilisation de l'IA générative pour la création d'images et de vidéos.
Cette expérimentation concerne-t-elle uniquement le titre Ouest-France ?
Toutes les filiales du groupe sont engagées dans ces tests.
Avez-vous des accords-cadres avec des fournisseurs ou envisagez-vous de mettre en place des contrats pour entraîner des modèles avec vos données ?
Nous n'avons pas mis en place d'accord avec les fournisseurs de modèles d'IA générative. En revanche, nous travaillons avec des organismes publics de recherche. C'est tout le sens du lancement cette année du laboratoire commun Synapses par Ouest-France avec l'Institut de recherche en informatique et systèmes aléatoires (Irisa), du CNRS et de l'Université de Rennes, avec qui le groupe collabore depuis une trentaine d'années.
"Nous n'avons pas mis en place d'accord avec les fournisseurs de modèles d'IA générative"
Cet accord porte sur le patrimoine éditorial d'Ouest-France, qui compte plus de 100 millions de contenus (texte, image, vidéo et audio), dont 38 millions de photos. Les chercheurs nous aideront à mieux explorer ces ressources à l'aide de l'IA générative, du machine learning, de la vision par ordinateur, le traitement automatique des langues, etc.
Quel intérêt l'IA peut-elle représenter pour les rédactions ?
L'IA générative représente une opportunité tout d'abord éditoriale : l'IA peut devenir un outil d'assistance au journaliste, notamment pour les tâches répétitives, pour lui libérer du temps pour la recherche d'information exclusive et le travail de proximité avec les sources et les lecteurs. L'IA en général peut également être d'une grande utilité pour la détection de signaux sur de grandes masses de données, c'est donc un ferment très prometteur au service des enquêtes. Enfin, l'IA, c'est aussi une question d'opportunité économique puisqu'elle peut améliorer la pertinence et l'accessibilité des contenus à une audience plus diverse, en facilitant le passage du texte au son ou à l'image. Ceci étant, il faut envisager l'IA avec une très grande prudence. C'est encore une technologie faillible et dont l'adoption exige un très fort dialogue pour avancer en transparence à la fois avec les salariés du groupe et les lecteurs.